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Maison à vendre par le propriétaire. Formulaire à remplir par l’employé. Chaque fois qu’il a été question de ces expressions, j’ai toujours eu le réflexe de les condamner sur-le-champ. Pour des raisons qui m’ont toujours paru évidentes : comment un infinitif actif pourrait-il être suivi d’un complément d’agent (autrement dit, de son sujet), comme s’il s’agissait d’un passif? Mais le doute m’a taraudé, et j’ai fini par me demander où était le problème.
Non pas que ces expressions cacheraient un infinitif passif déguisé en actif. Tout au long du 20e siècle, de grands linguistes ont pris soin l’un après l’autre de pourfendre cette théorie. À commencer par le célèbre Ferdinand Brunot qui, dans La pensée et la langue, écrivait, il y a une centaine d’années :
On explique la plupart du temps ces expressions [maison à vendre, de la toile à laver] en les considérant comme passives : agréable à porter équivaudrait à : agréable à être porté. C’est là une fausse analyse. Sauf par imitation du latin, on n’a jamais écrit ni parlé de la sorte1.
Il ajoute, quelques paragraphes plus loin, que ce passif est un tour « que jamais depuis un siècle bouche française n’a proféré ». Rappelant qu’en vieux français le rôle du passif est très souvent tenu par l’actif, il recule jusqu’à Marguerite de Navarre : Me voyant digne d’estimer.
Les Le Bidois reprendront le flambeau quelques décennies plus tard :
Quoi qu’en disent la plupart des grammairiens, il nous est impossible de voir dans ces tours un passif. Il ne viendrait à l’esprit d’aucun Français d’expliquer, par exemple, « pénible à tenir » par « pénible à être tenu ». Ces tours sont si bien sentis comme étant de forme et de valeur active que là où la construction passive semble s’imposer pour quelque raison, la phrase devient artificielle2.
Brunot énumérait des constructions semblables où le passif est impossible (triste à mourir), d’autres encore où l’infinitif actif joue le rôle habituellement tenu par le passif (j’ai entendu parler d’elle, j’ai vu démolir la maison). De même, dans les anciennes éditions du Bon usage, comme celle de 1975 (§ 751), Maurice Grevisse, rejetant la « valeur prétendue passive » de ces infinitifs, donnait deux séries d’exemples à l’appui : d’une part, les tours du type prêt à porter, maison à vendre; de l’autre les constructions telles que la maison que j’ai vu bâtir, ils n’ont pas laissé envahir le territoire. Tous ces infinitifs ont un sujet vague, une sorte de « on ». Encore aujourd’hui les grammairiens – André Goosse3 notamment – posent l’existence d’un sujet implicite.
Mais alors, demandait Brunot, quand on veut préciser l’auteur de l’action, que fait-on? Eh bien, on ajoute un complément d’agent : J’ai vu démolir la maison par des ouvriers de votre chantier. Aucun passif nulle part. Puisque la question est de savoir si un infinitif actif peut être suivi d’un complément d’agent introduit par par, la réponse semble bien être que oui. Or, si l’indication d’agent est possible après démolir la maison, je me demande en vertu de quel principe elle serait interdite après maison à vendre ou formulaire à remplir.
Je signale en passant que, pour Maurice Grevisse lui-même, le passif n’était pas impossible dans ce genre de tournure. Fidèle à sa méthode, il l’avait relevé chez des écrivains : par exemple, cinquante tonnes d’ivoire prêt à être emballé (Romain Gary). Il était plus tolérant que Brunot et les Le Bidois, mais c’est un fait que le tour est plus rare. Le Guide fédéral de jurilinguistique législative française rappelle que ces passifs (prix à être fixés) sont souvent des calques de l’anglais4.
Malheureusement seuls deux ouvrages, à ma connaissance, traitent de la tournure qui nous préoccupe. Dans la Syntaxe du français contemporain : l’infinitif, Karl Sandfeld écrit :
Comme une maison à vendre peut se traduire par « une maison qui doit être vendue » – sans que cela veuille dire que l’infinitif soit passif – il arrive que l’infinitif soit suivi d’une indication d’agent5.
Et Sandfeld de citer l’essai Les chercheurs d’or, de Pierre Hamp, publié en 1920 aux Éditions de la Nouvelle Revue Française :
Il y a à Vienne beaucoup de vieux meubles à vendre par les grandes familles appauvries6.
David Gaatone en cite plusieurs exemples dans Le passif en français7, dont pièces à fournir par l’intéressé et les règles à observer par qui écrit en français, celui-ci tiré du Bulletin de la Société de Linguistique de Paris (1988). Ces tournures, observe-t-il, « présentent un lien quelconque avec le passif, sans être cependant de véritables passifs ». André Goosse dit semblablement que, dans tous ces emplois, « le verbe, primitivement transitif, a été senti comme passif par les usagers8 ».
On trouve aussi la construction dans une citation du Trésor de la langue française :
Les règlements de sécurité [d’un navire] indiquent le nombre, le type, la puissance des pompes dont il doit être muni, ainsi que les conditions à remplir par le tuyautage.
(sous « tuyautage »)
Dans l’usage, il y a abondance. Des exemples qui n’ont rien de vilain apparaissent dans toutes sortes de sources francophones :
Une opération plus ciblée se déroulera le 12 juin à Paris […] sur 150 appartements à vendre par Bouygues Immobilier.
Le Figaro, 6 juin 2008
On attend de ces rapports qu’ils cernent les mesures à prendre par le gouvernement.
Sénat français, séance du 7 novembre 2006
Licenciement : les précautions à prendre par l’employeur
lentreprise.lexpress.fr, 6 octobre 2009
Les États membres du Fonds monétaire international, qui recherchent un successeur à Dominique Strauss-Kahn, doivent d’abord s’accorder sur […] les critères à remplir par les candidats.
Le Monde, 20 mai 2011
Effets à emporter par la future maman
Site d’un centre hospitalier de Wallonie9
Il a demandé des explications à son secrétaire général – le même qui passait pour l’homme à abattre par le régime.
Le Soft international (publication congolaise), 17 juillet 201210
Dans des catalogues commerciaux en France, on rencontre souvent le tour à monter par le client :
La société DoorHan produit des portes à monter par le client11.
Chez nous aussi, la construction est fréquente. Voici la même expression, à quinze années de distance, d’abord dans le Rapport du vérificateur général du Canada de 1997 :
C’est donc un défi à relever et une occasion à saisir par le gouvernement.
puis sur canoe.ca :
La famille Chiochiu voit là une belle occasion à saisir par le gouvernement pour agir.
2 avril 2012
Sans doute que certains tours plus populaires que d’autres se figent, parce que l’usage fait un tri. Des deux côtés de l’Atlantique, par exemple, on rencontre beaucoup de demande, fiche, questionnaire, etc., à remplir par x. Ainsi dans le Journal des débats de l’Assemblée nationale du Québec :
… le ministre des Finances […] a fait en sorte qu’il y ait 1 400 000 formulaires de moins à remplir par un entrepreneur au Québec.
25 mai 1995
Quand l’infinitif est complément d’adjectif, les exemples pullulent. Même principe : infinitif actif, agent explicite :
Un langage facile à comprendre par tous les utilisateurs
Site d’Apple12
[un vêtement] facile à porter, par tout le monde
Le Figaro Madame, 27 avril 2007
La responsabilité de ce drame était très lourde à porter par ce jeune praticien.
Le Monde, 2 avril 2010
Je ne dis pas qu’il faut aller ajouter un agent (sans mauvais jeu de mots) sur les pancartes de maisons à vendre. Quand tout est clair, autant s’en tenir au strict nécessaire et laisser la syntaxe se reposer un peu. Mais si on veut préciser, il semble bien qu’on soit en droit de le faire.
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