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Il est hors de question de laisser le ministre se draper dans l’argument de la confidentialité.
(Michel Nadeau, Le Devoir, 14.1.83)
Au moment d’écrire ces lignes, je me demande encore si je ne vais pas enfoncer* une porte ouverte. Et faire perdre son temps au lecteur. Après tout, y a-t-il quelqu’un qui se fasse scrupule d’employer « hors de question »? Quelque fouineur peut-être, qui, en compulsant Victor Barbeau1 ou Maxime Koessler2, aura découvert que c’est un anglicisme.
Mais on peut ne pas avoir lu ces auteurs et, les circonstances aidant, arriver à la même conclusion qu’eux. Vous ne me croyez pas?
Supposons que vous ayez à traduire « out of the question ». « Hors de question » vous vient tout de suite à l’esprit. Mais vous hésitez. « Ça ressemble décidément trop à l’anglais », vous dites-vous. Pour en avoir le cœur net, vous consultez le Robert-Collins, qui vous propose « Il n’en est pas question ». Vous passez au Harrap : « Jamais de la vie », « C’est impossible », « Il ne faut pas y songer ». Par acquit de conscience, et un peu pour le dépoussiérer, vous jetez un coup d’œil au Dictionnaire canadien, de Vinay, Alexander et Daviault : un seul équivalent, déjà cité. En désespoir de cause, vous vous rabattez sur les dictionnaires français, le Petit Robert, le Dictionnaire du français contemporain, le Petit Larousse (édition 1980). Rien.
Pressé (par définition, tout traducteur…), vous ne cherchez pas plus loin. Et, en vrai professionnel de la traduction, vous vous faites une fiche : « Hors de question – anglicisme(?) ». Plus tard, lorsque vous aurez le loisir de feuilleter Barbeau ou Koessler, vous ferez sauter le point d’interrogation. Et le jour où vous deviendrez réviseur (rien n’est impossible), vous direz à vos traducteurs d’éviter cette tournure. Et la boucle sera bouclée.
L’expression existe pourtant. Je l’ai entendue dans deux films, Sonate d’automne, de Bergman et Danton, d’Andrzej Wajda. Je l’ai rencontrée dans une revue, Livres de France3, et dans deux romans policiers, de Gérard de Villiers4 et J.-G. Arnaud5.
Je l’ai lue chez des auteurs plus sûrs, une ethnosociologue, Sabine Hargous6, un démographe, Alfred Sauvy7, un bon écrivain, Vladimir Volkoff8, et un grand romancier, Roger Martin du Gard :
Tout ceci est hors de question, Monsieur9.
(Cette citation date de 1922…)
Par ailleurs, notre locution n’est pas inconnue des dictionnaires.
Le Grand Larousse de la langue française l’enregistre dès 1973, et le Lexis, lors de sa parution en 1975; mais ce n’est qu’en 1981 que le Petit Larousse lui ouvrira ses colonnes. Le Trésor de la langue française10 la mentionne, et Joseph Hanse la signale dans la dernière édition de son dictionnaire des difficultés11.
Même les dictionnaires bilingues la connaissent. Mais il faut savoir où chercher, dans la partie que personne ne consulte (sauf les traducteurs de français en anglais). Le nouveau Harrap français-anglais (1972) la donne. On la trouve dans le Robert-Collins, à la fois à hors et à question (mais comme je l’ai dit, elle n’est pas dans l’autre partie). Elle figure dans les deux sections d’un dictionnaire fort négligé, le Larousse bilingue, paru il y a presque vingt-cinq ans déjà. Enfin, un lexicographe, Jean-Pierre Causse, loin de tenir cette tournure pour un anglicisme, voit en elle un(e) « vrai(e) ami(e) »12.
On m’objectera peut-être que hors de question n’a pas tout à fait le même sens que il n’en est pas question. Ce n’est pas l’avis des auteurs du très beau Dictionnaire des expressions et locutions figurées13, Alain Rey et Sophie Chantreau :
Être hors de question – ne pas pouvoir être envisagé, être refusé sans discussion. Équivaut à : il n’en est pas question.
Ceci dit, il ne nous reste plus qu’à attendre que les rédacteurs du Robert-Collins et du Harrap réparent cet oubli, et surtout que l’équipe du Robert, après avoir ajouté cette expression au « Petit », corrige une sorte d’« anomalie » qui s’est glissée dans le « Grand »14. Voici ce qu’on lit à faire question : « (Au négatif) Cela ne fait pas question (on dit aussi : cela est hors de question) ». Or, comme chacun sait, la première tournure signifie que cela est hors de doute, alors que la seconde dit tout autre chose.
À moins qu’il s’agisse d’une acception qui n’aurait plus cours aujourd’hui. C’est possible. Mais je laisse à d’autres le soin, et le plaisir, de résoudre cette énigme.
Pour ma part, si j’ai pu conjurer les scrupules de quelques traducteurs, voire d’un seul, j’accepte volontiers qu’on me colle l’étiquette de « défonceur de portes ouvertes ».
Spontanément, je dirais « défoncer », mais les dictionnaires ignorent cet usage. J’ai pourtant lu chez Musset (Lorenzaccio), « défonceur de portes ouvertes ». S’agirait-il d’un archaïsme? *
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