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Mon nom est Johnny Cash.
(Marie-Christine Blais, La Presse, 7.10.09)
Il est curieux que je puisse vous demander « Quel est votre nom? », mais que vous ne puissiez pas me répondre « Mon nom est Untel »… sans commettre d’anglicisme, en tout cas. Vous le saviez? On ne peut rien vous apprendre. Pour ma part, c’est un ouvrage1 de Victor Barbeau qui m’apprit – à mon grand étonnement – que cette tournure était un calque. Bien sûr, je me suis précipité sur mes dictionnaires. Mais les bilingues n’ont fait que confirmer le verdict : il fallait dire « je m’appelle ». Quant aux unilingues, ils étaient muets.
Il s’écoulera ensuite presque vingt ans avant que l’auteur du fameux Colpron2 ne vienne me rafraîchir la mémoire (cet anglicisme avait échappé à l’édition de 1970). Et presque autant d’années avant qu’un autre défenseur de la langue, Camil Chouinard3, revienne à la charge. Par la suite, les condamnations seront plus rapprochées : Lionel Meney4 en 2003, Jacques Laurin5 en 2006 et Jean Forest6 en 2008.
Si l’on ajoute la mise en garde des Clefs du français pratique du Bureau de la traduction, cela fait à peine sept « condamnations » : « Quel est votre nom? À cette question, le bon usage veut que l’on réponde Je m’appelle… ou Je me nomme…, plutôt que Mon nom est…, calque de l’anglais My name is… ». Sur plus de quarante ans, c’est peu. On est étonné du silence de fidèles vigiles comme Guy Bertrand, Robert Dubuc, Paul Roux ou Marie-Éva de Villers. Mais, condamnations ou pas, nous continuons à l’employer de plus belle.
Et nous sommes loin d’être les seuls. La traduction, entre autres, nous en fournit plein d’exemples, et curieusement, de l’italien surtout. Je me contenterai de quatre : Carlo Levi7 : « Mon nom est Barone »; Elio Vittorini8 : « Sylvestro est mon nom »; Leonardo Sciascia9 : « Moi, mon nom est Gerlanda »; et Oriana Fallaci10 : « Mon nom est Kundun ». Et il n’y a pas que les traducteurs qui affectionnent ce tour. Les Français aussi. Je l’ai entendu dans des films, dont Légitime violence (1982) de Serge Leroy et L’œuvre au noir (1987) d’André Delvaux. Je l’ai même lu dans quelques bédés, notamment un Thorgal : « Mon nom est Thorgal » (Le maître des montagnes).
Quant aux auteurs plus sérieux, vous avez l’embarras du choix. Que diriez-vous de Lamartine pour ouvrir le bal? Certes, il inverse la formule : « Le nom de ma famille est d’***. Julie est le mien » (Raphaël, 1849), mais il me semble que c’est à peu près comme dire « Julie est mon nom ». Quant au tour usuel, des auteurs quasi oubliés comme Albert Londres : « Mon nom est M. Pou » (La Chine en folie), ou des moins connus comme Georges Borgeaud (Le préau) ou Hugo Claus (La chasse au canard) l’emploient, ainsi que des plus connus comme Jean Dutourd (Le crépuscule des loups), Louis Guilloux (O.K., Joe!) ou Jean Genet (Un captif amoureux). Même un grand cinéaste ajoute son grain de sel : « Mon nom est Jean Renoir » (Écrits).
À l’époque où Barbeau m’apprit la mauvaise nouvelle, le Trésor de la langue française en ligne n’existait évidemment pas. Si on y jetait un coup d’œil? On y trouve plusieurs exemples : de Vigny (Journal d’un poète) : « Mon nom est Jeanne-Victoire »; de Hugo (La légende des siècles), de Claudel (Poésies diverses), et enfin, de Mauriac (Le nœud de vipères), qui emploie les deux : « Je ne m’appelle pas celui qui damne, mon nom est Jésus. »
Aujourd’hui, on trouve ce « calque » dans quelques dictionnaires, dont le Grand Larousse de la langue française, que j’avais négligé de consulter à l’époque : « mon nom est Durand ». Sauf erreur, un seul dictionnaire bilingue l’enregistre, le Robert & Collins : « mon nom est Robert ». Dans sa dernière édition, le Littré donne « mon petit nom est Paul », ce qui logiquement devrait nous autoriser à dire « mon nom est Paul », vous ne croyez pas?
Après ce chapelet d’exemples (et tous ceux que je vous ai épargnés), je ne vois pas comment on pourrait continuer à condamner cette façon de dire. On peut certes lui préférer « je m’appelle » (c’est mon cas), mais la condamner? Si on ne peut la souffrir, mais qu’on veut éviter de répéter « je m’appelle », ou qu’on trouve « je me nomme » un peu vieillot, il existe une autre formule. Que certains considèrent d’ailleurs comme fautive. Louis-Paul Béguin11 est catégorique : « Un lecteur voudrait savoir comment on doit se présenter au téléphone. Doit-on dire : Allo, mon nom est… ou Je suis… Cette dernière formule (Je suis Untel) est absolument à proscrire. C’est un anglicisme de la pire espèce. On peut dire à la rigueur Mon nom est… pour s’identifier au téléphone. »
Ce n’est pas l’avis de Colpron ou Chouinard, qui eux – nous l’avons vu – condamnent « mon nom ». Outre « je m’appelle », ils proposent justement « je suis ». J’en ai trouvé moins d’exemples, mais c’est néanmoins courant. Et ça ne date pas d’hier, comme en témoigne cet exemple de Léon Daudet12 : « Vous ne me connaissez pas. Je suis Riffard. » Et les Italiens répondent encore à l’appel : Curzio Malaparte13 : « Comment t’appelles-tu? – Je suis Calusia, m’cap’taine »; et Tomasi di Lampedusa14 : « Je suis Bettina, la gouvernante ». Enfin, un auteur français15 : « [l’auteur] comprenait mal que la plupart des adultes osent ainsi se présenter : Je suis Monsieur Verges ». Au moins deux dictionnaires bilingues, le Harrap’s et le Larousse, l’enregistrent : « je suis Éliane », « je suis Bill ».
J’ai écrit au début que je pouvais, en toute impunité, vous demander Quel est votre nom? Mais si je me fie aux dictionnaires, je devrais me méfier de cette question tout autant que de sa réponse « québécoise ». C’est en vain que vous la chercheriez dans le Robert, le Larousse, le Littré, etc. J’ai d’ailleurs déjà entendu ce tour condamné. Et sur Internet, j’ai trouvé récemment un article d’une importante personnalité de la francophonie (commandeur de la Légion d’honneur, entre autres), Jean-Marc Léger, qui déplore l’anglicisation du Québec : « De même, on ne dit plus : Comment vous appelez-vous? mais : Quel est votre nom? (what’s your name?). »
Et pourtant, on trouve cette expression dans quelques dictionnaires : le Trésor de la langue française cite Casimir Delavigne (1824) et Mauriac (1938); le Hachette-Oxford, le Larousse bilingue et le Harrap’s la donnent aussi. Et c’est la question qui se pose normalement d’après Béguin et les Clefs du français pratique du Bureau de la traduction. Alors, comment en est-on arrivé à soupçonner ce tour d’être un calque? Il suffit, comme on le voit, que le français ressemble de trop près à l’anglais. À l’époque, Victor Barbeau pouvait toujours invoquer le silence des dictionnaires, mais aujourd’hui, Jean-Marc Léger n’a plus cette excuse. Et nous non plus…
Je termine avec un mot sur deux traductions de La nuit des rois de Shakespeare. Dans celle de la romancière acadienne Antonine Maillet (Leméac, 1993), « My name is Mary, sir » est traduit comme vous le feriez : « Je m’appelle Maria, monsieur ». Mais que trouve-t-on dans celle de celui qu’on qualifie de « traducteur le plus respecté de sa génération », Pierre Leyris? Ceci : « Mon nom est Marie, monsieur » (GF-Flammarion, 1994)… Leyris n’a manifestement pas lu Barbeau, Colpron, Chouinard ou les autres.
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