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Chacun prend son bien où il le trouve, dit-on. Pour ma part, je trouve souvent la matière de mes Mots de tête dans les Anglicismes au Québec de Gilles Colpron. Le billet d’aujourd’hui ne fait pas exception.
À ma connaissance, Colpron est le seul à signaler que la tournure « avoir le dos large » est un calque de l’anglais1. Encore une fois, les dictionnaires bilingues semblent lui donner raison : invariablement, « to have a broad back » est rendu par « avoir bon dos ». Quant aux dictionnaires unilingues courants (Larousse, Quillet, Robert et compagnie), ils ne connaissent qu’« avoir bon dos ». Et plus curieux encore, les glossaires du parler français au Canada n’ont jamais entendu parler du calque en question…
Cet oubli est difficilement explicable, l’expression étant monnaie courante chez nous. (Autrement, Colpron n’aurait pas pris la peine de la recenser.)
D’ailleurs, elle n’est pas inconnue des Français. Ni des Belges.
Je l’ai entendue dans le film Norma Rae, vraisemblablement doublé en France.
Je l’ai lue chez Morvan Lebesque, ancien chroniqueur au Canard enchaîné.
On fait de l’esprit sur son dos, et Dieu sait si elle a le dos large2.
Ainsi que chez le successeur de feu Maurice Grevisse à la Libre Belgique, André Goosse. (Je vous recommande la lecture de ses chroniques, publiées sous le titre « Façons de parler ».)
Si large que soit le dos des typographes, il ne peut toujours cacher les responsables3.
Ma quatrième source est intéressante à un double titre. Les auteurs du Dictionnaire du Gai Parler, Michel Lis et Michel Barbier, enregistrent à la fois « avoir le dos large » et « avoir bon dos », mais ils semblent vouloir établir une distinction entre les deux.
Avoir le dos large – pouvoir recevoir beaucoup de griefs qu’on porte généreusement à votre crédit4.
Avoir bon dos – Avoir le moyen de faire les frais d’une aventure dont on vous charge d’endosser les responsabilités5.
De cette dernière expression, qui date du 17e siècle d’après Duneton6, les auteurs ne retiennent que le sens premier. Dès la fin du 19e, elle avait pris une extension de sens : « être insensible aux injures, aux mortifications, aux outrages » (Bescherelle7). C’est de loin le sens le plus courant aujourd’hui. Et le seul que retienne le Lexis :
Avoir bon dos, supporter avec bonne humeur les railleries8…
Si, au départ, les deux tournures n’avaient pas le même sens, avec le temps elles sont devenues synonymes.
Mais s’il subsistait encore le moindre doute dans votre esprit, mon dernier exemple devrait le dissiper. Le Trésor de la langue française9 donne pour « avoir bon dos » sensiblement la même définition que le Lexis, mais il ajoute ceci : « synon. avoir le dos large ». Malheureusement, on ne cite aucun exemple.
Qu’importe après tout, l’affaire me semble entendue. Après Lebesque (qui n’écrit pas n’importe comment) et Goosse (qui doit sentir l’œil de Grevisse dans son dos), et avec la caution de deux dictionnaires, je ne me ferai plus scrupule d’employer cette locution qui, depuis beaucoup plus longtemps que l’autre, fait partie de mon « patrimoine linguistique ».
En terminant, qu’on me permette une petite anecdote, tout innocente malgré les apparences. Par chez nous, celui qui se faisait accuser par ses amis d’une faute qu’il n’avait pas commise, répliquait : « Envoyez! Envoyez! J’ai le dos large pis les fesses étrètes, ça passe tout drette. »
Excusez-la!
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