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Tous dans le même bateau.
(Hélène J. Gagnon, Blanc et Noir, Éditions de l’Arbre, Montréal, 1944.)
Je serais curieux de savoir depuis combien de temps les Québécois emploient cette expression – un demi-siècle? un siècle? Peut-être même depuis l’arrivée des Anglais au Canada? Car, vraisemblablement, ils l’auraient empruntée à leurs compatriotes anglophones. C’est ce que nous disent Gilles Colpron1 et André Clas2.
Effectivement, les dictionnaires de langue française ignorent cette tournure. Quant aux dictionnaires bilingues, depuis les plus anciens (Clifton et Grimaux3, Jules Guiraud4) jusqu’aux plus récents, ils rendent tous in the same boat par logé à la même enseigne. Certes, on rencontre aussi dans le même cas, dans la même galère (Robert-Collins*), du même convoi (Larousse), mais de l’usage québécois, aucun signe. (Soit dit entre parenthèses, les formules avec « galère » et « convoi » sont inconnues des dictionnaires de français.)
Je n’ai rien contre la vieille locution – « loger à la même enseigne » est deux fois centenaire –, mais il faut bien dire qu’elle appartient à la fois à un registre et à un niveau de langue qui ne sont pas ceux du quotidien du traducteur : correspondance, notes de service, procès-verbaux. Dans un discours, à la rigueur, ça peut aller, mais encore là, tout dépend de l’auditoire.
S’il s’agit d’un texte informatif, « dans le même cas » me paraît tout indiqué (on perd l’image du bateau mais on ne peut pas tout avoir). Mais que diable peut-on faire de cette galère? Outre que le mot fait vieillot, littéraire, l’idée de vie très dure qu’il évoque est rarement sous-entendue dans l’anglais. Scrupule excessif, sans doute, mais la traductrice d’une nouvelle de Chester Himes n’hésite pas à l’employer :
Je crois qu’on est tous dans la même galère5…
Passe donc pour « galère », mais que penser de « convoi »? Comme je l’ai dit, l’expression « du même convoi » ne figure dans aucun dictionnaire de français. Mais les ouvrages bilingues la connaissent. Outre le Larousse, le Harrap’s Slang Dictionary6 la donne. Chose assez amusante, dans le premier, on trouve l’expression à boat mais pas à convoi; dans le second, c’est le contraire.
J’en arrive enfin à l’objet de mon billet, la locution avec « bateau ». Dès 1971, Albert Beaudet (Dictionnaire des nouveautés linguistiques7) traduit to be in the same boat par être sur le même bateau. C’est lui qui souligne, sans doute pour attirer l’attention du lecteur sur la bonne préposition à employer.
Paul Guth, grand défenseur de la langue et de la culture françaises, emploie lui aussi cette tournure :
(…) ils rament sur le même bateau.8
ainsi qu’André Fontaine, directeur du Monde :
(…) nous vivons tous sur le même bateau9…
… et le Harrap’s Slang Dictionary (à boat, mais pas à bateau).
Et si, par esprit de contradiction, on mettait dans à la place de sur, se brouillerait-on – pour une simple préposition – avec les autres francophones de la planète?
Pas d’après Bruno Lafleur, qui enregistre « dans le même bateau » dans son Dictionnaire des locutions idiomatiques françaises10. Mais, assez curieusement, il cite un exemple de l’Express qui ne nous avance guère :
(…) son Premier ministre et son ministre des Finances sont sur le même bateau.
C’est moi qui souligne. Cette incohérence s’explique-t-elle par le fait que pour l’auteur les deux formes sont interchangeables? Possiblement, comme disent les gens.
Quoi qu’il en soit, M. Lafleur a raison, « dans le même bateau » se dit. Et depuis assez longtemps. Ma première source, un roman policier, date de 1953 :
Nous sommes tous dans le même bateau11.
Ma deuxième source est un collaborateur de la revue Traduire. « We are all in the same boat » et son équivalent français « se correspondent parfaitement », nous dit Jean Maillot12. Hélas, comme il néglige de donner cet équivalent, comment savoir s’il aurait mis sur ou dans? ou les deux?
Ma dernière est un lexicographe. Jean Pierre Causse, auteur du Dictionnaire des vrais amis13, donne seulement « dans le même bateau ».
Enfin, j’ai entendu l’expression dans le film Furyo, version française de Merry Christmas, Mr. Lawrence, et dans un dessin animé, le Conte de Noël de Dickens (adapté, je crois, du japonais).
J’en étais là dans la rédaction de ce billet lorsqu’est sortie la dernière édition du grand Robert. Comme s’il avait voulu ménager la chèvre et le chou, plaire à la fois aux Québécois et aux Français, il donne les deux :
Par métaphore. Être embarqué sur, dans le même bateau.
Malheureusement, il n’y a ni exemple ni explication. Mais qu’importe après tout, puisque l’expression est officiellement attestée par un grand dictionnaire de la langue. Que vous faut-il de plus pour oser l’employer? La bénédiction du Bureau des traductions?
Se trouve à *boat, mais pas à galère.
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