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Dans toutes ces citations, je ne prétends pas endosser les passages que j’emprunte
(auteur anonyme).
Dans son Guide du traducteur, Irène de Buisseret consacre près de dix pages à ce qu’elle appelle le « néo-français ». Formé d’emprunts ou d’anglicismes, ce lexique se compose aussi, écrit-elle, de « termes qui ont acquis un sens tout nouveau en passant du concret à l’abstrait »1. Et elle donne comme exemple « le président endosse cette politique ». Elle n’en dit rien de plus, et ne le retient même pas dans le « mini-glossaire d’anglicismes solidement ancrés dans le néo-français » qu’elle présente ensuite. Mais le plus étonnant, c’est qu’elle ne mentionne pas que ce représentant du « néo-français » nous était déjà connu.
Évidemment, nous l’appelions autrement. Une fiche (nº 173) du Comité de linguistique de Radio-Canada – qui doit dater du milieu des années 60 – indique que c’est sous l’influence de l’anglais que nous donnons à « endosser » le sens d’approuver ou d’appuyer. Si André Clas et Paul Horguelin2 prennent la peine de l’inclure dans leur courte liste de moins de 250 anglicismes, c’est que le calque devait être courant. Ce que viendra confirmer l’année suivante le répertoire d’anglicismes de Gilles Colpron3. La même année, Victor Barbeau4 le relève aussi. Par la suite, plusieurs défenseurs reprendront cette mise en garde : Jean Darbelnet5, Madeleine Sauvé6, Marie-Éva de Villers7. Et plus récemment, Lionel Meney8, Jacques Laurin9 et Paul Roux10.
Depuis la parution de cette fiche, on aurait pu croire que la position de Radio-Canada avait changé, puisque des deux linguistes de la maison, l’un (Guy Bertrand) n’en parle pas et l’autre (Camil Chouinard) ne le condamne pas : « endosser un geste, un projet – l’approuver, l’appuyer; la directrice a endossé sans hésiter la proposition de Julie »11. Aussi est-il étonnant de constater, dans une nouvelle version de son recueil, que Camil Chouinard a changé son fusil d’épaule : « Il faut éviter d’employer ENDOSSER au sens d’approuver un projet, une décision, une candidature. On dira donc : APPROUVER ou APPUYER un programme, des projets, une candidature »12. Une brève explication de cette palinodie aurait été la bienvenue.
Mes deux premiers exemples réunissent, sans les réconcilier, deux vieux adversaires politiques. Le premier est de Pierre Trudeau, avant son entrée en politique : « Un rédacteur politique endossera une opinion à l’effet que la grève est désuète »13. Le second est de René Lévesque, avant son entrée à l’Assemblée nationale : « En laissant paraître [le Manuel du 1er mai], le CEQ paraît ainsi l’endosser » (Le Jour, 24.04.75). Sans le savoir, un bon historien fait lui aussi dans le néo-français : « les tenants de l’américanité endossent cette critique » (Yvan Lamonde, Le Devoir, 11.09.98). De même qu’un journaliste néo-québécois de longue date : « les commentateurs du National Post l’ont déjà endossé » [le discours de Stephen Harper] (Michel Vastel, Le Droit, 22.01.02). Enfin, un journaliste de La Presse l’emploie dans sa Lettre ouverte aux antiaméricains (Richard Hétu, 8.11.03), ainsi que deux éditorialistes du même journal, Mario Roy (28.01.04) et André Pratte (18.09.04, 5.08.06).
De l’autre côté de l’Atlantique, les mises en garde sont plutôt rares. Sauf erreur, Maxim Koessler14 est le seul à indiquer, dans la deuxième édition de son ouvrage, qu’il s’agit d’un faux ami. Et tout comme chez nous, c’est surtout dans la presse qu’on le rencontre. Dans le Monde diplomatique : « il continue de s’interroger sur les raisons qui ont conduit le président américain à endosser une proposition israélienne » (Paul-Marie de La Gorce, septembre 2001), et dans le Monde : « Pareille audace sera-t-elle soutenue politiquement? Jacques Chirac l’endosse-t-il? » (Philippe Bernard, 12.12.03). Cette extension de sens en fait pourtant tiquer certains : « émettre des instructions pour que le Conseil de sécurité « endosse » le pouvoir exercé à Bagdad » (Le Monde, 12.05.03); « le Conseil était prié d’« endosser » le projet » (Corine Lesnes, Le Monde, 23.05.05). Mais c’est le fait d’une minorité. Enfin, je l’ai rencontré dans l’ouvrage d’un journaliste sur Patrice Lumumba : « Kasavubu a présidé le Conseil des ministres et donc endossé les décisions »15.
Sur Internet, bien sûr, les exemples abondent. Un communiqué de la République française : « la possibilité pour les pays en développement de souscrire à des objectifs volontaires, avant d’endosser une proposition concrète » (26.04.07). Le Temps de Genève : « [on] aura vu pour la première fois un parti gouvernemental endosser une proposition [qui] aurait valu à la Suisse une mise au ban des nations » (Éric Hoesli, 25.09.00). Un site belge : « en Belgique, l’exécutif actuel ne peut plus endosser de décision à haute portée politique » (Prisma international, 28.08.07). Le site de Jeune Afrique : « c’est le réformateur Khatami qui a personnellement endossé la décision de la reprise des activités d’enrichissement de l’uranium » (07.05.06).
On rencontre aussi, fréquemment, endosser un rôle, une mission, des fonctions, ce qui correspond à l’un des sens d’« endosser » que le Trésor de la langue française présente ainsi : « [Le sujet joue un rôle actif] Prendre sur soi. Synonyme assumer, se charger de ». Et il donne comme exemple la citation « anonyme » en épigraphe. Vous étiez-vous demandé si c’était un calque ou du néo-français? Eh bien non, la citation vient des Causeries du lundi de Sainte-Beuve, qui datent des années 1850. Personnellement, j’y verrais plutôt le sens de « faire sien ». Même si « faire sien » est un des équivalents proposés par Koessler et Meertens16 (qui en donne une trentaine) pour éviter « endosser »…
Il y a au moins trois dictionnaires, oubliés ou méconnus, qui donnent à « endosser » le sens de son pendant anglais. Si on dépoussière ce bon vieux Clifton-Grimaux17, on y lit ceci : « endosser les idées d’un autre – to endorse another’s ideas ». Est-ce les faire siennes ou les approuver? Charles Petit18 est plus explicite : « endosser (fig.) — to back, to support, to confirm ». Ici, le doute n’est plus permis. Et un dictionnaire québécois tout récent enregistre « endosser » comme si ce sens allait de soi : « des sénateurs ont endossé ses paroles – the senators have condoned his words »19 (« condone » fait sourciller, mais là n’est pas la question). Et avec les 1300 pièges de Camil Chouinard, avant sa conversion, cela ferait quatre sources.
Je ne crois pas que je pourrais jamais aller jusqu’à « endosser un candidat », par exemple. Mais Charles Péguy m’a presque fait changer d’idée. Il emploie aussi bien le verbe que le substantif : « Les politiciens veulent que nous endossions leurs politiques »20; « Par Jaurès, c’était le gouvernement même qui endossait Hervé » ; « ceux qui ont fait et endossé Hervé, fait et endossé le hervétisme » ; « Par son endossement du combisme… » ; « Par endossement de Hervé, nous avons vu Jaurès. Par endossement de Jaurès… » Ouf ! Je m’arrête là. On peut reprocher à Péguy de se répéter (c’est dans sa manière), mais peut-on l’accuser d’avoir été influencé à ce point par l’anglais?
Et finalement, si on acceptait qu’« endosser » ait pris un nouveau sens? qu’il soit passé du concret à l’abstrait, comme le dit Irène de Buisseret. N’est-ce pas normal qu’il évolue? Si ça n’avait pas été le cas, vous n’oseriez peut-être même pas endosser votre veste aujourd’hui. Au 17e siècle, nous apprend Ferdinand Brunot21, « endosser un vêtement » était considéré comme burlesque…
En outre, admettre cet usage serait une façon de nous venger des Anglais… pour nous avoir emprunté « endosser » au Moyen Âge. Ce qui vous vaut des maux de tête aujourd’hui.
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