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Le prix de la viande, exprimé en termes de pommes de terre1.
Si la tournure en termes de, employée comme ci-dessus, vous donne des cauchemars, ou des états d’âme, il serait peut-être indiqué de prendre un calmant. Ou de passer à l’article suivant.
Car ce Mots de tête s’adresse d’abord à ceux qui ont déjà succombé à la tentation de l’employer, mais qui ne le font jamais sans un léger pincement au cœur. Et à ceux qui seraient bien tentés de le faire…
Sérieusement, comme on voit de plus en plus cette expression sous la plume de bons auteurs, je me suis dit que le moment était venu de remettre en question la condamnation dont elle fait l’objet.
Sauf erreur, c’est Irène de Buisseret2 qui a été la première à attacher le grelot. Dès 1975. Depuis, chose assez étonnante, les condamnations ou mises en garde ont été plutôt rares : une fiche Repères-T/R du Bureau de la traduction3, et deux ouvrages, le Dictionnaire des particularités de l’usage de Jean Darbelnet4 et le Multidictionnaire des difficultés de la langue française de Marie-Éva de Villers5. Si on ajoute les dictionnaires bilingues (ou de faux amis, comme Roey, Granger et Swallow6), on a à peu près fait le tour de ceux qui sont contre.
Mais commençons par le commencement. Voyons d’abord la définition de la présumée coupable, in terms of: regarding, concerning, nous dit le petit Webster. Avec cette définition en tête, on serait difficilement tenté de traduire par en termes de. Alors, pourquoi le fait-on? et aussi souvent? Même lorsqu’on écrit en français?
C’est ce qui m’a amené à me demander si la rédactrice de la fiche Repères-T/R avait raison d’affirmer que c’est « uniquement sous l’influence de l’anglais » qu’une tournure comme en termes d’emplois se glisse dans nos traductions.
Chez nous, que l’anglais y soit pour quelque chose, nous n’allons pas nous chicaner là-dessus. Nous vivons dans un monde anglais, depuis presque deux siècles et demi, c’est un peu normal.
Mais en France, où l’on n’a pas encore sacrifié Rimbaud à Rambo – aux dernières nouvelles, en tout cas –, comment expliquer qu’on l’emploie comme si on l’avait sucée avec le lait maternel? Faut-il mettre ça au compte de cette anglomanie endémique dont les Français ont le secret?
Je serais plutôt porté à croire que ce nouveau sens est apparu à peu près en même temps dans les deux langues. De fait, in terms of au sens de concerning ne semble pas très vieux. Irène de Buisseret n’en parle pas dans son Guide du traducteur paru en 1972; dans l’édition de 1975 (due aux soins de Denys Goulet), on indique que ce sens s’est surtout répandu vers 1972-1975, mais qu’il était déjà connu dans les années 50. Ce qui est corroboré en quelque sorte par Charles Petit7, qui l’enregistre pour la première fois dans son supplément de 1959. On en trouve également des exemples dans le Carbonneau8 (le BT-147), paru entre 1957 et 1960. Le Harrap’s, pour sa part, ne le donne que dans son supplément de 1962.
Du côté français, ma première source date de 1950. Elle est de François Nourissier :
(…) les problèmes se posaient en termes d’organisation9.
On fait ensuite un bond de quinze ans, avec un document du gouvernement français, le fameux Plan :
Expression des besoins en termes de niveaux de formation10.
À partir de cette date (1965), j’ai trouvé un exemple pour la plupart des quinze années suivantes. Commençons par le regretté Alfred Sauvy, démographe et économiste, professeur honoraire au Collège de France :
(…) si l’absolution pouvait se faire en termes de vies humaines11.
Ensuite, le sociologue Edgar Morin :
(…) en termes de croissance et de développement12.
Suivi d’un autre sociologue, Alain Touraine :
(…) l’analyse n’est pas menée en termes de classes, mais plutôt en termes d’élite dirigeante13.
Les années se suivent et se ressemblent (1970, 1971, 1972, 1973) :
(…) en termes de population, les maux sont discrets14.
En termes de population, pour éviter une baisse15.
(…) se traduire en termes de nouveautés techniques16.
(José Miró Cardona) conçoit les relations américano-cubaines en termes de clientèle17.
(…) analyse en termes de secteurs ou de branches (…)18.
Ce problème de production peut être posé en termes de choix19.
Pas moins de neuf exemples dans le beau livre de Jacques Rigaud, La Culture pour vivre. Je me contenterai de deux :
(…) résultats chiffrables en termes d’espaces verts20.
En termes de culture, (l’Amérique) n’est ni un défi ni un épouvantail (…)21.
Un autre document du gouvernement français :
(…) celle-ci s’exprimera en termes de gains financiers22.
Au tour des sociologues de nouveau :
On commence à penser en termes d’équipe (…)23.
(…) pour présenter l’histoire du Canada français en termes de rapports politiques24.
(…) la progression des effectifs globaux en termes de personnes (…)25.
Après la Sociologie, voici l’Éducation et la Philosophie :
(…) l’enseignant doit se resituer non pas en termes de concurrence (…) mais en termes de médiation26.
Le problème ne se posait plus (…) en termes d’affrontement mais d’émulation (…)27.
Et enfin, pour couronner le tout, deux linguistes, traducteurs par-dessus le marché :
Il est vrai qu’en grec ancien (…), on réinterprète les aspects en termes de « temps » (…)28.
À plus forte raison est-ce en termes d’affrontement et de pugnacité que vont s’exprimer (…)29.
Deux dictionnaires me fournissent mes derniers exemples, le Petit Larousse illustré de 1989, un peu à son insu :
Marchéage – branche du marketing, coordination de l’ensemble des actions commerciales en termes de dosage et de cohérence.
Et le nouveau Harrap’s portatif (1991) :
In terms of salary/pollution – en termes de salaires/de pollution.
Je vous fais grâce des nombreux exemples que j’ai trouvés dans la presse. Qu’il suffise de dire que journaux et revues logent tous à la même enseigne : le Magazine littéraire, L’Express, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Monde diplomatique (sans parler de la presse québécoise).
Je vois que vous hésitez encore. Alors, n’employez pas l’expression en termes de. Consultez plutôt Irène de Buisseret ou la fiche Repères-T/R. Vous y trouverez sûrement chaussure à votre pied. On vous propose une bonne quinzaine de solutions.
Après tout, en termes de n’est pas incontournable. On peut l’éviter. J’en ai eu la preuve encore récemment. Dans Letters to a Québécois Friend de Philip Resnick30, on rencontre in terms of plusieurs fois. Pas une fois la traductrice – qui tombe pourtant dans le piège du calque à plus d’une reprise (s’objecter, point tournant, prendre pour acquis) – n’a traduit par en termes de.
Mais si vous avez un faible pour cette tournure et qu’il vous faut une caution supplémentaire, voyez le Multidictionnaire des difficultés de la langue française : dans la première édition (1988), on parle de « calque », mais dans la dernière (1992), il n’y en a plus la moindre trace. Simple oubli? Peu probable. Je vois mal Marie-Éva de Villers laisser tomber une faute par inadvertance; elle en rajouterait plutôt.
Vous ne me croyez pas? Voyez par vous-même : dans l’édition de 1992, présumément est à remplacer par prétendument (en 1988, on nous le proposait pour éviter supposément). À l’effet que, de terme de droit qu’il était, à éviter dans la langue courante, devient un calque. Dans la première édition, on rencontre l’exemple marcher deux kilomètres. Dans la nouvelle, il est dit que marcher est intransitif et ne peut être suivi d’un complément de distance « comme en anglais » : il faut dire faire 2 km. (Voir ce qu’en pense Claude Duneton dans Parler croquant31.) Demander une question, impropriété en 1988, est qualifié de calque en 1992. Se fier sur, accepté il y a quatre ans, a vieilli depuis. Et ainsi de suite.
Vous croyez toujours que c’est un oubli?
* C’est moi qui souligne.
** Inutile de vous ruer sur le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (le DQA, comme on l’appelle), l’expression n’y est pas.
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