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Ne faut-il pas regretter le temps scolaire sacrifié en vain à retenir des exceptions, qui aurait pu servir à acquérir soit une ouverture d’esprit, soit des connaissances supplémentaires?
Augustin Paul
Tout professeur, sans le savoir, laisse sa marque chez l’étudiant. Bonne ou mauvaise. Dans mon cas, il en est un que je me rappelle comme si c’était hier. C’est vous dire la marque qu’il a laissée! In..dé..lé..bi..le.
Ce qui l’a rendu si important à mes yeux – je ne l’ai compris que plus tard –, c’est la façon qu’il avait d’aborder un problème, mathématique en l’occurrence. Un jour, il nous demande quelle est l’équivalence de cos (α + β). Cos α cos β – sin α sin β ou cos α cos β + sin α sin β? Nous l’ignorions tous. Ce que nous savions par contre, c’était où trouver la réponse. Nous voyant tous chercher dans notre « bible » (Mathematical Tables), il nous dit : « Vous ne l’aurez pas toujours sous la main. » Et il se met à dériver l’équivalence recherchée. Lui, savait d’où elle venait. Nous, pas. Il avait devant lui des chiens de Pavlov… Cela ne faisait aucun doute dans son esprit, car il enchaîne aussitôt en nous demandant si quelqu’un pouvait effectuer une simple multiplication en commençant par la gauche plutôt que par la droite. On aurait entendu une mouche voler. Un silence de mort. Un silence assourdissant. Il venait de faire la preuve, d’une manière on ne peut plus éloquente, que nous savions comment faire, mais ignorions pourquoi nous le faisions. Bref, nous étions bel et bien des chiens de Pavlov. Nous avions été « conditionnés » à effectuer la bonne suite d’opérations pour obtenir la réponse, mais nous n’étions pas foutus d’expliquer pourquoi cela fonctionnait.
J’ai compris, beaucoup plus tard, que l’apprentissage de la langue maternelle tient, lui aussi, du réflexe de Pavlov, mutatis mutandis. J’avais appris comment dire, comment écrire, sans jamais me demander pourquoi. C’était inutile, car ce qu’on attendait de moi, c’était que je mémorise, purement et simplement – pour ne pas dire bêtement –, les faits de langue (grammaticaux, syntaxiques, orthographiques, etc.) qui constituent le « bon parler » ou ce qu’on avait décidé que serait le « bon parler ». Et si je pouvais régurgiter, sur demande, tout ce qu’on m’avait forcé à mémoriser, le succès m’était assuré.
Encore de nos jours, c’est la façon d’enseigner une langue : à coups de « règle », à coups de « dictionnaire », à coups de « grammaire », à coups de « c’est comme ça ». Et c’est ce que j’ai fait, moi aussi. Jusqu’au jour où…
Jusqu’au jour où j’ai eu à expliquer à un ami colombien, désireux d’apprendre le français, pourquoi il lui fallait dire ceci plutôt que cela. En matière de langue, tout n’est pas rationnel, j’en suis très conscient, mais n’avoir à fournir comme explication que « c’est comme ça » devient gênant à la longue.
J’ai donc fouillé pour en savoir plus sur ma langue. Je suis maintenant en mesure de dire que plus j’en apprendsa, plus je comprends pourquoi tant d’enseignants jettent leur dévolu sur l’acquisition de réflexes « conditionnés » : la logique n’est pas souvent au rendez-vous. Pire, la langue souvent se contredit elle-même. Arrivent alors les trop nombreuses exceptions qui émaillent le « bon usage » et, conséquemment, les difficultés que présente l’apprentissage du français.
Pourquoi, l’espace d’un instant, ne pas vous mettre dans la peau de celui qui veut expliquer à un allophone pourquoi…
Q. Pourquoi atmosphère, hémisphère et planisphère ne sont-ils pas du même genre?
R. Parce que c’est comme ça.
Quand j’étais jeune, on m’a « conditionné » à penser que l’atmosphère est LA chemise de la Terre. Donc, féminin. À l’époque, je trouvais ce truc génial. Aujourd’hui, je le trouve plutôt bête. Je venais certes d’apprendre, grâce à ce moyen mnémotechnique, que atmosphère est féminin, mais j’ignorais tout des 28 autres mots qui, dans le Petit Robert 2010, se terminent par –sphère. On aurait pu nous expliquer qu’en français un mot formé d’un préfixe prend le genre du nom préfixé : hémicycle (masc.), hémicellulose (fém.), supraconducteur (masc.), supranationalité (fém.), quasi-totalité (fém.), quasi-synonyme (masc.), etc. Mais pour cela il aurait fallu que l’enseignant le sache et qu’il sache également qu’il y a deux exceptions : planisphère et hémisphère!
Pourquoi ces deux mots ne sont-ils pas, eux aussi, féminins? Cette incongruité a déjà été relevée, voilà plus de deux siècles, par Jean-François Féraud. À l’entrée planisphère de son Dictionaire critique de la langue françoise1 (1787), il écrit : « Quoique ce mot soit un composé de sphère, qui est du féminin, l’usage l’a fait masculin. » Le critère absolu de l’acceptabilité d’un fait de langue serait donc l’usageb! Comment alors concilier cette proclamée suprématie de l’usage avec ce qu’on peut lire, dans le même ouvrage, à l’entrée athmosphère [sic] :
M. Bailly, ou son Imprimeur, fait atmosphère [sic], masc. “Vers les poles, dont l’atmosphère est moins agité, puisqu’on y est tout-à-fait immobile.” Il faut agitée. M. Linguet dit aussi : “C’est dans cet atmosphère qu’un prisonier respîre.” Il faut cette atmosphère.
Prétendre que Bailly et Linguet sont fautifs, c’est ignorer que l’Académie française, en 1694, dans la 1re édition de son dictionnaire, donnait atmosphère comme nom masculin. Tout comme planisphère et hémisphère. Ce devait être, il faut croire, l’usage! Mais, dans la 4e éd. (1762), seul atmosphère est devenu féminin. Pourquoi l’usage n’a-t-il modifié que celui-là? Mystère. Fort heureusement, tous les mots qui sont apparus plus tard et qui se terminent par –sphère ont été créés féminins. Il faut donc savoir que – et surtout ne pas se demander pourquoi – planisphère et hémisphère sont masculins, et eux seuls. Il faut être « conditionné » à les utiliser comme tels.
Q. Pourquoi faut-il dire LE héros mais pas LA héroïne?
R. Parce que c’est comme ça.
Un francophone de naissance ne se pose pas la question. Il sait, lui, car c’est ce qu’il a toujours entendu dire. Pour un allophone, il en est bien autrement.
Est-ce le h aspiré de héros qui est devenu muet chez Madame ou le h muet de héroïne qui est devenu aspiré chez Monsieur? En pratique, cela n’a aucune importance. Mais en savoir un peu plus pourrait peut-être simplifier la tâche à l’allophone qui, désirant s’exprimer correctement, se demande si le h initial de tel mot français est muet ou non. Y aurait-il une règle qui lui permettrait de savoir, autrement qu’à force de l’entendre dire, la nature du h en question? Par exemple, faut-il dire l’hernie discale ou la hernie discale? La notion d’handicap ou la notion de handicap? Une sauce à l’harissa ou une sauce à la harissa? En tant qu’huissier ou en tant que huissier? L’hideuse figure ou la hideuse figure? Les cris de l’hyène ou les cris de la hyène? Voilà, le problème est posé.
Vaugelas est venu à notre secours. Il a formulé une règle générale, claire et fort simple : le h initial d’un mot français est muet si ce dernier vient d’un mot latin commençant par h : l’honneur (de honor); l’heure (de hora). Il n’y avait plus rien à ajouter; tout était dit. Mais, Vaugelas d’ajouter, cette « règle générale infaillible en presque tous les mots souffre exception en celui-cy : il faut dire le héros ». Il aurait été plus exact de dire « souffre DES exceptions », car héros ne fait pas bande à part. Nous n’avons qu’à penser à : hennir, hennissement, harpie, haleterc, hernie, hérisson, hiatus, huissier, hyèned, sans oublier hiérarchie, hiérarque, hiératique, hiérodule. Même s’ils viennent tous du latin, leur h initial est aspiré.
Vaugelas a même ajouté : « Il n’importe pas que les Latins l’ayent pris des Grecs, il suffit que les Latins le disent ainsi… » Cela signifie-t-il que le h n’est pas muet si le mot vient du grec? On pourrait le penser. Mais, en fait, le seul mot français d’origine grecque ayant un h initial aspiré – n’essayez pas de savoir pourquoi – serait holisme. Mais cela n’empêche pas holocauste, pourtant formé du même préfixe, d’avoir, lui, un h muet! C’est comme ça. Il serait donc plus exact de dire, comme Goosse l’a fait, que généralement les mots d’origine autre que latine ou grecque possèdent un h initial aspiré. Règle fort peu utile, car, de nos jours, rares sont ceux qui connaissent le latin ou le grec. À l’époque de Vaugelas, c’était bien différent.
Il n’est évidemment pas question pour l’allophone d’apprendre le grec et le latin, car même s’il les connaissait, il ne serait pas au bout de ses peines. Il lui faudrait retenir les exceptions. Il doit donc mémoriser les 189 mots qui, selon Grevisse, ont un h aspiré, et surtout ne pas se demander pourquoi il en est ainsi.
Q. Pourquoi faut-il dire SA victoire, mais SON éclatante victoire?
R. Parce que c’est comme ça.
Hors contexte, personne n’oserait prétendre que mettre au masculin un adjectif qui détermine un nom féminin est correct d’un point de vue grammatical. C’est pourtant ce que nous faisons quand nous disons SON éclatante victoire.
La règle générale est pourtant claire : l’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le nom (ou pronom) auquel il se rapporte. Alors pourquoi ne pas dire SA éclatante victoire? Parce que, dira-t-on, le français ne tolère pas la juxtaposition de deux voyelles, une finale et une initiale (ou un h muet qui équivaut à une voyelle). Une telle conjonction agaçait tellement l’oreille des anciens – ils l’avaient très sensible – qu’ils ont inventé toutes sortes de trucs pour l’éviter. En voici quelques-uns : cE commerçant/cET arbre; la vérité touTE nue/la vérité touT entière; le nouVEAU livre/le nouVEL ane; la porte DU théâtre/la porte DE L’ancien théâtre. Soit, mais aucun de ces trucs n’est d’une inconséquence aussi flagrante que d’utiliser un adjectif masculin avec un nom fémininf. L’intolérance, qu’ont manifestée les anciens à cette agaçante conjonction, est toutefois fort sélective. Ils ont accepté, et même prescrit, que l’on écrive presquE Autantg…; sI Elle…; prends-lE Aussi; cE À quoi je pense; sI Un tel livre…; être sI Adroit; à toutE Heure, etc. Alors, pourquoi sA Éclatante victoire serait-il si choquant? Parce que c’est comme ça!
Autre possibilité : l’allophone pourrait se demander pourquoi ne pas dire s’éclatante victoire? L’élision de la voyelle finale n’est-elle pas courante en français! Il suffit de penser à : il faut qu’il…; s’il est capable…; l’église…; donne-m’en; jusqu’ici…; lorsqu’en 2001…, etc. Dans ces cas-là, c’est acceptable, mais pas dans s’éclatante victoire? Pourtant, une telle élision n’a pas toujours été interdite. On trouve dans la Chanson de Roland, écrite à la fin du XIe siècle :
E Durendal, s’espee, en l’altre main2.
Marot (1496-1544), dans sa célèbre épigramme sur l’accord du participe passé3, a écrit :
La chanson fut bien ordonnée
Qui dit, m’amour vous ay donnéeh
Jean Nicot (1530-1600), dans son Thresor de la Langue Francoyse, tant Ancienne que Moderne4, nous dit que M’amie signifie Ma amie. Ce n’est donc que plus tard que l’oreille est devenue trop chatouilleuse pour pouvoir entendre, sans grincer des dents, une telle suite de sons. Que faire pour y remédier? Utiliser, avec un nom féminin, un adjectif masculin, qui se termine par une consonne! Ce n’est pas ce que j’appellerais la découverte du siècle! Mais, c’est ainsi. On a donc préféré faire un accroc au bon sens, à la logique, plutôt que choquer l’oreille délicate, mais fort sélective, de certaines gens.
Les trois problèmes que nous venons d’examiner ne sont pas des cas isolés. En voici d’autres auxquels j’aimerais pouvoir répondre autrement que par : « C’est comme ça. »
Bref, je m’estime chanceux d’avoir le français comme langue maternelle. Les incongruités de cette langue me sont rentrées dans l’oreille en même temps que le lait maternel dans la bouche. Est-ce à dire que la langue telle que je l’ai apprise depuis le berceau est irréprochable? Certes non.
En 1936, Paul Valéry (1871-1945) écrivait dans Variété III : « L’absurdité de notre orthographe, qui est, en réalité, une des fabrications les plus cocasses du monde, est bien connue. Elle est un recueil impérieux ou impératif d’une quantité d’erreurs d’étymologie artificiellement fixées par des décisions inexplicables5. » Ce que Valéry disait de l’orthographe vaut pour bien d’autres aspects de la langue. Une réforme s’impose, mais pas n’importe laquelle. Des efforts louables sont faits dans ce sens, mais ils ne sont pas tous pertinents. Ce n’est pas en changeant « quatre trente-sous pour une piastre » qu’on réglera le problèmej.
Je rêve du jour où il n’y aura pas que ceux qui ont réussi un sans-faute à la Dictée des Amériques ou à la Dictée de Pivot qui pourront prétendre maîtriser leur langue, c’est-à-dire pas uniquement ceux qui ont mémorisé toutes les bizarreries, les absurdités de la langue. Il faudrait que celui qui veut apprendre le français puisse se servir aussi de son intelligence. Les réformateurs de la langue devraient toujours avoir cet objectif en tête, mais tel ne semble pas être le cas. N’a-t-on rien de mieux à faire que de retenir toutes ces incongruités?
Heureusement, personne ne peut m’empêcher de faire un rêve fou…
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