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Il est court. Il est pratique. Il est polyvalent. Je parle bien sûr du préfixe re–. Celui qu’on n’a qu’à greffer à un mot, généralement un verbe, pour annoncer un retour en arrière (revenir), un renforcement (redoubler) ou, plus fréquemment, la répétition d’une action (refaire). Il est si fréquent dans l’usage que les dictionnaires ne sauraient répertorier tous les mots qu’il peut modifier.
Mais une si grande facilité d’emploi cache un vice : devant un radical commençant par s et suivi d’une voyelle (comme sentir), le préfixe re– est suivi d’un seul s dans certains cas, de deux s dans d’autres. Par exemple, les dictionnaires nous donnent resaler et resituer, mais ressortir et ressaisir. Ces graphies sont-elles régies par des règles ou font-elles partie des nombreuses exceptions dont souffre la langue française? Et qu’en est-il des nombreux verbes en re– qui ne figurent pas dans les dictionnaires, comme re(s)sabler et re(s)surprendre? Doit-on privilégier une graphie en particulier?
Ces questions, je ne fais que les re(s)soulever, car grammairiens, linguistes et autres spécialistes les ont longuement examinées, sans parvenir à un consensus. Conséquence : la plupart des ouvrages de langue éludent la difficulté; quant à ceux qui en parlent, ils se contredisent les uns les autres. Pour faire le tour du problème, il m’a fallu éplucher quantité de dictionnaires et de grammaires, et même quelques traités de philologie. Je me suis vite rendu compte que ces questions touchaient à de nombreux aspects de la langue : lexicologie, prononciation, orthographe, étymologie, usage. Je ferai donc état de mes constatations pour chacun de ces aspects. Vous verrez, les contradictions abondent!
Tous les ouvrages que j’ai consultés*, récents et moins récents, s’entendent sur un point : certains verbes prennent toujours le s simple et d’autres, toujours le s double. Les verbes suivants présentent la même graphie dans au moins deux ouvrages de langue récents :
Formation | Verbes | ||
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s simple |
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s double |
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À première vue, les verbes redoublant le s semblent plus nombreux (17 contre 7). Ce sont, pour la plupart, des verbes répertoriés dans à peu près tous les dictionnaires généraux. Mais contrairement à ce que laisse croire ce tableau, les verbes prenant un s simple ne sont pas quasi absents des dictionnaires. Ils sont en fait disséminés dans différents ouvrages, chacun n’étant répertorié que dans un seul. C’est le cas du verbe resupplier, qui figure uniquement dans le Dictionnaire d’orthographe1 de Robert, du verbe resiffler, qu’on ne trouve que dans le Grand Robert, et du verbe pronominal se reséparer, présent dans le Trésor de la langue française. Fait intéressant : c’est le Littré qui recense le plus grand nombre de verbes contenant un s simple qui ne figurent pas dans les ouvrages généraux : resarcler, resaucer, resécher, resouper et resubdiviser.
Si l’on tient compte des huit verbes mentionnés, l’écart s’amenuise considérablement entre le nombre de verbes qui prennent un s simple et ceux qui le redoublent (17 contre 15). Comme le Littré ne recense l’usage que jusqu’au XIXe siècle, l’absence de ces verbes dans les dictionnaires récents dénote peut-être leur rareté dans la langue moderne.
Si les ouvrages s’entendent sur certains verbes, c’est loin d’être le cas pour d’autres. Le tableau qui suit le montre bien :
Verbe | Précision |
---|---|
re(s)soulever | Une seule occurrence trouvée dans le Trésor de la langue française, qui précise qu’on peut l’écrire avec un ou deux s. |
re(s)semer | Les ouvrages s’entendent sur le s double, sauf Robert qui indique qu’on peut aussi écrire resemer. |
re(s)songer | Le Trésor nous laisse le choix, mais le Grand Robert et le Littré proposent un seul s. |
re(s)saigner | Les ouvrages proposent le s double, à l’exception du Trésor qui nous laisse le choix. |
re(s)surgir | Tous les ouvrages nous laissent le choix. Resurgir et ressurgir font généralement l’objet de deux entrées distinctes. |
re(s)servir | On le voit généralement avec le s double, mais le Dictionnaire des difficultés du français de Robert atteste les deux graphies. Dans le Trésor de la langue française, à l’entrée resservir, on trouve un exemple de François Mauriac qui ne contient qu’un seul s : « José, le gros mangeur de la famille, oubliait de se reservir… » |
re(s)souffler | Le Grand Robert l’écrit avec un s simple, le Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne (Hanse) met le s double et le Littré propose deux entrées distinctes, l’une avec le s simple, l’autre avec le s double. |
Sachant que certains verbes redoublent le s, que d’autres non, et que l’usage demeure flottant dans quelques cas, on ne peut se fonder uniquement sur la fréquence pour déterminer quelle graphie constitue la norme et si l’une ou l’autre des graphies devrait être considérée comme l’exception. Voyons d’autres facteurs susceptibles de nous fournir des éléments de réponse.
Plusieurs ouvrages justifient le redoublement du s dans les verbes commençant par re– en se fondant sur une règle générale de prononciation : le s simple se prononce comme un z lorsqu’il est placé entre deux voyelles (oiseau = [wazo]), alors que le s double se prononce comme un ç (assaut = [aço]). Cette justification ne date pas d’hier; dans le Dictionnaire de l’Académie française, elle fait son entrée dans la troisième édition, en 1740 : « C’est pour cela que certains mots composez, dont le simple commence par une S suivie d’une voyelle, s’écrivent ordinairement avec deux SS, […] dans la crainte que si on les écrivoit avec une seule S, comme alors elle se trouveroit entre deux voyelles, on ne crût devoir la prononcer comme un Z. Tels sont les mots, […] resserrer, ressortir, ressemeler, etc. » Encore aujourd’hui, le Bon usage soutient cet argument : « Le préfixe est écrit res– traditionnellement devant s pour éviter une prononciation [rez] : ressortir, ressuer, etc. »
Certes, le s double permet d’éviter une prononciation incorrecte en z, mais il ouvre la porte à une autre erreur, soit la prononciation [rès]. Par exemple, pour ressortir, on pourrait croire qu’il faut prononcer [rès/sortir] plutôt que [re/sortir]. Mais les linguistes ont veillé au grain. Dès la 6e édition de son dictionnaire, en 1835, l’Académie précise que « S double fait prendre à l’e non accentué qui la précède, le son de l’é fermé ou de l’è ouvert, […] excepté dans les mots Dessus, dessous, et dans la plupart de ceux qui sont formés avec la particule Re, tels que Resserrer, ressemblant, ressort, etc. (Prononcez : Deçus, deçous; recerrer, recemblant, reçort, etc.) ». Cette remarque sur la prononciation figure toujours dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie. Elle est également présente dans le Grand Robert : « Devant les mots commençant par un s, l’s est généralt redoublé (ressaisir, ressortir) mais le e qui précède reste sourd (re–sor–tir). »
Ce serait bien simple si la règle était de toujours redoubler le s entre deux voyelles. Mon article se terminerait ici. Mais vous aurez deviné que ce n’est bien sûr pas le cas; il existe des règles qui justifient l’emploi du s simple après le préfixe re–. En effet, le s simple se prononce comme un z entre deux voyelles, mais comme un ç lorsqu’il commence un mot (p. ex. serrer). Suivant ce raisonnement, le Grand Robert précise que le s simple se prononce comme un ç « lorsqu’il est à l’initiale d’une racine (ex. : […] préséance, resaler, resucée) ». Et Robert n’a rien inventé; cette règle de prononciation figurait déjà dans des ouvrages** du XIXe siècle. Quant au Petit Robert, il y va d’une règle encore plus précise : le s simple se prononce z entre deux voyelles « sauf après le préfixe re– (resalir) et dans certains composés (antisocial, parasol) ».
Il semble donc qu’en français, le s simple et le s double puissent exprimer le même son dans les mots contenant le préfixe re–.
Les règles de prononciation que nous venons de voir, avec leurs contradictions, donnent lieu à plusieurs graphies possibles des mots en re–.
En effet, dans un ouvrage de philologie de 18782, le grammairien belgo-russe Jean Bastin avançait qu’on ne redouble pas le s dans les verbes en re– ayant une valeur itérative si le verbe dont ils dérivent se trouve déjà dans la même phrase (p. ex. il a servi les invités et il les reservira demain). Il maintenait toutefois le redoublement du s pour les autres verbes en re–, tels ressembler et ressentir. Bastin introduisait donc l’idée que la graphie des mots pouvait varier en fonction de leur valeur. Cette « règle », qui ne favorise certainement pas l’uniformité, ne semble pas avoir traversé les années.
De son côté, le Bon usage fait état d’une pratique qui laisse miroiter une possible solution : « pour les verbes qui ne sont pas dans l’usage général, les auteurs séparent parfois le préfixe par un trait d’union ». On pourrait donc re-surprendre, re-signaler, re-souligner. À première vue, le trait d’union semble une bonne option; il règle tout problème de prononciation et fait bien ressortir la valeur itérative du mot. Toutefois, selon le linguiste et philologue Vladimir G. Gak, cette solution a ses défauts. Comme les mots qui commencent par le préfixe re– dans les dictionnaires sont toujours soudés, l’emploi du trait d’union « présente l’inconvénient d’isoler ces mots de la série des autres composés3 » construits avec ce préfixe. Je vois un seul cas où le trait d’union semble inévitable, soit lorsque le préfixe re– est employé dans un mot qui comporte déjà un trait d’union. Par exemple, dans le Trésor de la langue française, on trouve le verbe re-sous-traiter.
Lorsque les ouvrages ne s’entendent pas sur la règle à adopter, il peut être intéressant de retourner aux sources. L’étymologie des mots en re– permettrait peut-être de déterminer si une graphie devrait être préférée à une autre.
En règle générale, la graphie d’un mot découle de son étymologie, qui est latine dans le cas du préfixe re–. Malheureusement, plusieurs anomalies se seraient glissées dans l’orthographe française des mots prenant un s simple ou double. C’est le cas, par exemple, du mot pressentir, qui devrait prendre un seul s puisqu’il tire son origine du latin praesentire. Ainsi, le verbe resaluer, du latin resalutare, respecterait son étymologie; mais le verbe re(s)semer, pour lequel l’usage est flottant, pourrait être considéré comme une anomalie, puisqu’il dérive du latin reserere. Et qu’en est-il des autres verbes en re–? Dans un ouvrage de 1857 sur l’origine et la formation du français4, on précise que le préfixe « re est celui de tous les préfixes qui est entré dans le plus grand nombre de composés français dont les correspondants n’existent pas en latin : […] ressaisir, ressasser, ressauter, ressortir, etc. ». L’origine latine des mots ne peut donc pas dans tous les cas déterminer le redoublement ou non du s.
Explorons une nouvelle piste. La graphie des mots en re– serait-elle liée à l’époque à laquelle ils seraient apparus en français? Les datations données dans le Petit Robert fournissent quelques indices. On constate que la plupart des verbes qui redoublent le s aujourd’hui seraient apparus en français entre le XIe et le XVIIe siècle, et que certains d’entre eux ne prenaient à l’origine qu’un s. Le Littré en donne plusieurs exemples :
Par tels paroles vous resemblez enfant (Chanson de Roland, fin du XIe siècle).
Et un penser qui me suit et resuit (Pierre de Ronsard, Les amours et les folastries, 1553).
Ceulx qui s’estoient jettez en leurs maisons estoient contraints par le feu d’en resortir (Jacques Amyot, Les vies des hommes illustres, 1559).
Parmi les mots qui, de nos jours, sont répertoriés dans les dictionnaires avec un seul s, certains sont très anciens : resaluer (XIIIe siècle) et resaler (XIVe siècle). Par contre, trois verbes seraient apparus très récemment dans la langue, soit resurchauffer (1960), resocialiser (1975) et resituer (1980).
Avant le XXe siècle, on ne peut établir de corrélation claire entre la graphie des mots en re– et leur date d’apparition en français. Mais ces trois nouveaux verbes permettraient-ils de dégager une tendance? Pourraient-ils, bien qu’ils ne soient que trois, nous dicter la règle à suivre pour les mots non répertoriés dans les dictionnaires généraux? Seul l’usage pourra nous le confirmer.
Dans les médias canadiens et européens, on voit un peu de tout. Les publications ne sont pas constantes; les journalistes non plus. À preuve, Pierre Foglia « ressalue » avec deux s – bien que ce verbe n’en prenne qu’un selon les ouvrages –, mais emploie le verbe resouhaiter – non répertorié dans les ouvrages – avec un seul s :
… les collègues étrangers qu’on ressalue d’un coup de tête (La Presse, 2008-08-06).
Avec ou sans moi, je vous resouhaite une bonne année et un joyeux Noël (La Presse, 2009-01-03).
L’orthographe des mots figurant dans les dictionnaires est généralement respectée. C’est le cas des verbes très courants, tels ressaisir, ressembler, ressentir et ressortir. Cependant, dans certains verbes – peut-être moins courants –, des journalistes s’accordent la liberté de mettre un seul s, alors que les ouvrages en indiquent deux. Les nombreux cas recensés donnent à penser qu’il ne s’agit pas de coquilles. En voici quelques-uns :
M. Strauss-Kahn a reserré son pronostic (La Presse, 2009-10-05).
Une fracture sociale à resouder… (L’Express, 2011-04-14).
Il voulait resauter et mordre… [en parlant du bichon maltais du couple Chirac] (Le Figaro, 2009-10-02).
Pour ce qui est des mots qui ne sont pas répertoriés dans les dictionnaires généraux, c’est le s simple qu’on voit le plus souvent dans la presse écrite :
Déjà je me sens bien au club et à Brest, j’avais envie de resigner (Le Figaro, 2011-07-01).
Il entend toutefois resoumettre sa candidature à l’appréciation des membres de l’Association (Le Journal de Montréal, 2011-02-17).
En reprenant l’humour, j’avais peur de resombrer (Le Soleil, 2009-10-24).
Mais la variante avec trait d’union est également populaire, peut-être pour faire ressortir la valeur itérative du verbe :
… on pourrait à toutes fins pratiques re-simuler exactement ce qui s’est passé (Le Droit, 2010-02-11).
Il faut re-soulever ce débat de manière sereine (Le Nouvel Observateur, 2009-10-10).
Bedonnant et adipeux, Jake entreprend de re-séduire Jane (Le Point, 2009-12-23).
Chose certaine, que ce soit avec ou sans trait d’union, c’est le s simple qui l’emporte dans le cas des mots non répertoriés. À tel point que cette tendance commence à déteindre sur les mots pour lesquels les dictionnaires redoublent toujours le s.
Vous l’avez vu comme moi, cette difficulté orthographique est loin d’être simple à résoudre. Pour ma part, je m’en tiendrai aux graphies figurant dans les dictionnaires généraux, mais j’opterai pour le s simple – sans trait d’union – dans le cas des mots non répertoriés. Et dans le doute, c’est le s simple que je privilégierai. Cette solution ne favorise peut-être pas l’uniformité, mais elle reflète les tendances actuelles.
Pour terminer, je vous laisse sur un passage d’un journal de 1838 regroupant des travaux de grammairiens : « On doit espérer que, plus tard, quand l’orthographe se régularisera, l’on écrira avec un z les mots où l’s en a usurpé le son, tels que base, maison, saisie, visa, que l’on devrait écrire : baze, maizon, saizie, viza; et qu’on n’emploiera qu’une seule s dans les mots où un usage ridicule en a introduit deux5. » Si l’auteur de l’article était encore vivant, il serait probablement déçu de voir que la réforme de l’orthographe de 1990 n’a pas encore mis fin à cette « aberration orthographique ». Qu’on le veuille ou non, l’orthographe française évolue, mais lentement. Peut-être un jour pourra-t-on resentir une émotion ou même resortir de sa maizon. Qui sait?
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