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J’ai maintes fois dénoncé dans cette chronique les insuffisances des dictionnaires au regard des noms propres. Genre grammatical non indiqué ou sibyllin, absence de noms d’habitants, contradiction d’un article à l’autre… N’en jetez plus, la cour de notre frustration est toujours aussi pleine.
Les imprécisions des lexicographes nous déconcertent toujours. Le Petit Larousse et le Robert des noms propres sont mis à jour tous les ans, et on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que les usages bien ancrés dans les médias y soient finalement consignés, surtout lorsqu’ils datent d’une ou de deux décennies. Pourtant, les éditions 2010 des deux ouvrages sont une nouvelle invitation à chercher une oasis dans le Sahara.
Nous avons récemment fêté la chute du mur de Berlin et celle du communisme en Europe. Le Bélarus, ancienne république soviétique autrefois appelée Biélorussie, n’a toujours pas d’entrée dans le Larousse! Tout au plus est-il mentionné à l’article Biélorussie que la forme officielle est Bélarus. Forme officielle en effet, et ce, depuis 1991… Le langagier doit donc déjà connaître la correspondance entre les deux termes, sinon… il devrait consulter le Robert qui, lui, comporte un renvoi. Dans ce cas-ci, nous parlons d’une appellation officielle à l’ONU, appellation utilisée dans la correspondance diplomatique et les traités.
On ne trouve ni dans le Robert ni dans le Larousse une entrée pour Centrafrique et Tchéquie, deux surnoms couramment employés dans la presse française pour désigner la République centrafricaine et la République tchèque. Bien sûr, on pourra toujours arguer que la recherche au dictionnaire nous mène directement aux deux noms officiels, mais quand même. Pourquoi ne mentionne-t-on pas ces surnoms dans les articles, ne serait-ce que pour signaler un certain usage des journalistes?
Il est vrai que les dictionnaires tiennent parfois compte de cet usage des médias; pensons aux habitants de Sarajevo, appelés Sarajéviens dans la presse en général. Le gentilé est consigné depuis longtemps dans les dictionnaires. Il faut dire qu’il s’agit d’Européens, élément qui a peut-être fait pencher la balance…
Autre région dont il a été question dans les années 1990, le Chiapas, où une insurrection a éclaté. Les journalistes du Monde diplomatique et de L’Express ont introduit d’ingénieux néologismes, Chiapanèques et Chiapascènes, qui n’ont pas encore trouvé grâce auprès des lexicographes.
Qui n’a pas entendu parler de la bande de Gaza? Le nom de ses habitants? Mystère! Évitons tout de suite les dictionnaires, toujours muets sur la question, même s’il s’agit d’une région névralgique du Proche-Orient. On a déjà vu Gazans dans L’Express, supplanté par Gazaouis, tant dans ce périodique que dans d’autres publications.
Ces formes avec finale en i se voient pour d’autres gentilés : Bagdadis, Émiratis, Qataris. Les journalistes s’inspirent souvent d’une terminaison en iye des gentilés en arabe pour créer des noms d’habitants en français. Dans un article précédent1, j’ai traité de cette question, pour en venir à la conclusion qu’il valait mieux utiliser les gentilés proposés dans les dictionnaires. Encore faut-il que les dictionnaires en fassent état.
Situation bien décourageante, donc. Les innovations journalistiques, qu’elles soient recommandables ou non, ne semblent que très rarement percer le mur de Berlin des dictionnaires, alors qu’elles comblent parfois un vide abyssal. Pensons à Chiapanèque. D’autres, comme Qataris, reflètent un usage assez courant. D’ailleurs, une page dans Wikipédia donne Qataris, Qatariotes et Qatariens comme gentilés du Qatar. Peu importe ce que l’on pense de cette encyclopédie Web, elle offre l’avantage de soumettre les trois possibilités. Voilà un élément de réflexion intéressant pour les lexicographes, particulièrement quand l’usage ne semble pas encore fixé. Comme la tâche des dictionnaires consiste à consigner l’usage, il est surprenant que des tournures en voie de s’imposer, comme nos Gazaouis de tantôt, ne soient pas versées au corpus, surtout quand les dictionnaires n’offrent aucune solution de rechange.
Les médias ont rapidement attribué le genre masculin et l’article défini au Chiapas, ce qui reflète une tendance souvent observée en toponymie, mais consignée nulle part, il va sans dire (désolé du cynisme). Comme cette région est revenue sur la sellette au cours des derniers mois, on pouvait s’attendre à ce que nos deux ouvrages aient finalement consigné le genre masculin. Le Robert a fait un pas en ce sens, en indiquant la mention n.m., ce qui suppose que les 200 millions de francophones vont en déduire qu’il faut employer l’article défini. De son côté, le Larousse fait fi du genre grammatical de Chiapas, tout comme du nom de ses habitants, apparemment un grand mystère, lui aussi.
La recherche des genres grammaticaux est une véritable plaie pour le langagier. Le genre grammatical est indiqué lorsqu’il est connu de tous : n.f. pour la Belgique, n.m. pour le Congo. Et tout le monde sait que, dans ces deux derniers cas, il faut employer l’article défini. Mais qu’en est-il, par exemple, de Tuvalu ou de Kiribati, deux États dont on entend moins parler?
Tuvalu : Le Larousse donne le genre sous la forme abrégée n.m. Heureusement, le texte comporte la phrase suivante, qui nous éclaire sur la présence ou l’absence d’article : « Devenu indépendant dans le cadre du Commonwealth, en 1978, Tuvalu a été admis au sein de l’ONU en 2000. » Quant au Robert, il ne donne aucun genre, mais se rattrape aussi dans une phrase où le toponyme est masculin et sans article.
Kiribati : Encore une fois, le Larousse donne un genre, le féminin, mais sans jamais préciser dans le corps du texte s’il faut employer l’article défini. Quant au Robert, il ne donne aucun genre grammatical et, comme le Larousse, emploie des tournures comme Le pays… L’État… pour éviter de se prononcer.
Édifiant, n’est-ce pas?
Bornéo est une île suffisamment connue pour servir d’exemple également. Jadis, une partie de cette région était connue sous le nom de Bornéo-Septentrional. Bien que cette appellation soit disparue des dictionnaires modernes, elle pourrait laisser croire que le toponyme est de genre masculin. Erreur. Encore une fois la vérité se cache dans le corps du texte.
Bornéo : Le Robert et le Larousse nous disent que c’est une île. Encore faut-il savoir que les noms d’îles sont presque toujours de genre féminin, car aucun des deux ouvrages ne donne le genre de ce toponyme. Il faut donc avoir cette règle en tête lorsque nous ouvrons le dictionnaire, à condition, bien entendu, de l’avoir lue dans le Grevisse.
Heureusement, le Robert enchaîne avec la phrase suivante : « Bornéo est partagée entre l’Indonésie… ». Encore une fois, sauvés par la cloche, si je puis dire. Cependant, le langagier tombera inévitablement sur des articles où un accord de verbe ne permettra pas de déduire le genre grammatical. Puisqu’il semble si clair que Bornéo est de genre féminin, pourquoi ne pas l’indiquer d’entrée de jeu? Pourquoi ne pas le faire systématiquement pour les autres toponymes? Et nous rêvons tous du jour où les lexicographes oseront enfin préciser si un toponyme prend ou ne prend pas l’article défini.
Pour paraphraser Shakespeare, être précis ou ne pas l’être, voilà la question. Quant aux lexicographes, ils ont opté pour l’imprécision dans les dictionnaires de noms propres. Le contraste avec les dictionnaires de noms communs est frappant : ceux-ci donnent tout de suite le genre grammatical et indiquent les formes plurielles irrégulières, tandis que les ouvrages de noms propres entretiennent un flou continuel qui force le langagier à se débattre pour obtenir les renseignements qu’il cherche.
Bref, les lexicographes opteront-ils un jour pour la convivialité? Leur trop grand conservatisme risque, à la longue, de détourner les lecteurs vers des sources électroniques, nettement plus dynamiques, même si elles ne sont pas toujours aussi fiables qu’on le voudrait.
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