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Le temps est venu pour un nationalisme d’inclusion.
(Christos Sirros, ministre délégué à la Santé, Le Devoir, 19.07.90.)
Si l’auteur des Exclus1 décidait de donner une suite à son ouvrage, quel titre adopterait-il? Oserait-il l’appeler Les Inclus? Il pourrait difficilement l’intituler Les Insérés, même si insertion est bien « le double positif d’exclusion2 », comme l’écrit un professeur de science politique. Qui, par ailleurs, n’a pas l’air de porter insertion dans son cœur : « On ne peut qu’être frappé par le caractère rebutant, technocratique et sans chaleur du terme qui semble évoquer moins des êtres humains que des sardines rangées dans une boîte de fer blanc. »
Le temps serait peut-être venu de lui substituer un terme plus convivial, plus consensuel. Pourquoi pas inclusion? Après tout, c’est le contraire naturel d’exclusion. Les dictionnaires vous le diront. Sauf que les sens qu’ils lui donnent sont à peu près tous techniques ou spécialisés. Et si on y rencontre exclusion sociale, ce n’est pas demain la veille qu’on y trouvera inclusion sociale. Et pourtant, on voit de plus en plus inclusion.
Au Québec, depuis le coup d’envoi du ministre délégué à la Santé, tout le monde s’y est mis. 1993 est une année particulièrement faste, comme si chroniqueurs et éditorialistes s’étaient donné le mot : l’ex-rédactrice en chef du Devoir (21.05.93) juge plus prudent de le mettre entre guillemets; une chroniqueuse y voit un équivalent de « partenariat » : « les politiques de l’inclusion, terme qui veut dire dans la langue de Shakespeare la même chose que partenariat au Québec » (26.03.93). Le journal Le Droit n’est pas en reste : Michel Vastel (07.07.93), Gilles Paquet (18.08.93), Gilbert Lavoie (16.09.93). Dans tous ces cas, inclusion ne s’emploie qu’avec politique.
Il faudra une traduction pour élargir son rayon d’action : « La citoyenneté est affaire d’inclusion3 ». À partir de ce moment, on voit les emplois se diversifier. Pierre Bourgault y met son grain de sel : « Le discours de l’inclusion, nous le tenons depuis toujours » (Le Journal de Montréal, 22.01.01). Un éditorialiste parle de la « grande force automatique d’inclusion » du fédéralisme canadien (Le Droit, 30.01.01), alors qu’un chef de cabinet vante les vertus du parti de son patron : « C’est un parti qui prône l’importance de l’inclusion » (L’actualité, 01.09.02). Le nouveau chef de ce parti se réjouit qu’en votant tous en faveur d’une motion réaffirmant que le peuple québécois forme une nation, les députés ont envoyé aux Québécois « un message d’inclusion » (Le Devoir, 31.10.03).
Si l’on quitte le domaine politique pour le social, on voit qu’inclusion menace d’évincer intégration. Une journaliste parlementaire parle d’inclusion sociale (Le Devoir, 30.01.01), de même qu’un professeur, qui écrit dans le journal montréalais des itinérants (L’Itinéraire, avril 2002). Pendant que le comité éditorial d’une revue appelle à « colmater les brèches de notre régime d’inclusion sociale » (Les Cahiers du 27 juin, 27.11.03), le président d’une association vouée à l’intégration des personnes handicapées semble nettement lui préférer inclusion, qu’il emploie quatre fois.
Cet emploi d’inclusion est aussi répandu en Europe. Notamment depuis que l’Union européenne a demandé à ses membres de se donner une « politique d’inclusion sociale » à l’intention des personnes handicapées. On trouve l’expression sur des sites Internet belges, finlandais, luxembourgeois. Sur celui du Groupement pour l’insertion des personnes handicapées, on lit qu’il faut « mettre en œuvre une politique d’inclusion des personnes handicapées ». Il existe même une Conférence européenne pour l’inclusion des personnes handicapées et un Forum des autorités locales pour l’inclusion sociale, qui parle de politique active d’inclusion, de société d’inclusion, sans oublier tout à fait ce pauvre intégration : « vers une intégration et une inclusion actives ». Une belle valse-hésitation : insertion, intégration, inclusion, lequel l’emportera?
J’opte pour le dernier, qui, même en Europe, ne cesse d’élargir son champ sémantique. Sur le site de l’Université de Nancy 2, on voit qu’exclusion vient de trouver son véritable contraire : « les processus d’inclusion et d’exclusion ». Le Parti libéral suisse se prononce en faveur d’une « société d’inclusion et non d’exclusion ». Un journal ivoirien, pour ne rien oublier, n’hésite pas à parler de « démocratie d’inclusion participative » (Le Patriote, 18.06.00). Enfin, l’auteur d’un article sur la démocratie en évoque la double exigence, « la participation la plus effective et l’inclusion maximale »4. Manifestement, il ne s’agit plus simplement d’inclusion sociale.
Cet emploi est moins récent que les exemples le laissent croire. De fait, il a déjà fêté ses dix ans, comme en témoigne la traduction de l’ouvrage d’un ancien conseiller du président Kennedy, où j’ai trouvé trois exemples :
Le credo américain nous aide à marcher de l’exclusion vers l’inclusion5.
C’est un usage qui nous vient vraisemblablement de l’anglais, mais on n’en trouve aucune trace dans les dictionnaires. Ni d’inclusive, d’ailleurs, dont nous avons aussi adopté le sens. Et les deux exemples d’inclusive qui suivent sont à peine antérieurs aux occurrences françaises. Les deux auteurs sont chroniqueurs politiques – Dalton Camp : « In today’s argot, this is called being "inclusive," which means making everyone welcome under the "big tent" » (The Hill Times, 26.11.92), et Richard Gwyn : « We need a leader able to exploit the inclusive populist politics of today » (25.02.93).
C’est également un chroniqueur politique qui me fournit mon premier exemple québécois : « Le nationalisme québécois a connu ses plus grands succès lorsqu’il s’est voulu inclusif6 ». Suivi d’un journaliste : « Depuis des années, le mouvement souverainiste québécois se présente comme un mouvement inclusif plutôt qu’exclusif. » (Le Devoir, 19.10.95). C’est au tour d’un politicologue, qui se demande : « Quel impératif nous pousse à vouloir tous les baptiser dans l’eau d’une unique et inclusive nation? » (10.07.98). Le président d’une commission sur l’avenir du français au Québec affirme que notre « "nous" est inclusif » (19.01.01).
Pas plus qu’inclusion, inclusif ne semble vouloir se cantonner à la sphère politique. Un professeur de linguistique écrit : « La diffusion de la norme internationale du français constitue une démarche plus inclusive que l’imposition d’une norme locale » (Le Devoir, 10.07.01). Un professeur d’histoire assez connu : « la tentative de faire une nouvelle histoire nationale très inclusive » (Robert Comeau, 07.12.02). Enfin, un chansonnier, qui m’était inconnu : « Aujourd’hui, j’essaie d’être plus inclusif » (Paul Cargnello, La Presse, 24.01.04). Un peu plus et il positiverait…
Celui qui m’a fourni mon premier exemple d’inclusion fait de même pour l’adjectif : « La représentation est aussi inclusive, dans la mesure où elle concerne virtuellement tout le monde » (Joël Roman, cité ci-dessus). Sur Internet, les exemples d’inclusif sont à peine moins nombreux que ceux d’inclusion. Sur le site du gouvernement de la Finlande : « L’objectif de l’UE : une société inclusive, ouverte à tous » (06.10.99). Celui de la Commission européenne : « Vers un partenariat inclusif et responsable » (07.06.00). Dans la Déclaration d’Athènes de la Conférence européenne pour la jeunesse : « L’éducation pour tous est la première étape vers une société inclusive » (17.05.03). Un sénateur semble faire écho à cette affirmation, mais il ne peut se passer des guillemets : « Le système éducatif est le premier pas qui conduit à une société "inclusive" » (séance du 02.03.04). La FISAF, une fédération vouée à l’insertion des personnes sourdes et des personnes aveugles en France, sonne le glas d’intégration : « Le modèle de société intégrative n’est pas celui d’une société inclusive ». Enfin, sur un site belge, j’ai trouvé un cas qui suit le modèle d’exclusif de : « Une politique d’accueil doit toujours participer à une politique inclusive des minorités ».
Malgré tous ces exemples, ces deux termes attendent toujours la consécration des dictionnaires de langue, aussi bien unilingues que bilingues. Mais au Québec, cela est presque fait. Le Dictionnaire québécois instantané, qui vient de paraître7, en donne onze exemples (curieusement, un seul d’inclusion). Certes, ce n’est pas un dictionnaire de référence – il ratisse très large, recensant aussi bien le jargon à la mode que le parler des jeunes et les anglicismes les plus courants. Mais un autre ouvrage8, nettement plus sérieux, bien que muet sur le cas d’inclusion, fournit un exemple éloquent à « inclusif » : « Il faut militer pour un monde inclusif et non exclusif ». C’est une affirmation sans réplique. J’espère que les dictionnaires se le tiendront pour dit.
Après cet interminable développement, vous avez peut-être oublié ma question du début. Moi pas. La bédéiste bien connue, Claire Bretecher, y a déjà répondu par son album paru en 1995 : Agrippine et les inclus. C’est d’ailleurs un terme qui ne semble pas faire peur à grand monde. Ignacio Ramonet du Monde diplomatique (juin 1995) l’emploie : « des affrontements de plus en plus violents entre les exclus et les inclus ». Les sociologues l’aiment bien : « Alain Touraine voit dans l’opposition entre les exclus et les inclus les ferments d’une nouvelle lutte de classe » (Jean Lojkine, L’Humanité, 05.04.03). Pas encore dans les dictionnaires, et il est déjà en train de devenir péjoratif : « La où vivent les "inclus", ceux qui profitent du système, de la civilisation libérale, des nouvelles règles du jeu européennes » (Eric Zemmour, Le Figaro, 12.06.02).
Vous feriez bien de vous en servir avant que ce mouvement de péjoration ne le cantonne dans un créneau dont le politiquement correct vous interdira l’accès…
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