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Retention : un problème complexe pour le traducteur et le terminologue

Raymond Pepermans
(L’Actualité terminologique, volume 34, numéro 4, 2001, page 26)

Le terme français rétention se répand de plus en plus dans la documentation relative à la gestion du personnel comme équivalent de son homologue anglais retention. Ce dernier terme est utilisé dans les expressions employee/personnel/staff retention pour désigner le fait de retenir les services des personnes employées dans une organisation. Sachant que rétention ne peut, en français, s’appliquer à des personnes, mais uniquement à des choses, comme l’attestent d’ailleurs les dictionnaires généraux, on a proposé l’équivalent fidélisation. Que faut-il en penser?

La recherche documentaire effectuée par les terminologues de la Banque du Canada permet de constater que l’emploi de rétention, en parlant d’employés, est assez restreint : il se limite surtout au Canada où la terminologie de la gestion du personnel a souvent été créée à partir de l’anglais, favorisant ainsi la présence de calques en français. On le repère presque exclusivement dans des textes traduits, notamment dans certains textes de la fonction publique ou d’organismes internationaux comme la Banque mondiale. Il n’est pas attesté dans des sources unilingues fiables. On remarque aussi que retention est parfois rendu par fidélisation, et le verbe retain par fidéliser, dans certaines sources canadiennes et étrangères. Par exemple, le terme fidélisation est utilisé par le Centre de perfectionnement du gouvernement canadien dans le sens de « rendre les employés fidèles à l’organisation ». Il est mentionné, comme équivalent de retention, dans un article du journal Le Monde, et il est utilisé dans les sites Internet de l’Assemblée nationale et du Sénat en France.

Les banques de terminologie, notamment TERMIUM®, mentionnent des équivalents couramment utilisés dans les textes administratifs : conservation, stabilisation (de l’effectif,du personnel,des employés), maintien (en poste, en fonction, de l’effectif, du personnel, des employés), etc. Ces derniers sont aussi répandus dans des sites Internet.

La consultation des ouvrages lexicographiques nous permet d’établir que le verbe retenir, contrairement au substantif rétention, s’applique à des personnes. Il convient parfaitement pour rendre le verbe retain, lorsqu’il s’agit de maintenir en fonction le personnel d’une organisation. On ne peut en dire autant du substantif rétention. Les dictionnaires généraux indiquent, en effet, que ce substantif, qui existe depuis longtemps dans la langue française, possède un sens plus subtil, celui de « ne pas divulguer ». Il est utilisé pour indiquer « le fait de retenir » (1), mais en gardant « par-devers soi ce qu’on devrait mettre en circulation, ce qu’on devrait diffuser » (2), dans des expressions comme « rétention d’informations ». Le sens qui est indiqué ici est celui de « retenir des informations pour éviter de les rendre publiques » ou de « garder pour soi quelque chose » (3).

Rétention est aussi utilisé dans les langues de spécialité, notamment en droit (droit de rétention); en psychologie (rétention des perceptions, des sensations), pour désigner quelque chose qui est retenu au lieu d’être libéré ou cédé. Le terme véhicule, à propos de choses, l’idée de ne pas accomplir une action qui aurait normalement dû se dérouler. Il n’est utilisé nulle part dans le sens de « retenir des personnes ». Comment alors rendre, en français, le fait de garder des employés à son service? Y a-t-il une forme courte et simple pour rendre cette expression?

Fidélisation désigne couramment, comme l’indique le Petit Robert (1993), « l’action de rendre fidèle (un client), de rendre le consommateur attaché à un produit ». Une recherche en profondeur de la documentation spécialisée révèle qu’il correspond aux termes anglais loyalty, consumer loyalty, formes elliptiques de consumer loyalty building ou consumer loyalty development. Le verbe fidéliser, quant à lui, est rendu par to build, establish, command, develop loyalty. Ces termes, qui représentaient au départ des notions du vocabulaire commercial, ont pénétré ensuite le vocabulaire de la gestion du personnel pour désigner l’action de rendre les employés attachés à leur entreprise, tout en gardant leur sens premier, qui est celui de « rendre fidèle ». Il s’agira ici de la fidélisation des employés à l’entreprise plutôt que des consommateurs à des produits. Une recherche rapide dans Internet permet d’ailleurs de constater que fidélisation et fidéliser sont couramment utilisés dans le contexte de l’attachement des employés à l’organisation. Fidélisation, pris dans ce sens, a pour équivalent anglais employee loyalty (building), tandis que fidéliser se traduit en anglais par to build employee loyalty ou to build employee commitment. On trouve aussi des expressions telles que programme de fidélisation du personnel, équivalent du terme employee loyalty program.

Nous constatons donc que le terme fidélisation (l’action de fidéliser) n’est pas assimilable à l’action de retenir. Appliqué à des employés, ce terme indique plutôt le fait de « ne pas laisser aller, de faire rester avec soi ». Le fait de retenir peut être la conséquence de l’action de fidéliser, mais ces deux notions ne sont pas identiques. Il est possible qu’une entreprise ait plus de chances de retenir des employés fidélisés, mais les deux activités ne sont pas nécessairement liées. Elle est d’ailleurs parfois en mesure de retenir plus longtemps des employés non fidélisés, parce qu’ils ne trouvent pas un autre emploi ou pour d’autres raisons (ancienneté, âge). La langue anglaise établit d’ailleurs une distinction entre loyalty et retention. Dans un article de Lee Roberts, intitulé Mentoring May Develop Both Loyalty and Retention, on peut lire : « By providing mentoring, companies not only build employee loyalty, they may increase productivity and employee retention » (4). Cette citation indique bien la présence de deux notions distinctes en anglais.

Si l’on rend parfois retention par fidélisation et retain par fidéliser, il s’agit d’équivalents de circonstance, de déplacements de sens qui, notamment pour des raisons stylistiques, conviennent mieux à certains contextes de traduction. Fidélisation du personnel est, en effet, une formule plus courte, moins lourde et plus élégante que maintien en fonction du personnel ou conservation des employés. Tout traducteur expérimenté sait pertinemment bien que des déplacements de sens, lorsqu’il y a télescopage entre notions apparentées, par exemple quand la cause est prise pour l’effet ou la partie pour l’ensemble, sont courants. C’est parfois le fait de termes évoquant des notions connexes. Dans ce cas, une terminologie approximative suffit parfois pour rendre l’idée exprimée dans la langue de départ et améliorer le texte dans la langue d’arrivée.

Retention sera, dans la mesure du possible, rendu par les équivalents qui véhiculent d’une manière explicite l’action de ne pas laisser aller, de garder : conservation, stabilisation, maintien (du personnel, de l’effectif, des employés); maintien en fonction, en posteetc. Ces différentes possibilités de traduction conviendront à la plupart des contextes, tandis que fidélisation aura sa place dans des contextes où l’auteur évoque le maintien en fonction du personnel en raison de l’attachement des employés à l’organisation, situation qui sera induite du sens général du texte à traduire.

Nous remarquerons que les équivalents proposés ci-dessus ne sont pas interchangeables; ils ne constituent en aucun cas des synonymes absolus. Ils seront choisis d’après le sens qui est donné au terme retention dans chaque contexte de la langue de départ.

NOTES

  1. Le Nouveau Petit Robert, Paris, 1993.
  2. Trésor de la langue française, Paris, 1971.
  3. Le Grand Robert, Paris, 1995.
  4. http://twincities.bcentral.com/twincities/stories/2000/08/07/focus3.html.