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Le présent article a été rédigé avec la collaboration de Marie-Thérèse Mocanu, terminologue, Bureau de la traduction, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada.
Les techniques de rédaction législative bijuridique et bilingue, et notamment l’harmonisation des textes législatifs fédéraux avec la nouvelle terminologie et les nouveaux concepts du récent Code civil du Québec, sont innovatrices et restent à perfectionner, il va sans dire. Mais l’expérience en ce domaine est unique au Canada et « nous confère une place de choix sur l’échiquier international », selon les propos qu’a tenus le sénateur Gérald-A. Beaudoin lors du débat sur le projet de loi S-22, Loi d’harmonisation nº 1 du droit fédéral avec le droit civil, qui a été déposé au Sénat le 11 mai 20001.
Cette expérience a tout naturellement conduit à l’élaboration d’un certain nombre de néologismes et de notions nouvelles dont fait état le présent article.
Le bijuridisme a fait l’objet de commentaires variés dans L’Actualité terminologique dès 19832. Depuis, cette notion a fait son chemin dans le milieu juridique et a pour ainsi dire acquis ses lettres de noblesse. Dans une présentation intitulée Le bijuridisme au Canada, l’honorable Michel Bastarache, juge à la Cour suprême du Canada, s’exprimait ainsi : « Il y a relativement peu de pays où cœxistent deux régimes juridiques fondamentalement différents. Le Canada est l’un de ces pays. Le « bijuridisme » ou « bijuralism » au Canada désigne la cœxistence des traditions de la common law anglaise et du droit civil français, dans un pays possédant un système fédéral3. »
Le maintien de la dualité juridique au Canada résulte des rapports de complémentarité historiques que la common law et le droit civil ont entretenus et qui ont été consacrés par l’adoption de l’Acte de Québec en 1774, et plus tard par le partage des compétences législatives dans la constitution canadienne. En vertu du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, les législatures provinciales ont le pouvoir de légiférer en matière de droit privé, c’est-à-dire dans les matières relevant de la propriété et des droits civils dans la province. Alors qu’au Québec, le droit privé tire ses origines du droit civil, les autres provinces et territoires canadiens ont la common law comme régime de droit privé.
La question de l’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois se pose depuis longtemps car, auparavant, les lois et règlements fédéraux s’inspiraient essentiellement de la common law. Depuis 1978, les projets de loi et les règlements fédéraux sont rédigés par une équipe de deux rédacteurs constituée d’un juriste anglophone (habituellement de common law) et d’un juriste francophone (habituellement civiliste). Le produit final de la corédaction tient donc davantage compte des deux systèmes juridiques canadiens. Toutefois, les modifications importantes à la terminologie et à la substance du droit civil découlant de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1994, du Code civil du Québec (adopté le 18 décembre 1991) ont considérablement accru le travail d’harmonisation déjà amorcé. En prévision de cette réforme, le ministère de la Justice du Canada adoptait en 1993 la Politique d’application du Code civil du Québec à l’administration publique fédérale. La même année, il mettait sur pied la Section du Code civil pour assurer la mise en œuvre de cette politique en collaboration avec la Direction des services législatifs. Outre son mandat d’harmonisation, la Section du Code civil est appelée à devenir le centre d’expertise en droit civil au sein de l’administration publique fédérale et à élaborer des fiches terminologiques bijuridiques qui seront accessibles à l’ensemble de la pratique juridique et aux autres intéressés à l’échelle internationale.
En 1995, le ministère de la Justice entérinait sa Politique sur le bijuridisme législatif, dont la mise en œuvre relève de la Direction des services législatifs en collaboration avec la Section du Code civil. La politique vise à ce que les lois et règlements tiennent compte, dans chacune de leurs versions linguistiques, du régime de droit en vigueur dans chaque province et territoire. Dans la foulée de cette politique, le ministère de la Justice consacrait en 1997 le Programme d’harmonisation de la législation fédérale avec le Code civil du Québec.
Dans le contexte de la mondialisation des marchés et du rapprochement des systèmes de droit, les travaux entrepris par le ministère de la Justice dans le cadre du bijuridisme revêtent un intérêt particulier, notamment pour les entités et organismes internationaux où se côtoient common law et droit civil.
Dès 1984, on pouvait lire les propos suivants dans L’Actualité terminologique : « Il est à souhaiter que l’essor de la jurilinguistique canadienne ait des retentissements en Europe et qu’il donne lieu à des échanges fructueux, vu que les traducteurs juridiques de la Communauté économique européenne sont aussi à la recherche de solutions linguistiques au problème de la cœxistence du français, langue de droit civil, et de l’anglais, langue de Common Law4. »
Le Canada est reconnu sur la scène internationale comme un laboratoire vivant d’harmonisation de deux systèmes juridiques, le droit civil et la common law. Or, le processus et la méthodologie d’harmonisation de la législation fédérale avec les notions et la terminologie du droit civil sont à inventer et à perfectionner. Afin d’uniformiser et d’optimiser ses méthodes de travail, la Section du Code civil a rédigé en décembre 1999 un Guide d’harmonisation qui, une fois mis à l’essai et révisé, sera accessible sur le site Internet du ministère de la Justice5.
Dans le cadre d’un protocole d’entente avec le Bureau de la traduction, la Section du Code civil du ministère de la Justice élaborera un ensemble de fiches terminologiques bijuridiques qui lui permettra de partager le fruit de ses travaux d’harmonisation au fur et à mesure de l’adoption de lois d’harmonisation. Ces fiches bijuridiques s’adresseront aux quatre auditoires, soit droit civil français, droit civil anglais, common law français, common law anglais. Ces fiches seront versées dans la banque de terminologie TERMIUM Plus® du Bureau de la traduction6 dans un tiroir spécial intitulé « bijuridisme : droit civil/common law ».
Exemple :
Situation qui survient, par exemple, lorsqu’une disposition législative est fondée sur une notion ou une terminologie propre uniquement à la common law dans les versions anglaise et française.
Exemple : « dommages-intérêts spéciaux »/special damages, paragraphe 31(3) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif9.
L’expression « dommages-intérêts spéciaux » et l’équivalent anglais special damages sont des expressions propres à la common law. En droit civil, on devrait parler de « pertes pécuniaires antérieures au procès »/pre-trial pecuniary loss.
Pour régler le problème d’unijuridisme, on utilise la technique du doublet simple en délimitant de façon précise l’application de la règle de droit au Québec et ailleurs au Canada :
Anglais | Français |
---|---|
When an order referred to in subsection (2) includes an amount for, in the Province of Quebec, pre-trial pecuniary loss or, in any other province, special damages . . . | Si l’ordonnance de paiement accorde une somme, dans la province de Québec, à titre de perte pécuniaire antérieure au procès ou, dans les autres provinces, à titre de dommages-intérêts spéciaux … |
Voir projet de loi S-22, paragraphe 51(2).
Situation qui survient, par exemple, lorsqu’une disposition législative est fondée sur des notions ou une terminologie propres au droit civil dans la version française et des notions ou une terminologie propres à la common law dans la version anglaise.
Exemple : real property/« immeuble », article 20 de la Loi sur les immeubles fédéraux10.
On a ici un problème de semi-bijuridisme causé par l’utilisation de la terminologie propre au droit civil dans la version française uniquement (immeuble) et par l’utilisation de la terminologie propre à la common law dans la version anglaise uniquement (real property).
Pour résoudre ce problème, les termes « biens réels » sont insérés dans la version française afin de tenir compte de la common law d’expression française, et le mot immovable est ajouté à la version anglaise afin de tenir compte du droit civil d’expression anglaise. Ces changements peuvent se faire par la technique du doublet simple :
Anglais | Français |
---|---|
A Crown grant that is issued to or in the name of a person who is deceased is not for that reason null or void, but the title to the real property or immovable intended to be granted . . . | La concession de l’État octroyée à une personne décédée ou à son nom n’est pas nulle de ce fait; toutefois, le titre sur l’immeuble ou le bien réel est dévolu … |
Voir projet de loi S-22, article 22.
Situation qui survient lorsqu’une disposition législative contient des termes de droit civil qui ne sont pas exacts dans le contexte pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :
Exemple : « délit civil », « délit » et « quasi-délit », article 2 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif11.
Les termes « délit civil », « délit » et « quasi-délit » existaient auparavant en droit civil québécois. Basés sur l’existence d’une faute, ces concepts demeurent inchangés dans le nouveau Code civil du Québec, mais ils sont désormais identifiés par l’expression « responsabilité civile extracontractuelle ».
Grâce à la combinaison des techniques de la définition, des termes neutres « responsabilité »/liability et du doublet avec alinéas, on peut régler le problème de désuétude terminologique comme suit :
Anglais | Français |
---|---|
"liability" means (a) in the Province of Quebec extracontractual civil liability, and (b) in any other province, liability in tort; | « responsabilité » a) dans la province de Québec, la responsabilité civile extracontractuelle; b) dans les autres provinces, la responsabilité délictuelle. |
Voir projet de loi S-22, paragraphe 34(2).
Exemple : surrender/« rétrocession », alinéa 16(1)d) de la Loi sur les immeubles fédéraux12.
Le terme « rétrocession » existe en droit civil, mais ne reflète pas ici l’intention du législateur. Il s’agit dans le contexte d’une terminologie inadéquate qui donne lieu à une disparité de contenu. La « résiliation » d’un bail est le concept de droit civil visé ici, et « résignation » est le terme approprié en common law d’expression française.
Ce problème de bijuridisme apparent est réglé par la technique du doublet simple :
Anglais | Français |
---|---|
(d) authorize, on behalf of Her Majesty, a surrender or resiliation of any lease . . . | d) autoriser, au nom de Sa Majesté, soit la résiliation ou la résignation d’un bail … |
Voir projet de loi S-22, paragraphe 18(1).
Exemple : « privilège », article 20 de la Loi sur la production de la défense13.
Le terme « privilège » pose un problème d’incompatibilité avec un nouveau principe de droit civil car les « privilèges » ont été supprimés et remplacés en partie par « des priorités et des hypothèques » dans le nouveau Code civil du Québec. Tout en conservant le terme « privilège » pour l’auditoire de common law français, on doit ajouter « priorités »/prior claims pour l’auditoire de droit civil du Québec.
Par la technique du doublet simple, on crée une clause propre au droit civil, pour rendre la disposition compatible avec la nouvelle règle du Code civil du Québec :
Anglais | Français |
---|---|
. . . clear of all claims, liens, prior claims or rights of retention within the meaning of the Civil Code of Quebec or any other statute of the Province of Quebec, charges . . . | … libre de toute priorité ou droit de rétention selon le Code civil du Québec ou les autres lois de la province de Québec, ainsi que de tout privilège ou de toute réclamation, charge … |
Voir projet de loi S-22, article 72.
Les méthodes d’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil du Québec continuent d’évoluer. La Section du Code civil met en place des outils de travail comme les fiches de terminologie bijuridiques et le Guide d’harmonisation qui, nous l’espérons, serviront au mieux ceux et celles qui œuvrent dans le contexte bijuridique et les aideront à mettre en commun à leur tour le fruit de leur propre expérience.
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