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Il m’a fait grandement plaisir d’entendre M. le duc de Devonshire […]1.
(Sir Wilfrid Laurier, juin 1897)
Irène de Buisseret n’aimait pas tellement cette tournure. « Il va falloir songer sérieusement à nous débarrasser une fois pour toutes de ce malencontreux : Il me fait plaisir », écrivait-elle il y a presque trente ans2. Elle n’était pas seule à ne pas l’aimer. Vous-même, je ne suis pas sûr que vous la portiez dans votre cœur. Ce qui n’aurait rien d’étonnant, après les violentes condamnations dont elle a été l’objet.
À entendre certains défenseurs de la langue, ce tour serait l’incarnation même du Mal. « Ce n’est pas français. […] C’est une horreur! », de s’écrier Louis-Paul Béguin3. Et Jean-Marie Courbon4 est à peine en reste : « Le moment est venu de clouer au pilori cette horrible formule. […] On peut dire : il vente, il pleut, il neige, mais jamais Il nous fait plaisir ».
D’autres « s’excitent moins le poil des jambes », comme dirait Pierre Foglia. Alexandre Covacs, ancien chef de la Division du contrôle de la qualité au Bureau de la traduction, rappelait en 1977 qu’avec d’autres « tournures désuètes, vieillies ou régionales5 », ce tour était sanctionné comme faute.
Dans un texte repris par Radio-Canada dans son bulletin linguistique, l’Office de la langue française précise que « le sujet de faire plaisir doit être soit une personne soit cela6 », mais qu’on ne saurait parler explicitement d’anglicisme. Et Jean Darbelnet7, modéré comme toujours, se contente de dire que c’est un tour à éviter, notamment dans le contexte de la correspondance. Quant à Marie-Éva de Villers, ce n’est que dans la toute dernière édition de son ouvrage qu’elle signale qu’il s’agit d’une construction fautive8.
Malgré toutes ces condamnations et mises en garde, je lui trouve un petit côté sympathique. Certes, elle fait un peu cérémonie de distribution des prix, mais elle n’en est pas moins française pour autant. C’est Mme de Buisseret elle-même qui l’affirme : « Cela s’est dit autrefois par les gens de qualité (c’est moi qui souligne). Puis, cela s’est moins dit en France, puis cela ne s’est plus dit que dans certains coins de province ou de campagne. » Nous devons être un « coin de province », car chez nous l’expression est tout aussi vivante aujourd’hui qu’à l’époque où Mme de Buisseret proposait de la bannir. Et comme le montre la citation de Wilfrid Laurier, elle est au moins centenaire.
Mais l’observation de Mme de Buisseret soulève une question. Pour ces « gens de qualité », quel était le sens de l’expression? Le même que nous? J’en doute. J’ai plutôt l’impression qu’ils l’employaient dans le même sens que Flaubert, dont on trouve cet exemple dans le Trésor de la langue française9 : « Messieurs, quand il vous fera plaisir. » J’ai rencontré la même phrase, mot pour mot, chez Jules Vallès10. D’après le Trésor, le tour est vieux. Mais ce qui est plus intéressant, c’est la définition qu’il en donne : « quand vous voudrez, si vous le voulez (bien) ».
Ce n’est évidemment pas notre sens. Nous l’employons pour dire « j’ai le plaisir, je suis heureux de », etc. C’est l’entrée en matière préférée de nos orateurs patentés. Et de ces nombreuses notes nous annonçant nomination sur nomination à des postes qui font l’envie de tous. On la rencontre partout, même sous la plume d’un ministre de l’Éducation, qui se piquait de bien parler. Et n’allez pas croire qu’elle est la chasse gardée des hommes d’État ou des gens de qualité. Fortunat Bélanger, cultivateur de son état, l’emploie dans ses Mémoires11, parus en 1936. Enfin, le grand pourfendeur d’anglicismes lui-même, Arthur Buies, semble avoir été tenté de l’écrire : « Il fait plaisir de voir […]12 ».
Mais depuis une dizaine d’années, nous n’avons plus le monopole de ce sens. Les Français nous l’ont piqué. D’abord, un grammairien, qui tenait une chronique dans le Figaro littéraire sous le nom d’Aristide : « Il nous reste à espérer, mademoiselle, que l’écho qu’il m’a fait plaisir de faire ici à vos doléances […]13 ». Ensuite, un linguiste bien connu, auteur de deux très beaux recueils de régionalismes : « Il me fait plaisir ici de les remercier14 ».
Je vois dans cette récupération d’une vieille tournure un double avantage : nous la sauvons ainsi d’un oubli certain (et non mérité) et, par ce nouveau sens, nous contribuons en même temps à l’enrichissement de la langue. C’est un beau coup double, il me semble. Et si jamais il devait s’agir d’un simple accident de parcours, et que les Français demeurent insensibles aux charmes de cette expression, il me fait plaisir pourra constituer un élément de ce caractère distinct que certains revendiquent.
Mais avec la vague de régionalismes qui déferlent sur les dictionnaires depuis quelques années, il n’est pas interdit de penser que l’expression y trouvera sa niche un jour. Après tout, si le Petit Larousse, sur proposition de l’Office de la langue française, a consenti à accueillir ne pas dérougir, maganer, mémérer, faire du pouce, c’est de valeur et même (ô horreur!) lousse (avec pas moins de deux sens), on se demande pourquoi notre tournure ne recevrait pas le même accueil.
Pour ma part, je parie sur le Petit Larousse 2002. Et vous?
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