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Le terme hakapik n’apparaît pratiquement pas dans les dictionnaires de langue française1. Pourtant, il est possible de relever des centaines d’attestations de ce vocable dans un corpus francophone composé de textes journalistiques. Ce laissé-pour-compte dictionnairique serait-il victime de l’ostracisme des mal-aimés? En tout état de cause, il convient d’apporter un nouvel éclairage sur l’emploi de ce terme en français, pour aider les traducteurs qui auront à le côtoyer.
En s’inspirant de l’article 28 du règlement canadien sur les mammifères marins2, on peut définir l’hakapik comme un instrument d’assommement utilisé pour la chasse au phoque, constitué d’une hampe au bout de laquelle est fixée une virole pourvue d’une pointe métallique fléchie et d’une projection mornée. Précisons que le terme virole désigne un petit cylindre de métal qui fait office d’embout de fixation, dans notre définition, alors que le terme projection mornée y désigne une projection émoussée, épointée, destinée à contondre, c’est-à-dire à blesser par le choc, sans déchirer ni transpercer la peau3. Puisqu’une image vaut mille mots, une illustration accompagne cet article en vue de faciliter l’interprétation de la définition.
Les traducteurs pourront, pour une raison ou une autre, vouloir remplacer le terme hakapik par un quasi-synonyme. Quels choix de termes analogues le lexique français offre-t-il?
Le film Les Grands Phoques de la banquise4 (1964) de Serge Deyglun, qui a exalté avec éclat la controverse de la chasse aux blanchons, à l’épicentre de laquelle se trouvait l’hakapik, emploie le terme gourdin, soit un « [b]âton gros et lourd servant à frapper » (Petit Robert). L’emploi de cet hyperonyme sera adéquat dans la plupart des contextes. Bien sûr, il revient toujours au traducteur d’évaluer si la généricité du terme, dans un texte donné, est avantageuse ou si, au contraire, elle porte atteinte à la source originale.
De même, comme remplaçant de hakapik, le traducteur pourra employer le substantif féminin gaffe, soit une « [p]erche munie d’un croc et d’une pointe […] servant à […] accrocher le poisson, etc. » (Petit Robert). Cet emploi par extension, on le voit, met l’accent sur le fait que l’hakapik peut aussi servir de perche, pour agripper ou charroyer la peau d’un animal abattu.
Enfin, de nombreux autres termes analogues viennent en tête : trique, massue, assommoir, bâton, etc. Dans un but stylistique ou rhétorique particulier, on pourrait, à la rigueur, inventer un néologisme – prenons pour exemple le fantaisiste tue-phoque, formé à l’instar de tue-mouche, « objet employé pour tuer des mouches », et de l’archaïsme littréen tue-chien, « personne qui a pour travail de tuer des chiens ». Un tel emploi néologique doit bien sûr être justifié, sans quoi le lecteur risque d’y voir une bourde de traduction ou une maladresse pure et simple.
L’étymologie d’un mot permet souvent de mieux le circonscrire. Selon le Random House Webster’s Unabridged Dictionary, hakapik provient du norvégien5 :
1975–[19]80; < Norw[egian] hakepigg, equiv[alent] to hake hook […] + pigg spike […]
Puisque le terme hakapik est attesté dans la francophonie dès le début des années 1970, autant en Amérique du Nord qu’en Europe, on peut supposer, sous toute réserve, qu’il ne s’agit pas d’un emprunt fait par l’intermédiaire de l’anglais, mais bien d’un emprunt direct au norvégien. La première occurrence relevée dans notre corpus se trouve dans un numéro de 1971 de la Revue générale de droit international public, qui rapporte indirectement les propos de la Tribune de Genève du 22 avril de la même année : « les Norvégiens utilisent le hakapik, sorte de crochet monté sur un épieu et dont ils enfoncent la pointe dans le cerveau du jeune phoque après avoir […] assommé l’animal6 ».
Dans l’usage écrit, on observe l’emploi fréquent de la graphie hakapik, au côté de la plus rare graphie akapik, sans h initial. On relève aussi la variante agapik alors que la graphie hagapik, qui lui fait pendant, est rarissime7.
En français, hakapik se prononce [akapik] au Québec et en France. En principe, les origines scandinaves de hakapik commandent la disjonction (l’« aspiration » du h initial), à l’instar de la plupart des germanismes8. Le Petit Robert indiquerait donc qu’il faut le prononcer [‘akapik] (remarquez l’apostrophe). La « psilose » (perte de l’« aspiration » à l’initiale) est toutefois fréquente dans l’usage, sûrement en raison de la relative rareté du mot dans la vie de tous les jours et en raison de son absence des dictionnaires généraux. Peut-être que l’aspiration a elle aussi été abandonnée sous l’influence de la forme concurrente agapik. Le Petit Robert indiquerait donc probablement aussi la prononciation [akapik].
En vue de contribuer à l’intégration du mot au français, on privilégiera cette dernière prononciation naturalisée (avec un h muet), tout en admettant bien sûr la prononciation concurrente, que certains pourront juger plus orthoépique et respectueuse de l’origine du mot.
À tout prendre, il faut retenir que l’élision des articles et des prépositions placés devant le substantif hakapik est facultative. On notera que, même lorsque l’on opte pour la prononciation sans hiatus, on s’abstient généralement d’élider les formes devant les autonymes. Ainsi, on dit « l’emploi de hakapik par les francophones » alors qu’on peut dire « l’emploi de l’hakapik par les chasseurs » aussi bien que « l’emploi du hakapik par les chasseurs ».
Enfin, on notera qu’au regard des rectifications orthographiques de 1990, la graphie akapik doit être privilégiée pour la réalisation en [akapik] alors que la graphie hakapik doit être privilégiée pour rendre [‘akapik]. L’orthographe rectifiée se distingue ainsi de l’orthographe traditionnelle, en excluant l’emploi de la graphie hakapik pour [akapik].
Maintenant que hakapik est bien documenté, il semble prêt à faire son entrée dans les dictionnaires de langue générale. Certains espéreront peut-être tout de même que le mot disparaisse… avec l’objet impopulaire qu’il nomme. L’avenir le dira!
L’auteur remercie chaleureusement Chantal Contant pour les précisions apportées au sujet des rectifications orthographiques.
La description de l’usage se base essentiellement sur l’observation des contextes d’emploi dans les journaux Le Devoir, La Presse, Le Soleil, Le Monde, Le Figaro et Libération pour les numéros publiés durant les trente dernières années, soit de 1982 à 2013.
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