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Comme dans le précédent numéro, je réponds à des questions qui m’ont été adressées au fil des mois.
Q. Certaines sources nous interdisent d’employer membre fondatrice, sous prétexte que membre est un mot masculin. Pourtant il me semble que l’on rencontre souvent le tour dans l’usage.
R. Dans les sources prônant la féminisation, membre est considéré comme un nom épicène – un nom identique au masculin et au féminin, comme un élève, une élève. Mais c’est un fait que les dictionnaires n’indiquent à l’entrée membre que la mention n.m., nom masculin. Tandis qu’à élève, ils indiqueront simplement n.
L’épicène, quand il est possible, est la solution idéale des problèmes de féminisation. Les Européens qui sans être hostiles à la féminisation ne raffolent pas de certaines formes féminines créées au Québec emploient les épicènes : on n’aime pas une écrivaine1, mais on dira parfois une écrivain. Jean-Marie Vodoz, président de la Fondation Défense, écrivait dans le journal suisse Le Temps (18.10.2005) que les vrais puristes sont maintenant ceux qui voudraient m’empêcher d’écrire que Colette fut une grande écrivain. Même une médecin, recommandé il y a maintenant vingt ans par l’Office québécois de la langue française, se rencontre, comme dans cette dépêche de l’AFP citée dans Le Monde l’été dernier : Renvoi devant la cour d’assises d’une infirmière et d’une médecin accusées d’euthanasie (14.06.2006).
Ces emplois s’inscrivent dans une longue lignée d’épicènes consacrés par l’usage, comme journaliste ou ministre. Pas étonnant donc de voir membre employé au féminin, ici même : une membre du conseil d’administration de la société, aux nouvelles de Radio-Canada le 8 janvier dernier ; – en France : cette membre active de la coordination étudiante, dans Libération, 15.05.2006 ; – et sur les sites des grands organismes internationaux : une autre membre de la délégation, dans une séance d’un comité de l’ONU.
Dès lors il n’est pas étonnant non plus de rencontrer membre fondatrice à gauche et à droite. Il y a quelques mois, une notice nécrologique du Figaro annonçait : La résistante Hélène Viannay, membre fondatrice de l’Association pour des études sur la Résistance, est décédée le 25 décembre, à 89 ans (29.12.2006). La députée fédérale Carole Lavallée est présentée sur le site du Bloc québécois comme membre fondatrice du Regroupement des femmes de Joliette : on imagine mal le masculin à côté de tous les postes de directrice et de conseillère qu’elle a occupés. Même réflexe chez un journaliste de La Presse : les libéraux avaient presque convaincu Marie Grégoire (ancienne députée de l’ADQ et membre fondatrice de ce parti avec Mario Dumont) de revenir au Parti libéral (20.08.2006).
Pourquoi membre se ferait-il refuser l’entrée d’un club où sont déjà admis ministre, journaliste et artiste ? Comme on ne peut imaginer à ce mot de forme féminine distincte (membresse?), il serait à jamais banni du genre féminin. Il y a là quelque chose de déraisonnable.
L’argument ultime consisterait à soutenir que membre n’est pas un nom de fonction, de métier ou de profession, ni même une appellation, et qu’ainsi il n’a pas vraiment sa place dans les listes de formes féminines. Peut-être. Mais ne pourrait-on pas dire la même chose de guide ou de partenaire dont le féminin est courant?
Par ailleurs, il est frappant que les listes d’appellations féminines – comme celle de l’OQLF – illustrent plus souvent les féminins avec l’article indéfini une qu’avec la : une notaire, une juge, une peintre, une libraire, etc. Sans doute l’indéfini marque-t-il le féminin de façon plus discrète à l’oreille que le défini, qui peut faire sursauter. Membre passe très bien en apposition. Une membre demande encore à certains un petit effort d’adaptation. Mais la membre en fait tiquer beaucoup : La membre n’est pas d’accord? Les amis de Maurice Druon, déchaînés contre la féminisation, verront dans cette hésitation la preuve au grand jour que le mot ne peut être féminin.
On a toutefois le même problème avec un nom comme cadre. Les dictionnaires courants (Petit Larousse, Hachette, Petit Robert) n’indiquent plus de genre à cadre : c’est un n., et non un n.m. Et pourtant la cadre passe encore mal. Une médecin a beau avoir vingt ans, la médecin fait sourciller (le Petit Robert mentionne que « le féminin, rare, est la médecin »). On a l’impression que plusieurs épicènes s’entendent mieux avec une qu’avec la.
C’est sans doute qu’on ne peut avaler toutes crues de longues listes de nouveaux termes du jour au lendemain. L’usage digère lentement les règles qu’on lui impose. Mais pour rejeter membre fondatrice il faut quand même avoir l’estomac un peu délicat.
Q. Pourquoi dit-on : « Bombardier est entrée dans le secteur aéronautique », alors qu’on dit : « La General Motors devra retirer de la circulation la Corvair »? Pourquoi emploie-t-on l’article devant « General Motors » et non devant « Bombardier »? Est-ce simplement une question d’usage, ou y a t-il une règle cachée là-dessous?
R. Dans les années 80 on soutenait encore qu’il était préférable d’utiliser l’article devant les raisons sociales, mais déjà à cette époque la règle n’était pas absolue. On omettait toujours l’article, par exemple, devant les dénominations commençant par un nom propre (comme dans votre exemple Bombardier) ou un nom inventé (Téléglobe) ou une appellation dont la syntaxe était plus ou moins orthodoxe (Radio-Canada)2. Mais la règle était de dire la General Motors, où il fallait lire entre les mots : la (société) General Motors. D’ailleurs à l’époque on disait aussi l’Alcan ou l’Hydro-Québec. Certaines grammaires françaises considéraient en fait comme une faute très sérieuse l’absence d’article devant ces appellations. Depuis, bien de l’eau a coulé sous les ponts. Il y a encore du flottement (un peu comme dans Internet / l’Internet), mais l’absence d’article est beaucoup plus fréquente, en Europe et ici, même dans le cas d’entreprises très connues dont le nom a souvent été employé précédé de l’article, comme General Motors.
Q. Une cliente aimerait savoir s’il est correct de dire « Ce rendement remarquable tient directement à la décision de certaines entreprises américaines et européennes d’investir au Canada afin d’approvisionner et de desservir l’ensemble des marchés de l’Amérique du Nord » et « … apporte un point de vue unique sur l’industrie de la confiserie et de la biscuiterie qui dessert le marché nord-américain ». Le verbe « desservir » peut-il être considéré comme équivalent du verbe anglais « to service » dans le domaine d’application des marchés?
R. Les dictionnaires réservent desservir aux transports, aux communications et à des services de distribution, au sens restreint de « mettre en communication » par un moyen de transport, d’« assurer une distribution dans un endroit ». On assure à une région, à une population des services de chemin de fer, d’autobus, de téléphone, de cablôdistribution, de distribution de gaz. Un hôpital dessert une région, une liaison aérienne dessert plusieurs villes, une banlieue est desservie en électricité, une route dessert un littoral, des lignes de réseaux électriques desservent tant d’usagers. On dessert toutes sortes d’endroits : ports, vallées, îles, hangars, raffineries, etc.
Mais presque toujours il s’agit de services. L’emploi commercial, avec marché, est présent dans l’usage, mais pas de façon parfaitement convaincante. Le tour est, soit dit en passant, beaucoup plus fréquent au Canada qu’en Europe, où il reste plus ou moins cantonné aux publications financières et commerciales. Dans toute l’Encyclopaedia Universalis, je n’ai relevé que deux emplois à l’infinitif et quelques-uns seulement dans les formes conjuguées. À l’entrée « logistique » il est question de desservir les marchés de consommation. À « gaz naturel » : Les caractéristiques technico-économiques du transport et de la distribution imposent donc de desservir des marchés importants. Notez que dans ce dernier cas on reste dans le domaine des services. Dans les autres contextes on retombe sur le sens classique, par exemple à l’entrée « Chine » : Les lignes internationales se sont multipliées depuis 1978 pour desservir une trentaine de villes dans le monde.
Dans le Dictionnaire général encyclopédique Larousse, la définition de desservir est si large que le sens commercial y semble presque latent : « Desservir un groupe, une région, etc., (en qqch), assurer leur service, les fournir, les approvisionner en qqch. » Mais ne serait-on pas embarrassé d’écrire qu’une biscuiterie approvisionne un marché en biscuits au chocolat? Approvisionner consiste en général à fournir quelque chose de nécessaire, et peut-être que desservir conserve cette nuance chez les usagers de la langue. Remarquez en passant que dans votre premier exemple approvisionner et desservir, corrects ou non, sont redondants.
Voilà sans doute pourquoi le mot préfère les contextes où il est question de services. Il a presque toujours une extension géographique, et bien sûr marché peut aussi être pris au sens géographique. Le Grand Robert le définit, par extension, comme une « zone géographique ». Mais ce n’est pas l’élément « région » ou « zone » compris dans le sens de desservir qui pose problème : c’est l’élément « service ».
L’un des rares à avoir traité la question, Gérard Dagenais notait dans son Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada que c’était un « anglicisme subtil que d’étendre la portée de desservir à toute l’activité économique », en calquant to serve. Il faisait remarquer que le terme ne se disait que des « entreprises de service public ». Peut-être est-ce trop restrictif. Dagenais était excessivement puriste. Mais son ouvrage remonte aux années 60, et le sens contesté n’est toujours pas entré au dictionnaire.
On peut donc avoir des scrupules. Mais le mot est facile à remplacer. Les auteurs d’un récent Dictionnaire d’économie et de sciences sociales, Jean-Yves Caput et Olivier Garnier, n’emploient jamais desservir dans les articles où il est question des marchés, des entreprises, du commerce, mais toujours des expressions comme être présent sur un marché ou vendre ses produits sur un marché, et diverses variantes.
Q. La plupart des traducteurs de ma section et des pigistes emploient la virgule après l’expression « par exemple » introduisant une série de termes. Ainsi, dans une phrase comme : « Cette partie de la LCPE régit les substances toxiques (par ex. les biphényles polychlorés, les effluents des usines de pâte blanchie, les fluorures inorganiques, etc.) ». À mon avis, la virgule n’est pas nécessaire, mais je n’en suis pas certaine.
Q. J’ai cherché partout sans rien trouver de concluant. Faut-il mettre une virgule après les expressions « par exemple » et « c’est-à-dire » lorsqu’elles précèdent une énumération? Est-ce la même règle pour leur abréviations « p. ex. » et « c.-à-d. »?
R. Dans les deux cas la virgule est superflue.
Commençons par c’est-à-dire. C’est une conjonction qui fait corps avec ce qu’elle introduit. L’ensemble ainsi formé joue le rôle d’une apposition et est encadré de virgules. En fait, certains tiennent si bien à le détacher du reste de la phrase qu’ils emploient les tirets. Dans le Monde de ce matin, 27 janvier 2007, je lis : Si ce que vous dites se produisait – c’est-à-dire une division de l’Irak –, les Arabes sunnites, les chiites… etc., et dans un autre article de la même édition : Les créations « pures » d’entreprises – c’est-à-dire les créations de sociétés nouvelles (sans tenir compte des reprises ou des réactivations) – ont augmenté de 3,7 % en 2006. Mieux vaut s’en tenir aux virgules, mais on voit que l’important est de bien détacher le tout.
Il n’y a aucune raison de changer cette règle quand il y a plus d’un élément. Dans Le Monde d’hier : Il l’a fait avec un grand courage, c’est-à-dire de près, physiquement. Ajoutez une virgule après c’est-à-dire et toute la structure de la phrase devient brouillonne.
Après par exemple, on a le réflexe d’insérer une virgule parce que la locution est le plus souvent employée comme adverbe se rapportant à toute la phrase et dans ce cas généralement (mais non obligatoirement) encadré de virgules : C’est le cas, par exemple, des mammifères. On tend aussi à virguler en début de phrase : Par exemple, vous verrez que…
Mais lorsque la locution est devant l’exemple, on n’a pas l’habitude de mettre une virgule. On n’écrirait pas : Les substances toxiques, par exemple, les biphényles polychlorés, sont présentes dans…, ponctuation qui nuirait à la clarté. Par exemple avec l’exemple qu’il introduit a toujours une valeur explicative, comme une proposition relative, et à ce titre les seules virgules nécessaires sont celles qui encadrent le tout.
Pourquoi faudrait-il insérer une virgule dès qu’il y a plus d’un exemple? Le Trésor de la langue française illustre le verbe châtier par la phrase : Châtier une faute, un vice (par exemple l’orgueil, un crime, une hérésie). Il n’aurait pas été fautif de mettre une virgule devant l’orgueil, d’autant plus que la série d’exemples est entre parenthèses. Souvent en effet, dans ce cas-là, on virgule comme au début d’une phrase. Et c’est sans doute à cause des parenthèses que vos collègues sont tentés de mettre une virgule devant la série d’exemples de substances toxiques. Mais même dans un tel cas il est plus courant de s’abstenir.
Aucune raison de changer ces usages quand les deux locutions sont abrégées. Avec par exemple, la ponctuation pourrait sembler excessive : p. ex.,. Mais là aussi en début de phrase ou de parenthèse la virgule peut être tolérée.
« La virgule, écrit Jacques Drillon dans son Traité de la ponctuation française, permet d’écrire clairement; elle permet aussi d’écrire obscurément : il faut choisir. »
Q. Un particulier s’est plaint de la traduction de Canadian Battlefields Memorials par « monuments commémoratifs canadiens des champs de bataille » en prétendant que la locution adjectivale « commémoratif de » peut s’appliquer à une personne ou à un événement mais non à un lieu géographique. D’après lui, la traduction devrait être « monuments commémoratifs canadiens érigés sur des champs de bataille ». D’autres exemples sont les suivants : le « monument commémoratif de Vimy » devrait s’appeler le « Monument commémoratif du Canada à Vimy », le « monument commémoratif de Terre-Neuve » devrait s’appeler le « Monument commémoratif terreneuvien (sic) à Beaumont-Hamel », etc.
R. Le client a peut-être raison de ne pas aimer lire monuments commémoratifs canadiens des champs de bataille, qui a le double défaut de suivre l’anglais mot à mot et d’accoler lourdement deux adjectifs, mais l’expression, toute inélégante qu’elle soit, n’est pas fautive pour autant.
Il est vrai que ce sont les personnes et les événements que l’on commémore, et non les lieux. Mais la préposition de peut avoir plusieurs sens selon le mot qu’elle accompagne. Il existe à Berlin un Monument commémoratif de l’Holocauste. Dans cette appellation, la construction « commémoratif de » veut dire : « qui commémore ».
Dans le département du Bas-Rhin, en France, a été dressé au 19e siècle un Monument commémoratif de Bavière : c’est la Bavière qui l’a érigé pour ses soldats tombés au front dans la guerre franco-allemande de 1870. C’est le même de que dans notre appellation officielle Monument commémoratif du Canada à Vimy. Il veut dire « érigé par ».
Mais de peut aussi vouloir dire : « situé à ». C’est l’un de ses emplois les plus fréquents, comme dans l’horloger de Saint-Paul, le centre-ville de Montréal. Le français est assez souple pour que l’on puisse parler du monument commémoratif de Vimy, qui est situé à Vimy, tant que l’on n’utilise pas la majuscule à monument, puisqu’il ne s’agit pas de l’appellation officielle, qui est Monument commémoratif du Canada à Vimy. Cette dernière a préséance, mais rien n’interdit de parler dans le même texte, ne fût-ce que pour varier, du monument commémoratif de Vimy, ce qui pourrait être utile dans un document où l’on comparerait le monument de Vimy et celui, disons, de Beaumont-Hamel, ou de façon générale les monuments des champs de bataille. Il n’est pas nécessaire d’enfiler une camisole de force avant de traduire un texte.
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