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Mots de tête : « être à son meilleur »

Frèdelin Leroux fils
(L’Actualité terminologique, volume 35, numéro 3, 2002, page 16)

À son meilleur, un comédien russe est le meilleur du monde.
(Véra Murray, Le Devoir, 13.10.92)

Il y a plusieurs lustres de cela, il m’arrivait de croiser un collègue qui rentrait au bureau, deux cafés en équilibre précaire dans une main et sa mallette de l’autre. Un jour, en guise d’excuse ou d’explication, il me dit que ce n’était qu’après deux ou trois cafés qu’il était à son meilleur. Il ne pouvait pourtant pas ignorer que c’était un anglicisme, ayant, comme nous tous, longuement compulsé son Daviault1, ou son Dagenais2 encore.

Pierre Daviault ne parle pas expressément de calque. Mais s’il prend la peine – et ce, dès 19413 – de proposer deux façons de rendre « to be at one’s best », alors que l’expression figure dans les dictionnaires, c’est peut-être qu’à son meilleur commençait à se répandre. Quoi qu’il en soit, la paternité de la première condamnation reviendrait plutôt à Gérard Dagenais, ou au Comité de linguistique de Radio-Canada, dont une première fiche date vraisemblablement de 1967. Ils seront immédiatement suivis de Victor Barbeau4 (1968), avec Gilles Colpron5 non loin derrière (1970), qui devance à peine Robert Dubuc6 (1971), Irène de Buisseret7 (1972) et Louis-Paul Béguin8 (1974). Le Comité reviendra à la charge en 1977, avec une nouvelle fiche et un article dans son bulletin9.

Dix ans plus tard, le Multidictionnaire10 (1988) vient nous rappeler qu’il n’est pas prévu de péremption pour les fautes de langue. En 1999, dans une somme impressionnante de nos usages et « mésusages », Lionel Meney11 propose une bonne vingtaine d’équivalents d’à son meilleur. Enfin, il y a un an à peine, un conseiller linguistique12 de Radio-Canada fait paraître un recueil de pièges de la langue, pour bien s’assurer que nous n’avons pas oublié. Bref, à son meilleur est condamné depuis presque 40 ans – ou huit lustres, si vous préférez.

Dans le chapelet de solutions retenues par ces auteurs, c’est l’idée de forme qui revient le plus souvent : être en (pleine) forme, au plus haut de sa forme, au meilleur de sa forme. Et voici pêle-mêle diverses propositions : exceller, donner toute sa mesure, être à son avantage, se montrer sous son meilleur jour, être dans tous ses moyens, être à son sommet, être à son plus haut niveauetc. Dagenais et Barbeau – reste de galanterie de l’époque? – n’oublient pas les femmes : être en beauté et n’avoir jamais été aussi belle.

On pourrait croire que les possibilités d’équivalents ont été épuisées, mais les dictionnaires en ont trouvé d’autres. Après un chassé-croisé qui nous fait sauter de best à forme en passant par mieux pour aboutir à top, on obtient le bilan suivant : la plupart donnent au mieux de sa forme. Le Harrap’s et le Robert-Collins ajoutent être en train, de toute beauté, être dans une forme à tout casser, du meilleur (Dickens, par ex.). Dans le Grand Robert de 2001, à une entrée qui ne saurait être plus française – top –, on trouve être au top, avec comme équivalent être au meilleur de sa forme.

Cette dernière tournure m’amène à ouvrir une parenthèse.

D’après la seconde fiche de Radio-Canada, au meilleur de sa forme serait fautif. Et pourtant, trois dictionnaires l’enregistrent (Harrap’s, Larousse bilingue, Grand Robert). De mon côté, j’ai rencontré ce « fautif » plusieurs fois dans Le Monde13, dans une traduction14, un guide des oiseaux15, un roman16. Je vois difficilement comment le Comité de linguistique pourrait maintenir sa condamnation.

La première fiche du Comité donne un exemple fautif à corriger, « ces tomates sont cueillies lorsque leur saveur est à son meilleur », et propose à la place à son mieux. La nouvelle fiche recommande plutôt « lorsqu’elles sont le plus savoureuses ». C’est qu’entre-temps on s’est rendu compte qu’à son mieux ne se dit pas (v. l’article de C’est-à-dire). C’est pourtant l’expression que proposait Louis-Paul Béguin dans son Mot du jour. Et Dagenais et Colpron recommandaient une formule assez voisine, être au mieux. Mais les dictionnaires ne connaissent ni à son mieux, ni être au mieux dans ce sens. On n’y trouve qu’au mieux de sa forme.

Fermons la parenthèse et revenons à notre mouton noir (ou brebis galeuse, si vous préférez).

Malgré toutes ces mises en garde et condamnations, la popularité d’à son meilleur est loin de s’essouffler. Un professeur de philosophie17, dans sa présentation d’un dossier sur le Frère Untel, l’emploie :

Il n’est vraiment à son meilleur qu’en un cercle réduit d’invités.

Ainsi qu’un de nos grands romanciers, Jacques Ferron18 :

Je m’imagine que tous exilés sur une banquise […], nous serions à notre meilleur.

1992 aura été une année presque faste, j’y ai relevé trois exemples : un défenseur des droits de l’homme, Maurice Champagne (La Presse, 22.9.92), et deux journalistes, Véra Murray (citée en exergue) et Lysiane Gagnon :

[Mulroney] est à son meilleur dans un contexte d’intense partisanerie19.

Vingt ans après le dossier que lui consacrait le collège de Cap-Rouge, le Frère Untel suit l’exemple de son présentateur :

Les médias sont à leur meilleur et la communication, à son pire20.

On ne voit pas souvent être à son pire, mais on le trouve dans un ouvrage21 paru il y a une dizaine d’années; l’étonnant, c’est qu’être à son meilleur n’y figure pas…

Je ne vais pas égrener tous les exemples que j’ai relevés, mais je tiens à signaler encore quelques cas, dont celui d’un bon romancier québécois, Robert Lalonde (Le Devoir, 31.8.97), et de journalistes ou critiques littéraires sérieux : Guylaine Massoutre (9.9.00), Jean Aubry (27.10.00), Gabrielle Gourdeau (29.8.01) et Louis Cornellier (13.10.01), tous du Devoir. Lise Bissonnette, à l’époque où elle était rédactrice en chef de ce même journal, emploie une légère variante :

Au moment où la « diplômation » du secondaire atteignait son meilleur22.

Et depuis un certain temps déjà, il se trouve même des Français pour fréquenter cet anglo-québécisme peu fréquentable. En 1990, le directeur du Nouvel Observateur23 s’en sert sans sourciller* :

Notre président était dimanche soir à son meilleur…

Une journaliste du Monde n’a pas plus d’états d’âme que Jean Daniel :

Des acteurs […], débutants, amateurs, professionnels, unis, à leur meilleur24.

Un autre journaliste, du Point cette fois, écrit :

C’est Sydney Pollack à son meilleur25.

Il eût été pourtant facile d’écrire « du meilleur Sydney Pollack »…

Enfin, j’ai rencontré l’expression sur deux sites Internet – du journal Dernières Nouvelles d’Alsace et de la Coupe du monde de la FIFA.

Les Français finiront-ils par l’adopter? Ils l’ont fait pour une autre tournure avec meilleur qui date de 1910 et qui est encore aujourd’hui considérée comme fautive par pas mal de monde. Avoir/prendre le meilleur sur (son adversaire, par ex.), empruntée au vocabulaire sportif, est habituellement suivie de la mention « emploi critiqué », « calque » ou « anglicisme » (v. le Grand Robert de 2001). Mais le Hanse26 (1983) et le Dictionnaire universel francophone, paru en 1997, se contentent d’indiquer que c’est un terme de sport. Le Rey-Chantreau27 (si je puis l’appeler ainsi) reconnaît qu’il s’agit d’un anglicisme, mais précise que cela se disait en ancien français (au XIIe siècle), dans le même sens. Comme on pouvait s’y attendre, l’expression a fini par sortir des stades, et depuis assez longtemps : le Trésor de la langue française donne un exemple de Jean Giraudoux qui date de 1943, où il est question de femmes qui ont le meilleur sur leur mari…

En terminant, j’aimerais signaler un autre calque que nous aimons bien et qui est encore plus exécré par les gardiens de la langue, au meilleur de ma connaissance. Condamné depuis belle lurette – depuis 189628 –, ce tour fut pendant longtemps une sorte de chasse gardée québécoise, mais je constate que ce n’est apparemment plus le cas, puisque le Hanse29 le signale, avec la mention « traduction de l’anglais » toutefois. Et ce n’est pas tout, dans sa dernière édition, le Grand Robert donne un deuxième équivalent à être au top – être au meilleur de ses capacités. Cette tournure est condamnée chez nous depuis au moins trente ans (par Colpron, notamment).

Décidément, meilleur n’a pas fini de faire des ravages… Pour le meilleur ou pour le pire? L’avenir nous le dira.

Retour à la remarque 1* Après pareille allitération, Racine peut aller se rhabiller.

NOTES

  • Retour à la note1 Pierre Daviault, Langage et traduction, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1963.
  • Retour à la note2 Gérard Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Québec-Montréal, Éditions Pedagogia, 1967.
  • Retour à la note3 Daviault, Notes de traduction, 3e série, Montréal, Éditions de l’A. C.-F., 1941.
  • Retour à la note4 Victor Barbeau, Cahiers de l’Académie canadienne-française, vol. 12, Montréal, 1968.
  • Retour à la note5 Gilles Colpron, Les anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1970.
  • Retour à la note6 Robert Dubuc, Objectif : 200, Montréal, Leméac, 1971, p. 50-51.
  • Retour à la note7 Irène de Buisseret, Guide du traducteur, Ottawa, Association des traducteurs et interprètes de l’Ontario, 1972, p. 33 (v. Deux langues, six idiomes, 1975, p. 23).
  • Retour à la note8 L.-P. Béguin, Le mot du jour, Québec, Office de la langue française, 1974, p. 8.
  • Retour à la note9 C’est-à-dire, vol. IX,  6, p. 7.
  • Retour à la note10 Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Montréal, Québec/Amérique, 1988.
  • Retour à la note11 Lionel Meney, Dictionnaire québécois français, Montréal, Guérin, 1999.
  • Retour à la note12 Camil Chouinard, 1300 pièges du français parlé et écrit au Québec et au Canada, Montréal, Libre Expression, 2001.
  • Retour à la note13 Le Monde, 25.9.83, 12.12.86, 19.12.86, 19.12.87.
  • Retour à la note14 Brendan Behan, Encore un verre avant de partir, Gallimard, 1970, p. 121. (Traduit par Paul-Henri Claudel.)
  • Retour à la note15 Michel Van Havre, Observez les oiseaux, Marabout, 1980, p. 266.
  • Retour à la note16 Dan Franck et Jean Vautrin, Les Noces de Guernica, Presses Pocket, 1995, p. 512.
  • Retour à la note17 Rosaire Bergeron, préface au Dossier Untel, Montréal, Éditions du Jour, 1973, p. xxxi.
  • Retour à la note18 Jacques Ferron, Une amitié particulière, Montréal, Boréal, 1990, p. 182 (lettre du 2 mars 1982).
  • Retour à la note19 Lysiane Gagnon, La Presse, 2.11.92.
  • Retour à la note20 Jean-Paul Desbiens, Journal d’un homme farouche, Montréal, Boréal, 1993, p. 307.
  • Retour à la note21 André Dugas et Bernard Soucy, Le Dictionnaire pratique des expressions québécoises, Montréal, Éditions Logiques, 1991.
  • Retour à la note22 Lise Bissonnette, Le Devoir, 14.12.91.
  • Retour à la note23 Jean Daniel, Le Nouvel Observateur, 4-10.1.90.
  • Retour à la note24 Danièle Heymann, Le Monde, 21.5.91.
  • Retour à la note25 Marie-François Leclère, Le Point, 12.11.99.
  • Retour à la note26 Joseph Hanse, Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, Duculot, 1983.
  • Retour à la note27 Alain Rey et Sophie Chantreau, Dictionnaire des expressions et locutions figurées, Les dictionnaires Robert, coll. « Les Usuels », 1984.
  • Retour à la note28 Raoul Rinfret, Dictionnaire de nos fautes contre la langue française, Montréal, Cadieux et Derome, 1896.
  • Retour à la note29 Hanse, op. cit.