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C’est méconnaître l’originalité inventive de Paul Morand que l’écarter d’un revers de la main1.
(R. Duhamel, Le Devoir, 26.5.84.)
Ce n’est un secret pour personne que les dictionnaires sont incomplets. Aussi, il n’y a pas de quoi en faire un plat. Mais vous avouerez que c’est quand même agaçant de faire la tournée des grands dictionnaires (et des moins grands), à la recherche d’une expression qu’on lit ou qu’on entend à tout bout de champ, et de se retrouver Gros-Jean comme devant.
Par exemple, c’est en vain que vous chercheriez revers de (la) main dans le sens où Roger Duhamel l’emploie. D’après les dictionnaires, la fonction du revers de la main est double : vous permettre d’essuyer la sueur qui vous perle au front (Lexis) et, au besoin, vous fournir le moyen de clore la bouche d’un importun (Robert). C’est un peu court, me direz-vous.
Heureusement, au pays de l’école polyvalente, le revers est beaucoup plus… polyvalent. On s’en sert pour balayer, congédier, écarter, rejeter ou répudier un peu n’importe quoi : un danger, une demande, un importun, une objection, et j’en passe. En somme, tout ce qui ne fait pas notre affaire.
La lecture de quelques numéros du Devoir ou de La Presse nous en fournirait une belle moisson. Et il n’y a pas que nos journalistes qui l’emploient. Des personnalités, comme on dit, Roger Duhamel, Solange Chaput-Rolland2 ou René Lévesque ne dédaignent pas de s’en servir.
L’autobiographie de René Lévesque3 ayant été traduite, je suis allé vérifier comment le traducteur avait rendu balayer d’un revers de main. Littéralement : to dismiss with the back of one’s hand. Aussitôt, le voyant Attention! anglicisme s’est mis à clignoter. Mais j’eus beau consulter les dictionnaires anglais, l’expression ne semble pas connue. Un collègue anglophone m’a d’ailleurs confirmé que ce n’était pas très courant, qu’il dirait plutôt to dismiss with a wave of the hand.
D’autre part, comme j’avais rencontré la tournure dans un article traduit de l’anglais, je me suis reporté à l’original, pensant y retrouver… Pas du tout, voici que qu’on y lit : High court judgments can be vacated effortlessly. Pour traduire vacate ainsi, me suis-je dit, il fallait que la locution fût profondément ancrée dans le subconscient du traducteur. C’est ce qui m’a amené à écarter la possibilité d’un calque.
S’agirait-il d’un québécisme, alors? Pas davantage. Plusieurs exemples le confirment. Commençons par deux citations, très près du sens propre :
Ceux qui (…) étalent tout leur jeu et (…) le raflent d’un revers de main4.
Des bras de banquier, qui raflent l’or d’un revers de main5.
Enchaînons avec une traduction de l’allemand :
Comme effacés d’un revers de main, les assaillants disparurent…6.
Le Monde nous en fournit trois exemples :
(…) les hégéliens et les spiritualistes qui éliminent Sartre d’un revers de main7.
Congédier d’un revers de main toute instance socio-économique8.
Tout autant que l’interrogation sur le droit de conquête, qui ne peut être balayée d’un revers de main…9.
Voici deux variantes, qui ont exactement le même sens :
Le chef du personnel (…) fut découvert et balayé du tranchant de la main10.
Tout ça… avec le geste d’écarter quelque chose du dos de la main11.
Enfin, on trouve aussi des exemples dans des ouvrages dits sérieux :
(…) les massacres des opposants sont balayés d’un revers de la main…12.
Dont celui-ci, où il y a ce que j’appellerais un sens doublement figuré :
(…) balayer d’un revers mental tous les ragots13.
Il ne fait aucun doute, à mon avis, que cette expression est tout à fait française. On l’emploie, au figuré, depuis une bonne vingtaine d’années. Il ne peut s’agir que d’une lacune, que les dictionnaires s’empresseront de combler.
Mais il faudrait peut-être en informer les lexicographes. S’il y a un(e) volontaire qui veut bien s’en charger, je lui dédierai volontiers mon prochain billet.
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