- Au chapitre de la propriété foncière dans le droit des biens en common law, le domaine occupe une place de tout premier plan. Équivalent français normalisé au Canada du terme "estate", il demeure difficile à définir d’une manière lapidaire étant donné la recherche et la diversité de son contenu notionnel. Comme pour plusieurs concepts de common law, les définitions qui en ont été données sont nombreuses et chacune ne décrit qu’un aspect du sens du terme. Une définition très générale du domaine le décrirait comme un intérêt foncier dont la durée prévue de jouissance et les modalités de fixation de cette durée sont déterminées.
- La doctrine des domaines tire sa source de la théorie du droit de la propriété foncière. Elle montre que ce qui distingue essentiellement le domaine est le caractère temporel qui en fixe la durée.
Les auteurs classent les domaines dans cette perspective temporelle. Ils les inscrivent dans deux catégories principales de droits de propriété selon que leur durée est indéterminée ou déterminée. Aussi toutes les caractérisations du terme domaine seront-elles fondées sur la notion de temps. Les qualificatifs qui accompagnent le substantif évoquent l’élément temporel.
Ainsi, le domaine décrit l’intérêt qu’une personne peut posséder pendant un certain temps dans un bien foncier. On dira d’un domaine qu’il est viager parce que sa durée est déterminée par la vie du concessionnaire ou celle d’un tiers. On crée un domaine viager en usant de la formule classique : « à X pour sa vie » ou « à Y pour la vie de Y ».
- La caractérisation adjectivale pourra être unique (domaine absolu, actuel, ancien, éventuel, franc, héréditaire, immédiat, originaire, précédent, primitif, et ainsi de suite) ou double (domaine viager conventionnel, domaine viager volontaire).
Dans ce dernier exemple, l’adjectif conventionnel qualifie l’intérêt créé par le tenant lui-même, par acte unilatéral, ou encore dans le cadre d’un accord de volontés, tandis que l’adjectif volontaire qualifie l’intérêt viager qui est créé par suite d’une initiative personnelle, par acte unilatéral, pour la durée de vie du tenant ou d’une autre personne, le domaine viager légal (ou par effet de la loi) étant l’antonyme.
Cette double qualification peut s’opérer à l’aide de deux adjectifs (domaine viager absolu, viager anéantissable, viager ordinaire, viager résiduel, et les nombreuses variétés de domaines taillés, qu’ils soient anéantissables, ordinaires, restreints ou spéciaux), ou à l’aide d’un adjectif et d’une locution adjectivale (domaine viager de common law (au sens adjectival) ou en common law (au sens adverbial), domaine viager en equity), et ainsi de suite.
- Puisque le domaine est un intérêt foncier plutôt qu’un bien corporel comme l’est le bien-fonds, le détenteur en titre de cet intérêt, investi en personne ou désigné par la loi ou dans le cadre d’un accord, sera son titulaire : titulaire de domaine, de domaine à bail, de domaine franc ou de domaine particulaire.
Le sujet actif du domaine étant un tenant et non un propriétaire, on ne peut concevoir que le domaine soit détenu par un [propriétaire], mais par un titulaire.
- La préposition en a servi à construire des termes désignant l’état du tenant par rapport à son domaine : tenant en domaine taillé, ou l’état de la tenure : tenure en ancien domaine, tout autant que la forme du domaine et la manière en laquelle il se trouve acquis, détenu ou dévolu : domaine en expectative, en fief, en intérêt, en possession, en quasi-taille.
- La phraséologie du domaine s’élabore logiquement comme celle qui anime et met en forme la vie du mot droit ou du mot intérêt. Par conséquent, on parlera, par exemple, de la création, de la concession, de la prise de possession, du transport d’un domaine.
On a un domaine sur quelque chose, on le crée (par acte formaliste, par bail, par testament). Un domaine s’éteint, prend fin. Extinction, fin du domaine.
Une aptitude, une faculté est attachée à un domaine. On fait passer un domaine (à un héritier, à un successible). On acquiert, on obtient, on prend, on reçoit un domaine.
Un domaine étant acquis, il peut être transformé (en un fief simple), transporté ou retranché.
Un domaine dure (un certain temps), s’étend (à des biens, à d’autres intérêts), il s’applique (à des biens). Il s’aliène (par acte formaliste, par testament, par effet de la loi).
- Dans la common law d’expression française, l’adjectif domanial qualifie soit ce qui appartient à l’État (les terres domaniales ou terres de la Couronne), soit tout ce qui relève du domaine, tout ce qui s’y rapporte. Ainsi, dans la théorie des domaines ou théorie domaniale, le terme assiette domaniale désigne le bien-fonds constitutif de l’objet matériel de l’intérêt domanial. Connexité domaniale, terre domaniale, intérêt, tenant, titre domanial.
- Le dérivé substantif domanialité s’emploie dans la common law d’expression française pour désigner l’ensemble des règles juridiques qui régissent les domaines ou le régime juridique applicable aux domaines. Domanialité et restrictions au droit de propriété. Domanialité publique. Régimes de domanialité publique, de domanialité privée. Il ne faut pas confondre deux concepts : si la domanialité publique est un ensemble de règles, la propriété publique est l’ensemble des biens qui appartiennent aux personnes publiques.
- Pour se renseigner notamment sur la classification des domaines et sur leurs grandes divisions, de même que sur la théorie domaniale, se reporter au maître ouvrage de Gérard Snow, Les biens Biens réels, volume 15 de la collection Common law en poche, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2000.
- En droit administratif québécois, le mot domaine s’entend notamment de l’ensemble des biens qui sont susceptibles d’appropriation. Il permet d’établir une distinction entre le domaine public (les biens appartenant à l’État) et le domaine privé (les biens appartenant aux particuliers).
Cette distinction est différente en droit administratif français, le domaine public et le domaine privé appartenant tous deux à l’État, cas de la dualité domaniale. Il convient de signaler que les biens du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles. Les chemins, rues, ponts, fleuves et terres insusceptibles de possession privée sont considérés comme constituant des dépendances du domaine public.
- Dans le droit d’auteur, on dit d’une œuvre de l’esprit (ouvrage, invention…) qu’elle tombe dans le domaine public pour signifier que, après la mort de son auteur et expiration d’un délai imparti par la loi, elle cesse d’appartenir à sa succession et à ses ayants droit et devient publique, ce qui permet sa reproduction, sa diffusion ou sa vente libres.
Le projet Gutenberg, fondé en 1971 par Michael Hart, de l’université de l’Illinois, est un exemple d’entreprise consacrée à faire tomber dans le domaine public des milliers d’œuvres littéraires grâce à Internet.
Au lieu de tomber, verbe qui permet de construire la formule consacrée, on peut user des verbes accéder, entrer, être ou appartenir ou de la locution verbale faire partie pour varier l’expression. Dans la conception du droit de la propriété intellectuelle, le domaine public englobe tous les biens insusceptibles d’appropriation privée.
Une chose est dite dans le domaine public lorsqu’elle est d’un usage commun et que son usage n’est pas protégé par un brevet ou par des lettres patentes.
- Le néologisme domanialisation, synonyme d’accaparement et d’appropriation, a été créé en France pour désigner les techniques juridiques et les politiques qui ont permis aux États de s’approprier les biens se trouvant sur leur territoire, gérés par l’administration des domaines et soumis à la législation domaniale. Elle constitue une forme de déclassement du domaine public. La domanialisation s’opère généralement par application de deux procédés juridiques : le séquestre et l’expropriation pour cause d’utilité publique; elle vise les biens tant collectifs que privés. Domanialisation des infrastructures, des droits d’usage, de la propriété foncière, de la ressource, des terres, du patrimoine, du sol, du sous-sol. Mécanisme, stratégie, politique de domanialisation. « En Europe, la ressource tend de plus en plus à échapper à la domanialisation et à la privatisation, et à devenir un patrimoine commun de ses usagers. »
Cette création néologique s’est opérée par application à d’autres termes – tels patrimoine (patrimonialisation) et communauté (communautarisation) – du même suffixe pour nommer trois formes de régulation de la propriété foncière : la patrimonialisation, la communautarisation et la domanialisation.
© Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ), Faculté de droit, Université de Moncton