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Juridictionnaire

délibéré, ée / délibérément / délibérer

  1. Si, dans le vocabulaire judiciaire, le prononcé désigne la phase de l’instance au cours de laquelle la juridiction saisie est appelée à rendre oralement sa décision, le délibéré est, quant à lui, la phase de l’instance qui succède à l’instruction et aux plaidoiries et qui précède le prononcé. C’est une période comprise entre l’audition d’une affaire et la date à laquelle le jugement sera rendu, délai que s’accorde le tribunal pour parvenir à sa décision. En cours de, pendant le délibéré. Au terme du délibéré.

    À ce stade de la procédure, la juridiction tenue de statuer se retire pour se donner une période de réflexion, pour délibérer, c’est-à-dire pour tenir conseil, examiner la ou les questions qui ont été soumises à son appréciation. Les juges statuant en formation collégiale dans le cas des juridictions supérieures – cour d’appel, tribunal de grande instance, cour de cassation, cour suprême – peuvent se réunir, si tel est leur bon plaisir, dans une salle attenante à la salle d’audience. Puisque délibérer signifie tenir conseil, cette salle s’appelle, en France, chambre du conseil. Au Canada, les juges se réunissent à huis clos, c’est-à-dire sans la présence des parties et du public ("in camera"), en cabinet ou dans la salle des délibérés selon la durée prévue du délibéré. La discussion entre eux ou la période de réflexion que prend le juge unique a pour but d’arrêter les termes de la décision qui sera rendue.

    Le délibéré n’est pas propre aux tribunaux de juridiction supérieure; il se dit aussi pour les tribunaux administratifs et en matière d’arbitrage.

  2. On dit la mise en délibéré, et non la [prise du] délibéré, pour désigner le fait pour le tribunal, à la clôture des plaidoiries ou des débats, de réserver l’examen de l’affaire avant de rendre sa décision; il la soumet à une délibération préalable au prononcé après renvoi de la décision à une date ultérieure. Affaire, cause mise en délibéré.

    Dans le langage du droit judiciaire au Canada, les locutions verbales mettre en délibéré et prendre en délibéré entrent manifestement en vive concurrence, parfois dans le même arrêt 1. Il importe de constater que la première est l’expression juridique consacrée dans le vocabulaire français et que la seconde paraît subir l’influence du verbe anglais dans la locution to take under advisement. Puisque dans l’emploi courant on dit correctement mettre et non [prendre] une question en délibération, bien que l’on puisse prendre des délibérations, faut-il préciser, tout invite à considérer la locution prendre en délibéré comme une forme à tout le moins suspecte. Aussi sera-t-on bien avisé et fera-t-on preuve de prudence en préférant la première à la seconde. Pour varier l’expression, on dira tout aussi bien la cause que le juge a mise en délibéré que le juge a tenu la cause en délibéré.

  3. Dans la procédure française, la note en délibéré est le document dans lequel les plaideurs représentés par leurs avocats remettent au tribunal saisi, après les plaidoiries, leurs observations écrites pour l’aider dans son délibéré. « À partir de la mise en délibéré, seules peuvent être remises au tribunal les notes, qualifiées de notes en délibéré, qui doivent se borner à rappeler et à préciser les arguments développés à l’audience et ne doivent contenir aucun moyen de droit ou de fait non consigné dans les conclusions. »
  4. Vider un délibéré signifie rendre une décision après s’être consultés ou après réflexion. La cour vide son délibéré lorsqu’elle prononce son jugement en audience publique.
  5. Le délibéré est qualifié de judiciaire quand il est le fait des tribunaux judiciaires, d’administratif quand il est celui des tribunaux administratifs ou des assemblées délibérantes.

    Le délibéré judiciaire peut revêtir trois formes. Les magistrats peuvent délibérer sur le siège, et non [sur le banc] ou, comme on trouve en Belgique, [sur les bancs]; on dit alors qu’ils délibèrent séance tenante. Il y a en ce cas jugement sur le siège, les juges se concertant à voix basse dans la salle d’audience avant de rendre jugement sur-le-champ, l’affaire ne présentant pas de difficultés particulières. Motifs rendus sans délibéré, et non [à partir du siège].

    Il arrive souvent aux juges de première instance de rendre des jugements sans délibéré ("unconsidered"), les exigences de ces procès étant telles qu’ils n’ont pas le temps de consulter la jurisprudence.

    Les juges peuvent se retirer et, après un intervalle plus ou moins long, rendre leur jugement. Le délai – de huitaine, de quinzaine ou d’une période indéterminée – tient lieu de délibéré. Le juge qui délibère en cabinet, contrairement à celui qui délibère sur le siège, réfléchit dans son bureau à la décision qu’il rendra.

    Enfin, le prononcé du jugement peut être remis à une date ultérieure, non précisée : l’affaire est alors en délibéré.

  6. La juridiction tient séance, elle siège en audience publique ou à huis clos. Dire qu’elle est en délibéré signifie qu’elle s’est retirée pour réfléchir, ne siégeant plus. Aussi faut-il éviter de dire, même à propos de la première forme de délibéré, qu’un tribunal [siège en délibéré].
  7. Le verbe délibérer est transitif indirect : on délibère de ou sur quelque chose. Délibérer du jugement. Le tribunal doit rendre le jugement après en avoir délibéré. Il délibère sur toutes les questions pertinentes qui feront l’objet de ses motifs.

    Dans l’exemple qui suit, l’emploi du pronom relatif qui est fautif : « Les décrets qui doivent être délibérés en Conseil des ministres donnent toute la latitude au chef de l’État pour inscrire ou non à l’ordre du jour les décrets qu’il souhaite réserver à sa signature. » Il eût fallu écrire : dont il doit être délibéré.

  8. Le délibéré est secret : il se déroule hors la présence des parties à l’instance, de leurs avocats, des intervenants ou des tierces parties. Délibéré à huis clos. Concept, principe, privilège, secret du délibéré. Caractère confidentiel du délibéré.

    Il est assujetti à d’autres conditions de validité : il doit réunir les juges qui ont assisté à toutes les séances de la cause et les magistrats participant au délibéré doivent avoir la qualité de juge. Les questions déjà tranchées ou les questions non pertinentes sont rejetées du délibéré, les mémoires sont écartés du délibéré. Délibérer valablement, délibéré valable.

  9. Le délibéré peut être bref (quelques minutes, s’il est sur le siège) ou mériter une plus ample réflexion : long délibéré. Il peut s’étendre sur quelques semaines ou, même, sur quelques mois. Il peut être facile, simple ou difficile, ardu, complexe, épineux, divisif.
  10. En droit successoral, le mot délibérer se dit notamment de l’héritier qui s’accorde une période de réflexion avant de se prononcer sur le legs dont il est bénéficiaire. « L’héritier dispose, pour délibérer sur son acceptation du legs, un délai de quarante jours. » Faire inventaire et délibérer.
  11. Plus généralement, on appelle délibéré toute concertation entre les membres d’un organisme appelé à prendre une décision ou d’une assemblée délibérante. Durant cette concertation, les membres s’accordent une période de discussion et de réflexion pour s’assurer du bien-fondé et de la teneur de leur décision.
  12. Il faut éviter de dire qu’une décision que doit rendre une autorité judiciaire ou administrative est [en réserve] ("under reserve"); on remplacera cet anglicisme de construction par la locution en délibéré. « À la clôture de l’audience, j’ai indiqué que je mettrais ma décision en délibéré » ("reserve my decision"). Il convient d’ajouter qu’il est tout à fait correct de dire que, lorsque le juge met une affaire en délibéré, il en réserve l’examen avant de rendre sa décision, ce qui n’autorise pas nécessairement à dire que sa décision est [en réserve] ou [mise en réserve].
  13. Dans l’usage courant, est qualifié de délibéré ou bien ce qui est volontaire, c’est-à-dire ce qui est conscient, intentionnel et voulu, ou bien ce qui est ferme, c’est-à-dire ce qui est assuré, décidé, déterminé, énergique, hardi et résolu. Aussi ce qui est fait délibérément est-il fait à dessein, consciemment, de plein gré, de sang-froid, en (toute) (pleine) connaissance de cause, exprès, expressément, intentionnellement, sciemment ou volontairement.

    Les acceptions juridiques sont toutefois plus nuancées. En effet, le droit établit des distinctions et considère qu’il importe de ne pas confondre les desseins et les intentions. Le sens juridique de l’adjectif conscient enrichit celui de l’adjectif délibéré en ajoutant l’idée que ce qui est délibéré doit être fait en connaissance de cause. « Un acte scellé doit être signé, scellé et remis, et l’apposition du sceau 1 et 2 doit être faite de propos délibéré et en pleine connaissance de cause. » En matière pénale, la connaissance conjuguée à l’acte délibéré peut être considérée comme un degré minimal de culpabilité, un élément constitutif de l’acte coupable.

    De même, le sens juridique de l’adjectif volontaire enrichit celui de l’adjectif délibéré en ajoutant l’idée que ce qui est délibéré doit être fait de façon volontaire. Par exemple, le consentement implique l’acquiescement ou l’assentiment délibérément et volontairement donné par une personne capable. La personne qui a perdu conscience ou qui est incapable de communiquer parce qu’elle se trouve dans un état d’ivresse avancé n’est pas en mesure de donner un acquiescement à la fois délibéré et volontaire.

  14. Le législateur canadien a entendu qu’une distinction soit faite dans l’interprétation de l’article 231 du Code criminel entre le propos délibéré et l’intention. Le tribunal doit tenir compte de tous les facteurs qui ont pu miner la capacité de l’accusé de former une intention par opposition à sa capacité d’agir avec préméditation et de propos délibéré. Autrement dit, conclure à l’existence de l’intention n’oblige pas nécessairement à décider qu’il y a eu tout à la fois préméditation et propos délibéré, l’accusé ayant pu être atteint d’une maladie mentale ou se trouver dans un état d’ivresse avancé dont les effets auraient influé sur sa capacité d’agir avec préméditation et de propos délibéré.

    Ainsi, les expressions avec préméditation et de propos délibéré ne sont pas synonymes. Un acte est accompli de propos délibéré, s’il est réfléchi plutôt que précipité ou impulsif. Une personne commet un meurtre de propos délibéré lorsqu’elle prend le temps de songer aux conséquences, c’est-à-dire lorsqu’elle soupèse les avantages et les inconvénients de l’acte qu’elle se propose de commettre. L’intention et le propos délibéré doivent être distingués également. « La capacité mentale requise pour former une simple intention est moindre que celle qui est nécessaire pour agir avec préméditation et de propos délibéré. » La préméditation comporte l’idée d’une planification et le propos délibéré connote l’idée de l’acte volontaire. L’acte qui n’est pas commis de propos délibéré sera jugé accidentel.

  15. Dans la locution de propos délibéré, le substantif propos souligne ce qu’on se propose de faire, ce qu’on se fixe pour but de son action. Ce n’est pas une suite de paroles, un discours. Le propos que l’on conçoit est le dessein, l’intention, la résolution que l’on a. Le ferme propos est une résolution bien arrêtée. Dire de quelqu’un qu’il se forme le propos d’accomplir une action signifie que telle est son intention, ce que la common law désigne par la locution latine mens rea, ou l’élément moral, l’intention coupable, qu’elle oppose à l’actus reus, ou l’élément matériel de l’infraction.