- Dans une première acception, la jouissance est une aptitude, non un exercice. Le complément de nom de ce vocable est une réalité abstraite. Aussi faut-il distinguer la jouissance (d’un droit, d’une compétence, d’un pouvoir, d’une prérogative, d’une obligation) de son exercice ou de son exécution 1, selon le cas.
C’est une aptitude à l’acquisition, à la titularisation. Une fois obtenue l’acquisition ou la titularisation, l’emploi d’expressions telles que pleine jouissance, plénitude de jouissance, pérennité de jouissance se justifie. Autrement dit, on ne peut pas parler de plénitude quand le sujet de droit ne fait que prétendre à l’acquisition du droit, de la compétence, du pouvoir ou de l’obligation.
Aussi distingue-t-on la capacité de jouissance de la capacité d’exercice. « Tout être humain possède la personnalité juridique; il a la pleine jouissance des droits civils. » « Toute personne est apte à exercer pleinement ses droits civils. Dans certains cas, la loi prévoit un régime de représentation ou d’assistance. » Selon l’explication lumineuse d’Aubry et Rau, « la capacité de jouissance se confond avec la personnalité en ce sens que tout être capable de posséder des droits et d’être soumis à des obligations est une personne. »
À la capacité de jouissance s’opposent les incapacités de jouissance, lesquelles visent les cas d’absence ou de privation de certains droits du fait soit de l’acte juridique ou de son objet (on ne peut céder les droits de la personnalité), soit de l’état des personnes (l’incapacité d’un frère et d’une sœur de se marier), soit encore la fonction de la personne (le juge ne peut se porter acquéreur de droits litigieux).
- L’aptitude à la jouissance et la capacité de jouissance ne sont pas des notions interchangeables : la première, simple disposition, évoque la possibilité de la titularisation, tandis que la seconde, étant une capacité, renvoie tant à une aptitude à la titularisation qu’à l’exercice ou à l’exécution, selon le cas, de l’objet de la jouissance.
Dans cette première acception se rangent tous les syntagmes qui dénotent une aptitude ou une capacité : jouissance d’une autorité, d’une prérogative, d’une faculté, d’une légitimité, d’une autonomie patrimoniale.
- Dans une seconde acception, la jouissance est un usage, une utilisation. En ce sens, elle s’entend du droit d’user d’un bien. Le détenteur et le possesseur exercent un droit de jouissance sur celui-ci. Mais le droit d’user de sa chose comme on l’entend comporte l’obligation de ne pas exercer ce droit d’une manière qui empêche autrui de jouir lui aussi de sa propriété. Empiéter sur le droit de jouissance d’un bien.
Le complément de nom est ici une réalité matérielle, concrète. Jouissance d’un fonds de terre, d’un bien-fonds, d’un lieu, d’une servitude. Procurer la jouissance, la posséder. Condition, modalité, mode de la jouissance. Jouissance octroyée au preneur par le bailleur. « Le locateur doit procurer au locataire la jouissance paisible des lieux qu’il a loués. » « Le survivant possède la jouissance des acquêts ou des biens de la communauté venant à ses enfants du chef du conjoint prédécédé jusqu’à leur majorité ou leur émancipation. »
En ce sens, jouissance et droit de jouissance sont synonymes.
- En droit civil, la jouissance est étroitement apparentée à l’usufruit (le droit d’user, de se servir d’un bien et d’en percevoir les revenus) et à l’emphytéose (le droit immobilier de pleine jouissance sur un immeuble appartenant à autrui « à charge de ne pas en diminuer la valeur et de payer au propriétaire une redevance annuelle en argent ou en nature »).
- Il y a abus de jouissance en cas de mauvaise utilisation ou d’usage excessif ou malavisé d’un bien par une personne qui n’a sur celui-ci qu’un droit de jouissance limité. « L’usufruitier qui laisse dépérir un bien, faute d’entretien, commet un abus de jouissance. » L’abus de jouissance est un corollaire de l’abus de droit.
- On entend par trouble de jouissance tout trouble, de droit ou de fait, ayant pour effet d’inquiéter une personne dans sa jouissance d’une chose. Troubler quelqu’un dans sa jouissance. Par exemple, s’agissant des obligations du bailleur, celui-ci étant tenu non seulement d’assurer (au sens actif du terme) au preneur, pendant toute la durée du bail, la jouissance paisible des lieux loués, mais aussi de la garantir, doit n’accomplir aucun fait personnel ou ne permettre aucun fait extérieur susceptible de troubler le preneur dans cette jouissance. Ainsi, il ne peut aussi bien consentir des servitudes qui porteraient atteinte à la jouissance du preneur (trouble de droit) que permettre la survenance de nuisances ou de violations de domicile, d’intrusions ou d’atteintes quelles qu’elles soient qui feraient perdre au preneur tous les avantages résultant de la jouissance (trouble de fait). En d’autres termes et en somme, le bailleur doit s’abstenir de tout acte qui gêne, diminue ou entrave cette jouissance, qui nuit à cette jouissance, et faire le nécessaire pour que le preneur de la chose louée en jouisse paisiblement. Faire jouir quelqu’un de quelque chose.
- Le sacrifice de jouissance est celui qu’impose au preneur le bailleur tenu d’apporter des améliorations ou des réparations nécessaires à son bien pour l’empêcher de dépérir ou de se dégrader; en pareil cas, le preneur n’a pas le choix de souffrir l’atteinte portée à sa jouissance. Ce sacrifice peut aller jusqu’à la privation de jouissance entraînée par ces travaux, laquelle sera compensée de quelque manière par le bailleur, et même jusqu’à l’impossibilité de jouissance, dans le cas, par exemple, d’une expropriation pour cause d’utilité publique ou d’un déplacement du preneur hors les limites du bien loué. Hormis ces cas extraordinaires, le preneur peut obtenir réparation du trouble que subit sa jouissance et le bailleur ne répond pas des fautes du preneur qui a excédé les bornes d’une jouissance morale. Restriction de jouissance (subie par le preneur du fait d’un vice caché, d’une infestation malencontreuse).
Au regard des obligations du bailleur, outre celle d’assurer au preneur la jouissance paisible de la chose pendant la durée du bail, « à le faire jouir de la chose dans les conditions, connues de lui, où la jouissance pouvait s’exercer à la suite de la convention 1 et 2 », le bailleur doit mettre les lieux loués en bon état au moment de l’entrée en jouissance ou de la délivrance du bien. On doit entendre par entrée en jouissance le moment où le preneur prend possession des lieux loués ou la date du commencement du bien, selon les stipulations du bail à cet égard, ou, dans le cas d’une acquisition, la date de la remise du bien à l’acquéreur, le plus souvent à la date de la signature ou de la passation de l’acte de vente.
- Il ne faut pas confondre jouissance juridique et jouissance légale. La jouissance est dite juridique quand elle a trait au droit; c’est celle dont il est question ici. La jouissance légale se dit quand elle tire son origine de la loi et qu’elle porte sur les biens des enfants mineurs des père et mère. Perte de la jouissance légale. Être privé de son droit de jouissance légale. « Sous le nom de jouissance légale, la loi confère aux père et mère l’usufruit des biens de leurs enfants, au moins tant que ceux-ci n’ont pas atteint l’âge de 16 ans. Jusqu’à cet âge accompli 1 et 2, les parents ont la jouissance des biens qui sont la propriété personnelle de leurs enfants. »
- Dans la pratique notariale, le principe de la jouissance divise permet aux attributaires de jouir également des biens partageables. Jouissance privative. « La clause de jouissance divise a un double effet : premièrement, c’est à partir seulement de la même date que commence, pour chaque attributaire, la jouissance privative des biens placés dans son lot (de là le nom de clause), tous les fruits antérieurement produits ayant été incorporés à la masse partageable. »
- En droit immobilier, plus précisément dans le droit de la copropriété, la jouissance privative s’oppose à la jouissance commune. Le règlement de jouissance ou le contrat de jouissance détermine le droit de jouissance exclusif et privatif sur une partie commune. Terrain, jardin à jouissance privative, à jouissance exclusive et privative. Jouissance commune des parties communes, des parties non privatives. Extension d’une jouissance privative. « Le règlement de copropriété d’un immeuble dont la propriété est répartie entre plusieurs personnes par les lots détermine la distinction des parties privatives et communes, les conditions de leur jouissance ainsi que les règles relatives à l’utilisation et à la gestion des parties communes. »
- Dans le droit des biens en régime de common law, la jouissance ("enjoyment") se conçoit par rapport à la possession, à l’utilisation d’un domaine, d’un bien réel, d’une servitude de même qu’à l’occupation du lieu objet de la jouissance. C’est le droit de jouissance qui procure à un bien toute sa valeur.
Les tribunaux et les auteurs distinguent différentes formes de jouissance. Elle est dite actuelle ("present") quand la possession et l’utilisation s’opèrent dans l’ici maintenant, par opposition à celles qui sont reportées à un certain moment dans l’avenir et qui procureront la jouissance future, différée ou subordonnée ("future" ou "postponed"). Elle est simple ("simple") quand celles-ci ne sont soumises à aucune condition, elle est paisible ou tranquille ("peaceful", "quiet") quand elles ne sont nullement entravées par le fait ou par l’intervention du bailleur ou de l’un quelconque de ses ayants droit, souvent par l’effet du covenant de jouissance paisible ("covenant for quiet enjoyment"). Elle est légitime ("lawful") quand elles sont fondées en droit.
La jouissance est, en outre, qualifiée de bénéficiaire ("beneficial") quand la possession et l’utilisation sont exercées de plein droit ou pour le propre avantage du bénéficiaire, le droit de jouissance bénéficiaire étant en ce cas celui qui, relevant du domaine en equity, appartenait au cestui que use, c’est-à-dire à l’usager. Elle est dite comme de droit ("as of right") parce que la possession et l’utilisation ne sont subordonnées à aucune autorisation devant être sollicitée régulièrement, qu’elles s’exercent de façon notoire, publique, continue et ininterrompue par une personne qui ne risque pas d’être considérée comme un intrus – la jouissance étant de plein droit. Enfin, la jouissance est adversative ("adverse") lorsque, s’agissant par exemple d’un titre ou d’une servitude, l’acquisition par prescription se réalise par suite d’un usage adversatif, c’est-à-dire ne nécessitant aucune permission.
- Dans le droit des sociétés de personnes, la notion d’apport est essentielle à la formation et à l’essor de la société. L’apport s’entend des biens (sommes d’argent, fonds de commerce, immeuble, moyens) que les apporteurs mettent en commun pour assurer le bon exercice des activités de la société. Par cette contribution, ils reçoivent en contrepartie la qualité d’associé ainsi que des droits sociaux sous forme de parts ou d’actions.
L’apport à la société s’opère, en pratique, de trois manières distinctes : sous forme d’apport en numéraire ou en espèces (c’est-à-dire tout apport d’argent), d’apport en biens, selon trois formules possibles : l’apport en propriété, l’apport en usufruit ou l’apport en jouissance, ou d’apport en industrie (apport de connaissances ou d’activités).
L’apport en jouissance est, par conséquent, la mise à disposition d’un bien pour un temps déterminé sans transfert de propriété. L’apporteur reste propriétaire du bien (qu’il soit matériel, consomptible ou périssable). Aux termes de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, lorsque l’apport est en jouissance, l’apporteur est garant envers la société comme un bailleur envers son preneur.
Les actions qu’acquiert l’apporteur devenu associé sont dites actions de jouissance par distinction d’avec les actions de capital. « Le droit de vote attaché aux actions de capital ou de jouissance est proportionnel à la quotité du capital qu’elles représentent et chaque action donne droit à une voix. » Les actions de jouissance sont des actions intégralement amorties.
© Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ), Faculté de droit, Université de Moncton