- Le tempérament juridique s’opère dans tous les discours du droit, aussi le répartit-on en quatre catégories : le tempérament législatif (quand, par exemple, la loi admet et accueille des exceptions ou limite la portée générale d’une disposition 1 et 2), le tempérament jurisprudentiel (quand, par exemple, la juridiction saisie atténue 1 et 2 la sévérité d’une peine, d’une amende), le tempérament conventionnel (quand, par exemple, les parties contractantes assouplissent la rigueur des délais d’exécution 1) et le tempérament doctrinal (quand, par exemple, des auteurs apportent des restrictions à des positions adoptées par l’activité doctrinale).
- Le tempérament est un adoucissement, une modération, une réticence, une atténuation devant les excès de rigueur d’une règle ou d’un principe, en apparence absolue, la rigidité d’une position ou l’inflexibilité d’une prescription. Il a pour rôle principal de corriger la rigueur du droit, d’atténuer la sévérité de la loi, de compléter en l’adoucissant le caractère excessif d’un précepte ou d’une interdiction, d’un châtiment ou d’une sanction, d’assouplir une norme.
En accueillant des tempéraments qui sont des accommodements dont la conséquence est de substituer à la fermeté largement impraticable d’une norme ou à son caractère particulièrement strict une flexibilité nécessaire. Les formalités trop rigoureuses seront, entre autres, adoucies par des tempéraments, adaptations juridiques à des situations particulières. En ce sens, le tempérament est un correctif, un compromis, une adaptation, une réserve, non une dérogation. « Le bon sens commande au juge de l’article 443 non pas des dérogations, mais des tempéraments selon les circonstances. »
- Le tempérament fait obstacle à l’irrésistibilité de la loi, à la dureté de la règle de droit : il plie la norme et exerce une fonction d’harmonisation. Une loi est-elle trop implacable, une règle est-elle trop étroite, un critère est-il trop limitatif, une réglementation est-elle excessive, la justice a-t-elle des commandements trop impératifs, la position de la jurisprudence est-elle trop intransigeante sur une question, il faut les tempérer, les adoucir, atténuer leur inflexibilité par l’apport de tempéraments. Ceux-ci ajoutent une nuance au caractère intraitable d’une règle. « La jurisprudence n’applique pas ce texte sans nuance. Elle considère que cet article fournit le moyen de tempérer la règle qu’il pose. » Ils restreignent le domaine d’application d’une disposition et limitent l’application d’une loi. Apporter un tempérament. « L’article 55 apporte un tempérament à la règle générale. » « L’article 9.1 a pour objet d’apporter un tempérament au caractère absolu des libertés et droits édictés aux articles 1 à 9. » Règle assortie d’un tempérament.
- Délaissant les formules abstraites trop générales, une loi pourra descendre dans le détail, multiplier les exceptions à une règle, les tempéraments à une exception et les dérogations à des tempéraments. En outre, dans l’énoncé d’un principe, le législateur l’accompagnera de tempéraments. Par exemple, le principe selon lequel l’étendue de la chose jugée a pour mesure ce qui a été effectivement décidé par le tribunal entraîne une conséquence : seules les énonciations du dispositif sont dotées d’une telle autorité. Des tempéraments sont prévus à la rigueur du principe : certains chefs du dispositif en sont dépourvus, sous forme d’atténuations, la chose jugée n’étant pas nécessairement exclue parce que les questions n’ont été réglées que d’une manière implicite.
La proposition excessive à l’évidence connaîtra des tempéraments, notamment dans le cas de la maxime Qui ne dit mot consent, le silence ne pouvant a priori être interprété comme un consentement.
Une innovation législative pourra venir tempérer, sans l’abolir, une interdiction. Par exemple, une loi française permet à une juridiction de l’ordre judiciaire de s’adresser à la Cour de cassation pour obtenir son avis sur l’interprétation d’un droit avant de juger sur le fond une affaire dont elle est saisie. Mais le législateur pose trois conditions à pareille demande émanant d’un juge, lesquelles sont suffisantes pour tempérer l’interdiction de refuser de statuer. Ce tempérament prescrit par la loi constitue une forme d’atténuation qui permet de sauvegarder le principe sacré selon lequel tout juge est tenu de statuer sur toute affaire dont il est saisi.
De même, le principe de la reconnaissance de paternité et de maternité reste entier comme acte solennel, mais une disposition en atténue la portée. L’article 337 apporte un tempérament à l’article 334-8, qui énonce la règle de solennité de la reconnaissance.
L’acte de naissance a la valeur d’une reconnaissance, sauf à la condition que l’indication de la mère dans l’acte soit corroborée par la possession d’état.
L’accomplissement du devoir de renseignement qui pèse sur chaque sujet de droit et l’interdiction de plaider l’excuse d’ignorance que renferme la maxime Nul n’est censé ignorer la loi ne peuvent être exigés de façon absolue. La nécessité de connaître la condition exacte de la personne avec qui on contracte, tout en demeurant très forte, est notablement, largement tempérée par le droit positif, qui ne lui donne vigueur que de façon compréhensive et par des règles correctrices.
- De nombreuses ressources linguistiques permettent d’énoncer les tempéraments : locutions adverbiales et adjectives (sous réserve de, à la ou sous la condition, aux conditions de, sans préjudice de), prépositions (sauf, excepté, hormis, moyennant), adverbes (toutefois, cependant, néanmoins, pourtant), locutions figées (à moins que, étant entendu que), formules consacrées, expressions et tournures impersonnelles (sous toutes réserves, sauf les cas où, si ce n’est, si (…) ne pas, il est loisible, il est au choix de, sauf disposition contraire) et mode du verbe (emploi du conditionnel). « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. » « Toute personne peut contracter, si elle n’en est pas déclarée incapable par la loi. » « Tous ceux auxquels la loi ne l’interdit pas peuvent acheter ou vendre. »
Parmi d’autres, ces moyens tempèrent le caractère absolu et strict que traduisent des adjectifs indéfinis (aucun, chaque, tout), des adjectifs à valeur adverbiale (seul), des pronoms indéfinis ou relatifs employés absolument (chacun, nul, personne, quiconque, rien, autrui), des adverbes (seulement, uniquement, jamais, toujours) ou des formules consacrées, des tournures et des expressions (en toutes circonstances, à quelque titre que ce soit, il est interdit, il est défendu, il n’y a, il ne peut, il faut, dans tous les cas de, ni (…) que).
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