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Il faut faire votre part pour sauver M. Bourassa de la déprime
(Daniel Larouche, Le Devoir, 12.12.87)
Avez-vous subi un examen médical récemment? Et votre E.C.G. était-il normal? Dans ce cas, vous n’allez pas me faire le coup de la syncope, n’est-ce pas, si je vous apprends que faire sa part est… un calque de l’anglais?
Ce n’est pas facile à croire, je sais. C’est un peu comme lorsqu’on apprend que le père Noël n’existe pas.
C’est pourtant ce qu’affirmait Jean-Marie Laurence en 1972 dans le bulletin du Comité linguistique de Radio-Canada (C’est-à-dire, vol. VII, nº 3, p. 9), et en 1980 dans son dernier ouvrage Vagabondage linguistique1. (Le Comité linguistique a aussi fait paraître une fiche sur ce problème de langue, fiche qui est vraisemblablement due à M. Laurence.)
S’il était seul de cet avis, j’aurais des réserves. Après tout, il n’est pas infaillible. Il a pu donner dans le travers de certains défenseurs de la langue, qu’obsède encore aujourd’hui le cri d’alarme lancé par Jules-Paul Tardivel il y a plus d’un siècle :
« L’anglicisme, voilà l’ennemi! »
Mais il a de sérieux appuis. En effet, les dictionnaires semblent lui donner raison. Le Herbst2 traduit to do one’s part par faire son devoir. Le Harrap et le Robert-Collins ne connaissent que to do one’s share : y mettre du sien (Harrap), fournir sa part d’efforts, sa (quote)-part de travail (Robert-Collins). Certes, ce n’est pas une condamnation proprement dite. Il pourrait s’agir simplement d’un oubli. Mais lorsque Maxime Koessler3 affirme que to do one’s part est un faux ami, qui se rend par faire son devoir, on commence à y croire. D’autant plus que le Dictionnaire des vrais amis4, qui prend souvent le contre-pied du Koessler, est muet comme carpe.
Quant aux dictionnaires de langue, ils cautionnent indirectement Jean-Marie Laurence, puisqu’ils n’enregistrent pas cette expression. Même pas le volumineux Trésor de la langue française. Ni le Dictionnaire du français Plus où figurent pourtant des québécismes/anglicismes comme ne pas être sorti du bois, lever le nez sur qqn/qqch.
Bien malgré moi, je m’étais résigné à l’idée qu’il valait sans doute mieux éviter cette tournure. Jusqu’au jour où j’entendis une ancienne collègue l’employer. Comme elle était d’origine européenne, j’étais curieux de savoir si elle la connaissait depuis longtemps. Elle n’en savait rien, depuis toujours, peut-être. En tout cas, elle était tout aussi étonnée que moi d’apprendre que c’était, apparemment, un anglicisme.
À peine quelques jours plus tard, je tombais sur un passage qui devait semer pour de bon le doute dans mon esprit :
Je veux faire ma part du travail de direction, absolument, je veux faire ma part. Et donnez-moi un fils, et lui aussi pourra faire sa part après moi5.
Trois fois en moins de trente mots. Ce n’est pas rien. Mais il faut dire qu’il s’agit d’une traduction, et que dans une version antérieure, on trouve donner/prendre sa part. Reste que c’était l’aiguillon qu’il me fallait pour reprendre mes recherches.
La locution figure dans As the French Say6 : il ne fait pas sa part – He’s not pulling his weight, et dans 2001 idiotismes français et anglais7 : faire sa part – to do one’s bit, to keep one’s end up. Curieusement, ces deux ouvrages ne connaissent pas to do one’s part/share. Mais qu’importe, après tout, puisqu’on me proposait trois nouvelles pistes. Il ne me restait plus qu’à soumettre les « bilingues » à un nouvel interrogatoire. Ils ont fini par passer aux aveux.
On trouve faire sa part à bit (Larousse bilingue), à end (Harrap), ainsi qu’à weight (Larousse bilingue, Robert-Collins, Dictionnaire canadien8). Et j’en ai même trouvé un exemple dans un dictionnaire à peu près inconnu : Les ingénieurs font leur part – The engineers are doing their part9. C’est une assez belle moisson : sept dictionnaires, huit exemples.
Qu’il faille un tel chassé-croisé pour trouver confirmation que notre tournure est française, cela montre encore une fois – s’il en était besoin – que les dictionnaires sont non seulement incomplets, mais incohérents par-dessus le marché.
Ceci dit, pour que le tableau soit complet, il me manquait la caution d’un bon écrivain. Je désespérais de jamais l’obtenir, quand je trouvai par hasard, chez un libraire d’occasion, un auteur que j’aime bien. Sans le savoir, je tenais ma citation :
Il fera sa part comme les auteurs10.
Cette citation date de 1927. C’est dire que l’expression est nettement moins récente qu’on ne l’aurait cru.
En terminant, j’en profite pour inviter les défenseurs de la langue – les traducteurs en sont – à ne pas se contenter de dépister les calques de l’anglais. Car ils ont aussi le devoir – non moins important – de démasquer les faux anglicismes. Après tout, la liste des « vrais » est bien assez longue. Inutile d’y ajouter.
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