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On a eu la nouvelle orthographe. Il y a aussi la nouvelle grammaire. Et quand on parle de la nouvelle grammaire, les positions sont plutôt tranchées : d’un côté, on trouve les partisans de la grammaire traditionnelle, de l’autre, les adeptes de la nouvelle. Et vous, avez-vous une opinion sur la nouvelle grammaire? Si vous avez à portée de voix un collègue ou un ami, prenez quelques minutes pour en discuter avec lui. J’insiste, car l’expérience est intéressante.
En me livrant à cet exercice, j’ai remarqué que la nouvelle grammaire ne fait pas l’unanimité, particulièrement chez les parents. Les enseignants, eux non plus, ne sont pas tous convaincus. De plus, les préjugés sont nombreux, même chez les professionnels. J’ai rencontré une langagière chevronnée qui pensait que la nouvelle grammaire se limitait à une nouvelle terminologie, une des idées erronées les plus véhiculées sur le sujet. Si les enthousiastes se font rares, ils ne tarissent cependant pas d’éloges pour cette méthode tenant enfin compte des apprenants qui éprouvent des difficultés.
Les médias en ont aussi parlé quand elle a été adoptée dans les écoles, mais en présentant une position peu nuancée. Le débat est réel, et le manque de cohérence dans l’information l’alimente. Pour se faire une opinion sur le sujet, les gens croient qu’ils doivent répondre à la question : êtes-vous pour ou contre? Une fausse question selon moi, car cela revient à supposer que la grammaire est une chose immuable qui ne peut et ne doit pas changer.
Voici le premier d’une série d’articles qui présenteront les caractéristiques de la nouvelle grammaire. Commençons par un survol historique. Les articles suivants expliqueront davantage les notions théoriques de la nouvelle grammaire.
Mythe | Réalité |
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La nouvelle grammaire est particulière au Québec. | C’est en Suisse, en Belgique et en France qu’on a publié les premiers ouvrages didactiques suivant l’idée que la phrase est au centre de la langue. Cette école de pensée a cours même en Espagne, où l’enseignement de l’espagnol est centré sur la phrase, comme le dicte la nouvelle grammaire française. |
Mes enfants n’apprennent pas la grammaire que j’ai apprise. | Au Québec, la transition vers la nouvelle grammaire s’est amorcée à la fin des années 1970. De nombreux parents y ont donc été exposés, à différents degrés, sur les bancs d’école. Elle n’est donc pas si nouvelle que son nom l’indique. |
La nouvelle grammaire ne se résume qu’à une nouvelle terminologie. | Bien sûr, la terminologie a un peu changé, mais au-delà des nouveaux mots, la nouvelle grammaire présente de nouvelles caractéristiques. Par exemple, l’unité centrale n’est plus le mot, mais la phrase et les groupes de mots. De plus, l’élève apprend une méthode d’analyse bien différente de celle de la grammaire traditionnelle. |
Depuis le xve siècle, époque où l’on a commencé à étudier le sujet, la grammaire française s’est beaucoup transformée. Étant donné que le français se mesurait au latin tout puissant, ses premières grammaires étaient étroitement liées à cette langue. Certains grammairiens usèrent même d’entourloupettes pour attribuer au mot français des déclinaisons, faisant fi de sa position dans la phrase et des prépositions*.
Dès sa création en 1635, l’Académie française s’inspire de la noblesse parisienne pour déterminer le bon usage et fait des recommandations fondées sur la logique, mais aussi sur l’esthétique prescrite par la cour. De plus, le Traité de la langue françoise, publié en 1706 par un membre de l’Académie, conserve le cadre latin.
Prenant parfois les allures d’un divertissement pour les mieux nantis, la grammaire fait alors l’objet de divers ouvrages qui laisseront tout de même leur marque. Par exemple, on écrit que la nature d’un mot est déterminée par la façon dont on l’emploie, et non par sa sonorité, comme on le croyait jusque-là.
La volonté d’enseigner la grammaire française à l’école est née d’un souci purement politique. Nous sommes en France, en 1794. Un rapport révèle que le français, langue dite nationale, n’est parlé que par une fraction de la population. Contre le breton et l’occitan, une solution s’impose : l’enseignement du français partout en France. Dans la foulée, de nombreux ouvrages normatifs sont publiés, tous plus ou moins complexes. À cette époque sont établies les bases de l’analyse grammaticale. André Chervel, linguiste, grammairien et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’enseignement du français, explique ce changement de cap : « On consultait la grammaire pour apprendre, ou comprendre, la langue. On va désormais se livrer à des exercices pour apprendre la grammaire1. »
Au Québec, la scolarisation devient obligatoire seulement en 1943. Avant cette date, les manuels et l’enseignement varient beaucoup d’une école à l’autre. Les garçons sont peu encouragés à faire de longues études et on pense que l’éducation tend à surchauffer l’esprit des filles et qu’il ne faut pas trop les y exposer. En outre, le contenu des ouvrages est souvent plus religieux que grammatical.
Nos grammaires et abécédaires, quand nous avions les moyens d’en posséder, étaient importés d’Europe et souvent réédités pour avoir cette saveur catholique. Il faudra attendre la Révolution tranquille pour qu’on remette en question l’enseignement des notions théoriques du français sans égard à ses applications pratiques. La linguistique et l’enseignement des langues étrangères, disciplines de plus en plus connues à cette époque, montrent qu’une pédagogie active plaçant l’apprenant dans une situation réaliste favorise l’intégration des notions. Dans la majorité des cas, les ouvrages sur la grammaire se soucient surtout du mot et de son analyse et n’abordent presque jamais la phrase.
À partir de 1969, le virage est manifeste : le Programme-cadre qui régit l’enseignement du français ne donne plus que des orientations générales et laisse le soin aux établissements de décider des outils et des méthodes pour enseigner la grammaire. Les connaissances qu’acquièrent les élèves sont donc peu uniformes sur un même territoire et, rapidement, le milieu de l’enseignement critique ouvertement le Programme. Nombreux sont les professeurs qui répondent à ce flou artistique en retournant aux méthodes et aux ouvrages classiques. Certains cessent pratiquement d’enseigner la grammaire. Quelques tentatives heureuses de modernisation de l’approche didactique seront étouffées par le mouvement de l’apprentissage par objectifs, qui s’implantera dès 1980.
À partir de 1985, le modèle dit fonctionnel purge la grammaire de ses visées moralisatrices, encore présentes dans certains ouvrages. Il aborde les problèmes réels que rencontrent les apprenants et l’utilisation qu’ils font de la langue. On veut faire de la grammaire un outil facile à comprendre qui sert à mieux communiquer.
Dans les grammaires scolaires, on présente aux élèves des « trucs » pour résoudre des problèmes auxquels ils doivent souvent faire face. L’objectif est de leur montrer que l’orthographe et la syntaxe ne sont pas si complexes et qu’il existe un truc pratiquement pour tout (par exemple si deux verbes se suivent, le deuxième se met à l’infinitif). On conserve le contenu traditionnel (que Maurice Grevisse reconnaîtrait), mais on le simplifie. Beaucoup. C’est donc une grammaire traditionnelle si épurée qu’on la reconnaît à peine. Un point positif de cette époque, des grammaires attrayantes pour les enfants sont publiées : couleurs gaies, personnages sympathiques et textes amusants.
La grammaire enseignée à cette époque présente des notions sans les intégrer dans un ensemble. Certains ouvrages illustrent bien cette lacune et sont construits suivant l’ordre alphabétique. On y trouve donc le nom, classé dans la section N, très éloigné du déterminant, classé dans D, avec lequel il entretient pourtant une étroite relation. L’élève se trouve de nouveau à devoir apprendre par cœur des exceptions au lieu d’analyser les cas pour les comprendre. Les enseignants, pour leur part, doivent composer avec des ouvrages qui vont jusqu’à se contredire, car à vouloir trop simplifier, on perd des liens importants.
Le mouvement entourant la nouvelle grammaire est né d’une réforme qui a eu lieu dans les années 1970 en Belgique francophone et qui se fonde sur l’évolution de la linguistique combinée à celle de la pédagogie. En mettant l’accent sur les régularités du fonctionnement de la langue, on veut offrir aux élèves une grammaire qui les inspire, au lieu de les intimider, et qui les inclue dans une démarche active, les aidant à comprendre le fonctionnement et la logique de leur langue.
Au Québec, de nombreuses recherches universitaires vont dans ce sens et c’est en 1995 que la nouvelle grammaire entre officiellement dans le programme du ministère de l’Éducation. Par contre, plus de quinze ans après son introduction, elle n’est toujours pas implantée de façon uniforme et est appliquée à des degrés variables. Souvent, les ouvrages utilisés en classe sont encore un mélange de la grammaire traditionnelle et de la nouvelle grammaire.
La nouvelle grammaire conserve beaucoup de notions de l’ancienne. Quiconque maîtrise assez bien celle-ci comprendra sans trop de mal les principes de la nouvelle, avec un peu de lecture et un minimum de curiosité. En outre, une phrase mal construite demeure une phrase mal construite, même en nouvelle grammaire. Rassurez-vous!
J’aimerais présenter la nouvelle grammaire comme le soleil qui se lève sur l’obscurité, l’Eldorado, la Vérité. Cependant, on ne peut faire entrer le français en entier dans un code ou un système de règles, aussi savant et novateur soit-il. De fait, plusieurs défenseurs de la nouvelle grammaire en avertissent les lecteurs dans la préface de leur ouvrage. Il restera toujours des petits bouts qui dépassent. D’ailleurs, une langue vivante évolue inévitablement avant les règles qui la décrivent (exception faite des langues construites, comme l’espéranto). La grammaire dite nouvelle est le fruit ponctuel de travaux perpétuels où sont amalgamées théories anciennes et nouvelles pour faciliter l’apprentissage des systèmes qui sous-tendent notre langue.
La grammaire au sens large et son enseignement se fondent sur des sciences : linguistique, didactique, psychologie cognitive… De là ce que j’appelle la fausse question, car toute science se transforme suivant l’évolution de notre compréhension. Dans notre inconscient collectif, la grammaire est immuable et intemporelle. Pourtant, elle change depuis toujours. Le débat, pour sa part, demeurera tant qu’on n’aura pas uniformisé l’enseignement de la grammaire. Et tant que les élèves d’aujourd’hui ne seront pas à leur tour devenus des parents…
En latin, si l’on utilise le mot maître (dominus) comme complément d’objet direct, on devra le mettre à l’accusatif (dominum). L’accusatif est l’un des six cas du latin, qui servent à exprimer la fonction syntaxique du mot dans la phrase. À l’accusatif, peu importe la place de dominum dans la phrase, et peu importe le mot qui le précède, il demeure un complément d’objet direct. Dans les exemples suivants (titres d’œuvres musicales), les mots deum et dominum sont à l’accusatif, placés indifféremment avant ou après le verbe. *
Te Deum laudamus (Dieu, nous te louons)
Laudate dominum (Louez le Seigneur)
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