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Un beau matin, dans une classe d’école primaire, des élèves voient leur tête se remplir de points d’interrogation. Une règle les intrigue. Leur entourage l’a pourtant apprise par cœur et l’applique inconditionnellement. « C’est comme ça, la règle, c’est la règle », souligne la professeure. « Et c’est écrit dans les livres. » Les camarades continuent à chercher : pourquoi donc le masculin devrait-il l’emporter sur le féminin? Les unes et les uns examinent, les autres calculent, tout le monde réfléchit et imagine. La question reste finalement sans réponse. Toute la journée, toute la semaine, des années entières.
Puis, plus tard, beaucoup plus tard, ces élèves parcourront les livres à leur tour. Mais pas les mêmes. Les ancêtres des livres, ceux qui ont donné naissance aux livres d’aujourd’hui. Et la réponse jaillira. En 1647, Claude Fabre de Vaugelas est le premier grammairien français à affirmer que « le masculin est le genre le plus noble ». Une distraction? Il l’écrit à quatre reprises dans ses Remarques sur la langue française. La même affirmation avait été promulguée en 1612, par le grammairien anglais John Brinsley (« Le substantif du genre masculin est plus noble que le substantif du genre féminin ») ainsi que, précédemment, par deux autres auteurs (William Lily et John Colet, 1549), en ce qui concerne les règles de la grammaire latine : « Plusieurs substantifs au singulier […] doivent avoir un adjectif au pluriel, lequel devrait s’accorder avec le substantif du genre le plus noble. »
Quel sens attribuer à cette « noblesse »? Et pourquoi est-ce le genre masculin qui a été désigné le plus noble? Y a-t-il eu tirage au sort? Point d’explicitation nulle part. Cent vingt années passent ainsi, après Vaugelas, laissant libre interprétation quant à la noblesse d’un genre et à la non-noblesse de l’autre. Puis, par bonheur, Nicolas Beauzée, dans sa grammaire générale de 1767, apporte l’éclairage attendu : « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ».
La noblesse du genre masculin est restée gravée dans la mémoire des livres jusqu’au début du 20e siècle. D’autres formulations y sont succédées depuis, lesquelles ont mené à la règle que l’on connaît aujourd’hui : « le masculin l’emporte sur le féminin » ou encore « l’accord se fait au masculin ». Versions nuancées, mais résultat identique.
Une alternative
La Suisse est le premier pays francophone à avoir suggéré, dans un ouvrage officiel, une alternative à la règle de prédominance du genre masculin. (Cette possibilité avait été évoquée antérieurement par quelques personnes lors de diverses rencontres internationales, notamment.) Dans la publication Le langage n’est pas neutre (1991), on recommande l’application de la règle de proximité, laquelle stipule que l’adjectif et le participe passé s’accordent en genre avec le nom le plus près :
Trois jours et trois nuits entières
Des militantes et militants actifs
Les vendeurs et vendeuses sont compétentes
Chaque adjectif qualifie les noms des deux genres. Ainsi, actifs décrit autant les militantes que les militants. Sinon, pour lever toute ambiguïté, il faudrait reprendre systématiquement l’adjectif après chaque nom : des militantes actives et des militants actifs. Et quel genre figurera en premier? L’alternance permet de diversifier les formulations : ici le masculin d’abord, puis là le féminin à l’initiale.
La règle de proximité était en vigueur à la Renaissance et jusqu’à la fin du 17e siècle chez plusieurs littéraires. C’était avant l’influence des grammairiens précités. Des guides de rédaction non sexiste émanant d’Italie (1987) et d’Espagne (1992) recommandent aussi l’application de cette règle. Au Canada, la publication de la Direction générale de la condition féminine de l’Ontario (À juste titre. Guide de rédaction non sexiste, 1994, 1998), évoque cette possibilité d’accord : « Le ou la ministre, nommée pour deux ans. » De même, Le Guide du rédacteur (1996) du Bureau de la traduction mentionne l’accord de l’adjectif par proximité, en précisant qu’il s’agit d’une survivance de la langue classique. Au Québec, les membres de la Fédération des professionnèles1, affiliée à la Confédération des syndicats nationaux (CSN), ont adopté cette règle en mars 1998 pour la rédaction de leurs textes. Sans avoir nécessairement fait l’objet d’une recommandation officielle, la règle de proximité gagne également en popularité dans d’autres milieux (féministes, communautaires, etc.) du Québec.
Bref, voilà un phénomène à surveiller : une règle de grammaire française qui est en mutation! À la suite de l’implantation d’une foule de titres féminins et de titres masculins, c’est au tour d’une autre composante de la langue de suivre le cours de l’évolution sociale.
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