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Émergence d’une nouvelle terminologie bijuridique dans les lois fédérales

Me Louise Maguire Wellington
(L’Actualité terminologique, volume 35, numéro 2, 2002, page 20)

Introduction

Une nouvelle terminologie bijuridique a vu le jour dans les lois fédérales avec la première loi d’harmonisation, soit la Loi  1 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil de la province de Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law (Loi d’harmonisation  1)1. Cette loi est entrée en vigueur le 1er juin 2001 au chapitre 4 des Lois du Canada de 2001.

Compte tenu du caractère innovateur du bijuridisme législatif, des fiches terminologiques bijuridiques sont publiées sur le site Internet du ministère de la Justice du Canada2 pour expliquer les dispositions d’harmonisation découlant de la Loi d’harmonisation  1. Les dispositions d’harmonisation tiennent également compte de la common law en français. Les modifications d’harmonisation découlant des lois fiscales figurent aussi sur le site Internet. D’autres fiches seront ajoutées au site au fur et à mesure de l’adoption de nouvelles dispositions d’harmonisation. Ces fiches sont maintenant accessibles dans TERMIUM Plus®, la base de données linguistiques du gouvernement du Canada.

Le Canada est un pays où coexistent non seulement deux langues officielles, mais aussi deux traditions juridiques : le droit civil au Québec et la common law dans les autres provinces et territoires. Un des principaux objectifs du gouvernement du Canada et du ministère de la Justice est de s’assurer que tous et chacun aient accès à une législation qui reflète les deux grandes traditions juridiques de notre pays.

La Loi d’harmonisation  1 est la première d’une série de lois qui harmoniseront des centaines de lois fédérales qui ont recours au droit privé provincial; les règlements fédéraux feront également l’objet d’harmonisation. Cet exercice a été entrepris dans le cadre de l’entrée en vigueur en 1994 du Code civil du Québec, qui modifie substantiellement les concepts, les institutions et la terminologie du droit civil.

Ce projet d’harmonisation est une entreprise juridique inédite, sans précédent dans le monde. L’harmonisation rendra plus accessibles les lois fédérales en garantissant que chacune des deux grandes traditions juridiques s’y retrouve, et ce dans les deux langues officielles.

Qu’entend-on par « harmonisation »?

L’harmonisation vise non pas à uniformiser le droit civil et la common law, mais bien à assurer l’utilisation, dans la législation fédérale, d’une terminologie qui respecte les notions de chacune des traditions juridiques canadiennes. On ne saurait mieux exprimer le sens du mot « harmonisation » que ne l’a fait le professeur Nicholas Kasirer, du Centre de recherche en droit privé et comparé de l’Université McGill. Comparaissant devant le comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, le 14 mars 2001, le professeur Kasirer s’exprimait ainsi relativement au projet de loi S-4 :

« harmonisation » […] Voilà une rare métaphore législative […] Il y a là, je crois, un signe que la loi nous invite à méditer ses qualités sonores et les qualités sonores de la législation fédérale exprimée comme je le dis en tant que chant à quatre voix par l’effet combiné du bilinguisme officiel anglais et français et du bijuridisme fondé sur le caractère supplétif du droit commun provincial. […]

[…] le terme « harmoniser » évoque les valeurs de tolérance, de diversité et de quiétude qui semblent soutenir l’assise symbolique du projet de loi S-43.

En effet, il ne s’agit pas simplement d’une question de terminologie nouvelle, mais bien d’une approche législative qui veut faire pleinement place aux deux traditions juridiques du pays. Comme l’a mentionné l’ex-ministre de la Justice Anne McLellan devant le comité parlementaire :

Malheureusement, pendant de nombreuses années, les textes de loi fédéraux n’ont pas reflété la présence des concepts de droit civil dans leur interaction avec les questions de droit privé. Dans le préambule du projet de loi S-4, nous reconnaissons que le système de droit civil dans la province de Québec est un élément clé du caractère unique de la province. En effet, le Québec est la seule province qui soit dotée d’un système de droit civil. Le bijuridisme étant un aspect important de l’identité du Canada, nous tenons à ce que nos textes de loi fédéraux reflètent les principes et concepts de droit civil là où cela est pertinent4.

Complémentarité

La législation provinciale complète la législation fédérale en matière de propriété et droits civils5, sauf règle de droit s’y opposant. C’est ce que l’on entend par complémentarité ou application de la législation provinciale à titre supplétif. Par exemple, même si le législateur fédéral a compétence exclusive en matière de faillite et d’insolvabilité, il renvoie souvent aux concepts de sûreté développés dans le droit privé des provinces, notamment en matière de répartition6.

S’il y a complémentarité, il faut avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans la province au moment de l’application de la législation fédérale. Le nouvel article 8.1 de la Loi d’interprétation7, qui découle de l’article 8 de la Loi d’harmonisation 1, consacre ce principe comme suit :

Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l’application du texte.

Ainsi, lorsqu’une loi fédérale s’applique au Québec, le droit civil et non la common law complétera la législation fédérale en matière de propriété et droits civils. De même, il va de soi que la common law sera le droit supplétif de la législation fédérale dans les autres provinces ou territoires canadiens.

Dissociation ou « sauf règle de droit s’y opposant »

Lorsqu’une règle de droit exclut l’application de la législation provinciale à titre supplétif, on dit qu’il y a dissociation. Par exemple, la définition de « droit maritime canadien » à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale8 exclut expressément l’application du droit privé provincial. C’est ce que l’on entend par « sauf règle de droit s’y opposant ». Il en est également ainsi lorsqu’une loi fédérale définit une notion comme « conjoint de fait » plutôt que de s’en remettre à la législation provinciale.

Lors de la lecture des lois fédérales, il y a lieu de toujours garder à l’esprit non seulement l’article 8.1 de la Loi d’interprétation précité mais également le nouvel article 8.2, découlant aussi de l’article 8 de la Loi d’harmonisation  1, qui sont des outils d’interprétation des dispositions bijuridiques. L’article 8.2 se lit comme suit :

Sauf règle de droit s’y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d’application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l’un et l’autre de ces systèmes.

Fiches bijuridiques

Pour rendre les dispositions législatives bijuridiques, on peut parfois avoir recours à une terminologie commune pour le droit civil et la common law (exemple : acquisition/acquisition); par contre, il arrive qu’il faille employer des termes différents pour refléter adéquatement les concepts de l’une et l’autre tradition juridique (exemple : immeuble/immovable pour le droit civil et biens réels/real property pour la common law).

Les fiches terminologiques bijuridiques expliquent les difficultés de la disposition d’origine pour les auditoires visés, et décrivent la solution adoptée dans la loi. On y retrouve en vedette l’expression propre au droit civil et à la common law dans les deux langues officielles. (Voir le modèle de fiche ci-dessous.)

Information supplémentaire sur l’harmonisation et le bijuridisme

Pour en savoir davantage sur l’historique, la méthodologie et les autres aspects de l’harmonisation et du bijuridisme, vous pouvez consulter L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication sur le site Internet du ministère de la Justice : http://canada.justice.gc.ca/fr/min/pub/hfl/table.htm

Anglais Français

Subject Field(s)

Law and Justice

Bijuralism (Civil Law/Common Law)

Domaine(s)

Droit et justice

Bijuridisme (Droit civil/Common Law)

real property

CORRECT, COMMON LAW

immeubles

CORRECT, DROIT CIVIL, MASC, PLUR

immovables

CORRECT, DROIT CIVIL

biens réels

CORRECT, COMMON LAW, MASC, PLUR

biens-fonds

VOIR FICHE, MASC, PLUR

EX: [Harmonized provision.] 4. Except as to mortgages on real property or hypothecs on immovables, whenever any interest is, by the terms of any written or printed contract, whether under seal or not, made payable at a rate or percentage per day, week, month, or at any rate or percentage for any period less than a year, no interest exceeding the rate or percentage of five per cent per annum shall be chargeable, payable or recoverable on any part of the principal money unless the contract contains an express statement of the yearly rate or percentage of interest to which the other rate or percentage is equivalent. [Federal Law-Civil Law Harmonization Act, No. 1, S.C. 2001, c. 4, s. 91.]

EX : [Disposition harmonisée.] 4. Sauf à l’égard des hypothèques sur immeubles ou biens réels, lorsque, aux termes d’un contrat écrit ou imprimé, scellé ou non, quelque intérêt est payable à un taux ou pourcentage par jour, semaine ou mois, ou à un taux ou pourcentage pour une période de moins d’un an, aucun intérêt supérieur au taux ou pourcentage de cinq pour cent par an n’est exigible, payable ou recouvrable sur une partie quelconque du principal, à moins que le contrat n’énonce expressément le taux d’intérêt ou pourcentage par an auquel équivaut cet autre taux ou pourcentage. [Loi d’harmonisation  1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4, art. 91.]

EX: [Provision prior to harmonization.] 4. Except as to mortgages on real property, whenever any interest is, by the terms of any written or printed contract, whether under seal or not, made payable at a rate or percentage per day, week, month, or at any rate or percentage for any period less than a year, no interest exceeding the rate or percentage of five per cent per annum shall be chargeable, payable or recoverable on any part of the principal money unless the contract contains an express statement of the yearly rate or percentage of interest to which the other rate or percentage is equivalent. [Interest Act, R.S.C. (1985), c. I-15].

EX : [Disposition avant l’harmonisation.] 4. Sauf à l’égard des hypothèques sur biens-fonds, lorsque, aux termes d’un contrat écrit ou imprimé, scellé ou non, quelque intérêt est payable à un taux ou pourcentage par jour, semaine ou mois, ou à un taux ou pourcentage pour une période de moins d’un an, aucun intérêt supérieur au taux ou pourcentage de cinq pour cent par an n’est exigible, payable ou recouvrable sur une partie quelconque du principal, à moins que le contrat n’énonce expressément le taux d’intérêt ou pourcentage par an auquel équivaut cet autre taux ou pourcentage. [Loi sur l’intérêt, L.R.C. (1985), ch. I-15.]

OBS – Problem: The concept of "bien-fonds," even though known in civil law and common law in French, does not correspond to the common law notion of "real property" used in the English version. Moreover, in the English version, only common law terminology is used.

OBS – Problème : Le terme « bien-fonds », bien que connu en droit civil et common law d’expression française, ne correspond pas à la notion de « real property » de common law utilisée dans la version anglaise. De plus, seule la terminologie de common law est utilisée dans la version anglaise.

OBS – Solution: In the French version, the terms "immeubles" and "biens réels" are inserted to replace the term "bien-fonds" in order to reflect the civil law and common law in French. In the English version, the term "immovables" is added in order to reflect civil law.

OBS – Solution : Dans la version française, les termes « immeubles ou biens réels » remplacent le terme « biens-fonds » afin de refléter le droit civil et la common law d’expression française. Dans la version anglaise, le terme « immovables » est ajouté afin de refléter le droit civil.


NOTES