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Vous trouverez ces expressions à boire, mentir et cafeter.
« Fabriquons du verbe » nous lançait la rédaction de L’Actualité terminologique dans son dernier numéro. N’est-ce pas ce que font les humains, depuis qu’ils ont appris à parler? Les dictionnaires regorgent de leurs créations. Il y en a tellement d’ailleurs, qu’il faut faire un tri, élaguer. Autrement dit, négliger de belles expressions qui méritent un meilleur sort.
Heureusement qu’il se trouve des gens comme Loïc Depecker pour les tirer de l’oubli. Vous vous souvenez des Mots de la francophonie1? Pour vous encourager à le lire2, je vous avais mis l’eau à la bouche avec une belle expression zaïroise, lancer un chameau… Non? Dommage, car je crains qu’il ne soit devenu introuvable. Mais consolez-vous, vous pourrez vous rabattre sur le second recueil du même auteur, Les mots des régions de France3.
C’est de cet ouvrage dont je veux vous parler aujourd’hui.
Dès les premières pages, on est frappé par le nombre étonnant de « québécismes » qui courent les routes de France. En toute liberté : achaler, asteure, barrer et débarrer, corporence, déparler, échapper qqch., fafiner, frette, grafigner, jouquer et déjouquer, lâche (paresseux), matineux, mouiller, mouvée, poque et poquer, rousselé.
Certains mots, semblables aux nôtres, ont un sens parfois voisin, parfois tout autre : agace, bernache, blanchon, défunter, se déranger, faire de l’air, forçure, pisseuse, tata. Les Acadiens aussi se retrouveront presque en famille avec benaise, bouchure, espérer, faire zire, grâler, vaillant, vieusir (vieilzir en Acadie).
Vous y apprendrez que notre fameux banc de neige (où nos cousins de France s’entêtent à voir une affreuse congère!) s’appelle, selon les régions, une menée, une soufflée ou une soufflure. Comme chez nous, mais sous l’influence de l’allemand plutôt que de l’anglais, les Alsaciens et les Suisses font leurs ablutions intimes dans une chambre de bain.
Au hasard des pages, vous découvrirez des coutumes qui font penser aux nôtres. En Bourgogne, celui à qui ont donne l’égoton (la dernière goutte) se mariera dans l’année. En Haute-Provence, la dent de lait s’appelle rate; si on la met sous l’oreiller, la souris va passer. Cette souris, c’est la fée des dents que les anglophones nous ont léguée (le Hachette Oxford rend tooth fairy par petite souris).
Parlant de coutumes, si le Français moyen a l’habitude de se mettre sur son trente et un, et nous sur notre trente-six, l’habitant du Haut-Maine, lui, préfère se mettre sur son quarante-quatre.
Comme nous, nos cousins provinciaux ont un faible pour le féminin : l’air est fraîche en Lorraine; on parle de belle âge et de bonne argent en Vendée; dans les Ardennes, on voit une éclair.
Et un penchant pour les pronominaux : s’accoucher, s’aimer (se plaire dans un endroit), se cirer, s’ensourir, se penser.
Ils aiment bien les mots en « rie » : coureries, enjôlerie, fouterie, geindries, michetonnerie, mouillasserie, parenterie, raconteries.
Quant aux mots en « eux », ils les inventent à plaisir : amitieux, baveux, diseux, écouteux, faiseux, malaucœureux, messeux (cousin de notre mangeux de balustre), prometteux d’bonjours, qualiteux, rancuneux, rangeux, sorteux, trouveux, volonteux.
On se prend à envier la facilité avec laquelle ils créent des verbes, par télescopage : s’adeuser, blangeler, rijauner, se sanglacer, souriver.
En Charentes, le touriste est un baignassout; en Bretagne, un tout triste. Au Bas-Maine, de quelqu’un qui s’écoute parler, on dit qu’il se dit vous. Et s’il est orgueilleux, qu’il se regarde passer. En Bourgogne, le gendre a sa gendresse. Et croyez-le ou non, au Languedoc, loin a un féminin : « la mer est pas lointe ».
Les noms de fleurs font rêver : la colchique s’appelle belle-toute-nue au Bas-Maine et vachette dans les Ardennes; le coquelicot, rose de loup en Bourgogne et le thym, sent-ti-bon en Champagne. Les Bourguignons ont trouvé le moyen d’ajouter à la liste des noms populaires du myosotis; ils l’appellent aimez-moi et plus je te vois plus je t’aime. Enfin, à Jersey, le perce-neige est une petite bonne femme.
Certaines expressions font très moderne. C’est seulement depuis 1993 que le Petit Robert donne accompagner un malade. Dans le Haut-Maine, assister quelqu’un jusqu’à la fin, c’est l’abouter. Vous avez déjà eu à traduire cocooning? Coucouner ferait peut-être l’affaire : c’est le sens de dorloter en Auvergne. Dans les Alpes du Nord, approprier ou approprir c’est rendre propre. Ne pourrait-on pas l’appliquer à un enfant?
Enfin, on trouve une pléthore de mots tous plus juteux les uns que les autres : allumoir (éclair),avoir les oreilles vent arrière (chez nous : en portes de grange), caler le mur, entamure et finissure, paraviré et reviremarion, pire que pirette, terchausser, user le soleil.
Si après tout cela vous ne vous garrochez* pas chez votre libraire pour vous procurer ce très beau livre, c’est à désespérer de l’homme et de sa fiancée (comme dirait le journaliste Pierre Foglia). Et si j’ajoutais une curiosité bretonne, avoir les skouarn’abavanchou? Toujours pas convaincu(e)?
Je vous propose donc un marché. Si vous acceptez ne serait-ce que de le feuilleter, je vous donne la clé de l’énigme du début. Ça vous va? Voici : au Zaïre, lancer un chameau signifie tout simplement faire un cuir, un pataquès, une liaison mal-t-à-propos.
Et pendant que vous le feuilletez pourquoi ne pas lire la préface? Vers la fin, vous tomberez sur un succulent il me fait plaisir. Avec Aristide (grammairien, auteur du Français dans tous ses états), Loïc Depecker est le deuxième Français que j’attrape à nous piquer nos expressions. Décidément, à l’ère de la mondialisation, on ne peut plus se fier sur (Franche-Comté) personne!
Si les Poitevins et les Vendéens ne se jettent pas, comme nous, sur quelqu’un ou quelque chose, ils n’hésitent pas à garrocher des pierres (v. arrocher.) *
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