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Article rédigé en nouvelle orthographe
Ces dernières décennies, l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail ou, plus globalement, dans la sphère publique, a engendré une myriade d’innovations langagières audacieuses traduisant cette nouvelle réalité. Le premier article rapportant quelques-uns de ces faits de langue (L’Actualité langagière, décembre 2006) portait essentiellement sur les expressions composées avec les mots femme et homme dans le Petit Robert 2006 et le Petit Larousse 2006. L’asymétrie mise au jour par l’analyse de ces deux entrées, en termes autant qualitatifs que quantitatifs, montre que les ouvrages normatifs examinés se limitent généralement à reproduire les rôles et fonctions traditionnellement dévolues à chacun des sexes. L’apport social et professionnel plus récent des citoyennes, lorsqu’il y est consigné, ne semble y pénétrer qu’au compte-gouttes, et encore, avec un retard réel sur l’usage, si l’on en croit la multitude d’occurrences innovatrices en usage rapportées dans ledit article et issues d’une documentation variée.
Afin de voir si ces conclusions se vérifient dans d’autres sphères, j’ai entrepris une recherche en prenant cette fois pour point de départ des expressions féminines ou masculines façonnées à partir de termes de parenté (mère, père, sœur, frère) ainsi que de désignations apparentées (fille, garçon, sans le sens de filiation). À l’instar du premier volet de cette recherche, ce sont les entrées des dictionnaires le Petit Robert (PR) et le Petit Larousse (PLI), éditions 2007, qui ont été dépouillées et mises en relation avec les données du corpus figurant dans le site http://www.langagenonsexiste.ca.
Un premier survol des entrées père et mère permet de dégager trois sens généraux : « parent », puis « personne à l’origine d’une invention, de la fondation de, de la création de » et enfin « personne d’un certain âge ».
Le sens de « parent mâle » conféré à père se retrouve dans l’expression récente nouveau père (PR) : « père qui s’occupe beaucoup de ses enfants et prend part aux soins du ménage ». Aucune allusion cependant aux père au foyer, père célibataire, père poule, roi père, répertoriés dans le corpus et dont la contrepartie féminine figure à l’entrée mère : mère au foyer, mère célibataire, mère poule, reine mère. En ce qui a trait à père porteur, le corollaire de mère porteuse (au sens de gestation), il existe dans la réalité animale, en l’occurrence chez les hippocampes.
Enfin, les deux expressions mettant en vedette le « bon père de famille », en dépit de leur connotation surannée :
en bon père de famille, sagement (PR)
placement de père de famille, sûr, mais de revenu modeste (PLI)
s’avèrent elles aussi inexistantes à l’entrée mère sous la forme usuelle bonne mère de famille, quoiqu’elles s’expriment dans l’usage :
en bonne mère de famille
agir en bonne mère de famille
placement de mère de famille
Ainsi en est-il également de l’expression « De père en fils : par transmission successive du père aux enfants » (PLI), absente à l’entrée mère malgré sa présence dans l’usage : « De mère en fille ».
Par ailleurs, on trouve aussi le sens symbolique religieux de « père spirituel » (directeur de conscience, guide spirituel), qui n’a pas de pendant à l’entrée mère, alors que mère spirituelle figure dans le corpus.
Le second champ sémantique de père, soit le père de qqch, défini comme « créateur, inventeur, fondateur » et exemplifié par « Louis Lumière, père du cinéma » (PR); « Auguste Comte, père du positivisme » (PLI), semble se dédoubler péniblement à l’article mère avec la locution mère de. En effet, hormis la « femme qui est à l’origine d’une race » : « Ève, la mère de tous les vivants » (PR), ne sont exemplifiés que des non-humains : « Méfiance est mère de sureté » (PR), « La Grèce, mère des arts » (PLI), « L’oisiveté est la mère de tous les vices » (PR, PLI). Les contributions sociales des citoyennes sont passées sous silence bien que des faits de langue, illustrés par les énoncés suivants issus du corpus, démentissent pourtant ce constat :
la mère du concept du développement durable (en Norvège)
la mère du mouvement des droits civiques (aux États-Unis)
la mère du commerce équitable (au Québec)
la mère de la danse (au Québec)
Puis, la dernière acception de père retenue, « homme d’un certain âge ou qui inspire le respect » (PR), contraste avec l’intitulé péjoratif de la courte sous-entrée de mère : « Madame, en parlant d’une femme d’un certain âge, ou qu’on n’apprécie pas » (PR). Dans le PLI, on ne trouve guère mieux comme comparaison : si « le père Mathurin » exemplifie ainsi la désignation d’un homme d’un certain âge, à qui l’on s’adresse « avec une nuance de bonhomie ou de condescendance », et que le sens théâtral met en exergue le « rôle de père noble : rôle grave et digne de père âgé », pour sa part, « la mère X » (Fam.), se réduit à « madame X », sans plus.
En outre, notons que quelques expressions somme toute aisément dédoublables ne sont offertes qu’à l’entrée père :
un père tranquille, « un homme qui aime la tranquillité »
en père tranquille, « tranquillement »
en père peinard, « tranquillement, en évitant les soucis »
un gros père, « un gros bonhomme placide »
Le corpus s’enrichira peut-être d’une mère tranquille, d’en mère tranquille, d’en mère peinarde et d’une grosse mère, malgré l’allure quelque peu désuète de ces expressions.
Enfin, mentionnons que la saison des Fêtes ne met plus en valeur que le Père Noël (locution qu’on retrouve à l’entrée Noël). En effet, bien que cette locution ne figure pas au féminin dans les deux dictionnaires examinés, la semblable du joyeux personnage, la mère Noël, scintille elle aussi dans le ciel de décembre, si l’on en croit les livres d’histoires et les annonces publicitaires.
Frère, au sens de filiation, se dédouble naturellement au féminin : frère germain, sœur germaine; frères, sœurs de lait; vivre comme des frères (en amitié étroite), vivre comme des sœurs; etc. Pour sa part, grand frère, vu comme « jeune homme qui encadre, surveille les plus jeunes, dans les quartiers difficiles » (PR) mais absent à l’article sœur, trouve toutefois son équivalent en grande sœur dans les citations colligées du corpus.
De même décline-t-on, au sens d’ami fraternel, aussi bien « Tu es un vrai frère pour moi » que « Tu es une vraie sœur pour moi ». Le sens religieux de frère s’étend également à sœur : aimer ses frères (son prochain), mes (bien chers) frères se renouvèlent en aimer ses sœurs et frères, mes (bien chers) frères et sœurs. D’ailleurs, déjà en 1989, les évêques catholiques du Canada préconisaient l’utilisation d’un langage non sexiste, à savoir « qui évite tout stéréotype lorsqu’il réfère à l’un ou l’autre sexe, et qui permette aux femmes et aux hommes de se reconnaître dans un message destiné aux personnes des deux sexes »1. Observons au passage que la locution bonne sœur (religieuse), omise sous sa forme masculine à l’entrée frère, rayonne pourtant en bon frère dans le corpus constitué.
Quant à la troisième signification de frère, celle qui nous interpèle ici davantage par son aspect social, « homme qui a (avec la personne considérée) une communauté d’origine, d’intérêts, d’idées, et qui a (avec elle) un lien affectif, intellectuel » (PR), elle se limite aux expressions au masculin : frère de couleur, frère de race, faux frère, frère d’arme, frère de sang, sauf dans le PLI où l’on signale « sœur d’infortune ». Dans le PR, l’entrée sœur, bien qu’elle répertorie plus loin la locution âme sœur, insiste sur le caractère non humain des expressions formées à partir de sœur : « Se dit de choses (de genre féminin) qui sont apparentées », et donne l’exemple cellules-sœurs. Or, le corpus met pourtant en valeur des sœur de couleur, sœur de race, fausse sœur, sœur d’arme, sœur de sang.
Le nom fille regroupe deux sous-entrées : « la fille de qqn (opposé à fils) » et « une fille (opposé à garçon) » (PR). C’est cette dernière acception de fille qui est retenue aux fins de l’étude, et davantage encore les expressions relatives à « la fille accédant à l’âge adulte ou un peu plus âgée » que « la jeune fille ».
La première locution, « fille à marier : jeune fille pour laquelle ses parents cherchent un mari » (PR), reste apparemment sans dédoublement « garçon à marier » sous garçon mais est présente dans le corpus, soit comme titre de chanson, soit dans l’expression d’une tradition :
« Une dame âgée et de très bonne réputation, choisie comme intermédiaire par les parents du garçon à marier, fait part que […] »
Puis, constatons que fille-mère, escorté de son équivalent moderne mère célibataire (PR), n’alterne en genre ni sous garçon ni sous fils, malgré des références au fils-père comme titre de chanson ou de film. Dans la littérature plus récente, ce dernier vocable tend aussi à être remplacé par père célibataire.
Par ailleurs, on observera avec intérêt une définition identique assignée à vieux garçon et vieille fille, assortie toutefois d’une nuance péjorative dans le second cas :
« Vieux garçon : homme qui a atteint ou passé l’âge mûr sans se marier (cf. célibataire endurci) »
« Vieille fille : femme qui a atteint ou passé l’âge mûr sans se marier (péj. implique des idées étroites, une vie monotone) » (PR).
Pour leur part, fille d’honneur et garçon d’honneur évoquent des réalités différentes :
fille d’honneur : femme attachée à la personne d’une princesse (PR)
garçons d’honneur, dans un mariage. Rem. Aujourd’hui, les garçons d’honneur sont souvent des petits garçons (PR).
Signalons au passage que l’entrée fille enregistre deux acceptions supplémentaires par rapport à l’entrée garçon dans les dictionnaires étudiés, à savoir celles de « religieuse » (les filles du Calvaire) et de « prostituée » donnant lieu à : fille des rues, fille publique, fille perdue, fille de joie, fille à soldats (PR). Notons que fille publique et son vocable « ainé » femme publique tombent en désuétude, dénotant plutôt de nos jours des politiciennes, des animatrices, des journalistes, des syndicalistes, etc., bref, des citoyennes exerçant des fonctions publiques. L’usage consigné dans le corpus ne donne d’ailleurs au masculin qu’un garçon public (au XVIIe siècle), mettant toutefois en relief d’autres contreparties masculines au sens de « prostitué » : garçons des rues, garçons perdus, garçons de joie. L’expression garçons à soldats, en dépit de son existence connue, n’est incarnée qu’au féminin.
Quant aux fonctions sociales et professionnelles des filles et des garçons, qui nous concernent au premier chef, on remarquera d’emblée que le PR accole à plusieurs d’entre elles la marque vieilli. En effet, les désignations plus anciennes (colonne de gauche) tendent à être remplacées de nos jours par des titres modernes plus généraux, sans allusion aux vocables sexués fille ou garçon (colonne de droite) :
désignations plus anciennes | titres modernes plus généraux |
---|---|
fille de salle | aide-soignante |
garçon d’écurie | lad |
garçon de cabine | steward |
garçon d’ascenseur | liftier |
garçon de courses | coursier, groom, livreur |
Nonobstant ces changements de dénominations, il est intéressant de comparer les deux entrées retenues. Les deux dictionnaires révèlent, sans dédoublement en genre, des fille d’auberge, fille de cuisine, garçon de magasin, garçon de laboratoire, garçon d’écurie, garçon de cabine, garçon de bain, garçon d’ascenseur, garçon de courses, garçon de café ou garçon : homme qui assure le service » (PR). Or, un survol de l’usage dévoile les dédoublements suivants :
garçon d’auberge
garçon de cuisine
fille de magasin
fille de laboratoire (plus couramment technicienne, assistante de laboratoire, laborantine)
fille d’écurie (plus couramment lad)
fille de cabine (plus couramment hôtesse)
fille de bain
fille d’ascenseur (plus couramment liftière)
fille de courses (plus couramment coursière, groom, livreuse)
fille de café (plus couramment serveuse)
L’écart entre les formes traditionnelles des dictionnaires et les formes émergentes ou plus récentes du corpus semble indiquer qu’une profonde mutation des rôles sociaux est en cours. Les pères célibataires et les pères au foyer, d’une part, les mères spirituelles, les mères de divers mouvements ou concepts, d’autre part, invitent à revoir les réalités conventionnelles et illustrent incontestablement l’esprit créatif et l’apport inventif des citoyennes, pourtant encore ignorés par les maisons de dictionnaires. Parallèlement, le sens communautaire des femmes, évoquant peut-être vaguement de quelconques consoeuries, prend racine chez les sœurs d’arme, sœurs de couleur, sœurs de sang.
Par ailleurs, si les rôles et fonctions sociales attribuées à chacun des sexes vivent une profonde mutation, il en est ainsi du langage lui-même, de sa forme. La seule mise en valeur d’un métier ou d’une expression par la caractéristique sexuelle (notamment les nombreuses locutions construites à l’aide de fille ou garçon) tend à disparaître au profit d’une dénomination plus générale, axée sur les tâches accomplies plutôt que sur la seule identité sexuelle. Ainsi, une fille de café sert d’abord et avant tout la clientèle, elle est donc serveuse. En revanche, un garçon de cuisine s’acquitte de quelle besogne au juste? Est-il plongeur, aide-cuisinier, cuisinier, préposé au ménage ou un peu tout cela? La désignation reste vague à cet égard, ce qui explique probablement son déclin.
Dans le même esprit, les nouvelles réalités sociales pourraient expliquer le manque de pertinence des anciennes expressions mettant en vedette père de famille : l’éclatement de la famille nucléaire, les familles monoparentales, les femmes chefs de famille, les familles recomposées, etc. Une explicitation, devenue essentielle, enchaine ainsi l’expression placement de père de famille : « sûr, mais de revenu modeste » (PLI). Au Québec, le Code civil réformé et adopté en 1991 a remplacé l’expression « en bon père de famille » par « agir avec prudence et diligence ».
En somme, cette analyse des expressions figurant aux entrées mère, père; sœur, frère; fille, garçon démontre la mouvance continuelle qui anime les rapports entre les femmes et les hommes dans la société francophone et souligne, dans la foulée des conclusions de l’article sur les entrées femme et homme, l’écart existant entre le contenu traditionnel des ouvrages normatifs et les innovations recensées dans le corpus. Ces conclusions s’avèrent en quelque sorte une invitation aux dictionnaristes à démontrer toute leur capacité d’adaptation aux nouvelles réalités sociales occidentales.
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