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On notera, comme pour ajouter l’insulte
à l’injure, l’absence des signes diacritiques.
(Jean-Luc Gouin, philosophe et défenseur
du français, Le Devoir, 28.7.09)
C’est en naviguant sur Internet que j’ai trouvé le sujet de ma chronique. Un internaute se posait cette question, existentielle s’il en est : « Je me demande s’il existe une expression anglaise équivalente au français ajouter l’insulte à l’injure. » Fort heureusement, un saint-bernard internaute, anglophone, ne tarda pas à se porter à son secours : « You can add insult to injury in English, too; in fact I’m surprised to see a literal equivalent in French. Can you tell us more about the nuances of the French version? »
Comme vous devez vous en douter un peu, le tour français est le calque de l’autre*. Mais je vois à votre mine dubitative que vous ne me croyez qu’à moitié. Plusieurs auteurs pourront vous le confirmer – Camil Chouinard1, Paul Roux2, Michel Parmentier3. Ou encore le site Web de l’Office québécois de la langue française, ou du Français au micro (Guy Bertrand). Ce ne sont pas les façons d’éviter le calque qui manquent. Rien que dans les dictionnaires, j’en ai relevé une douzaine : le Harrap’s se contente de « pour couronner le tout »; le Robert-Collins donne « ce serait vraiment dépasser la mesure » et « aller trop loin »; le Larousse bilingue propose une variante : « dépasser les bornes ». Enfin, le Hachette-Oxford se rapproche de l’anglais : après « pour comble », il étoffe : « et pour comble d’insulte ».
On trouve d’autres équivalents sur le site de l’OQLF : « aggraver son cas », « retourner le fer dans la plaie** », et deux qui ressemblent un peu à l’anglais : « redoubler d’insultes » et « doubler ses torts d’un affront ». On trouve aussi ces deux derniers dans l’ouvrage d’Irène de Buisseret4. Deux des auteurs mentionnés ci-dessus proposent des tournures que je n’ai pas vues ailleurs : « et comme si cela ne suffisait pas » (Chouinard), « et par-dessus le marché » (Roux). Je serais tenté d’en ajouter deux de mon cru, « la goutte qui fait déborder le vase » et « jeter de l’huile sur le feu ». Certes, elles ne sont pas passe-partout comme l’anglais, mais dans le contexte idoine…
En fouillant dans le dictionnaire de l’Académie, je suis tombé par un heureux hasard sur « brochant sur le tout », que le Harrap’s traduit par « and to crown/cap it all », ce qui correspond exactement à « pour couronner le tout », sa propre traduction de « to add insult to injury ». C’est à donner le tournis… Enfin, dans son fameux The Gimmick5, Adrienne propose un équivalent quelque peu inusité : « cette remarque a vraiment doublé la dose ».
Devant un tel choix, on pourrait croire que les Québécois n’auraient rien de plus pressé que de se débarrasser du calque. Hélas, j’ai l’impression qu’ils continueront de « calquer » à qui mieux mieux, car ils semblent y prendre plaisir. Il faut dire que le pli est pris depuis longtemps. En 1836, le grand journaliste Étienne Parent l’emploie : « C’est sans doute pour ajouter l’insulte à l’injure que la coterie du pouvoir est sans cesse criant contre […] la puissance formidable de la branche populaire6. » Quelques années plus tard, Michel Bibaud7, poète-historien, accuse un membre du Conseil législatif d’en faire autant : « le moyen de justification employé par M. Monk ajoutait l’insulte à l’injure ».
Bibaud a écrit une suite à son Histoire, et cette fois l’expression se retrouve dans la bouche de deux parlementaires. D’abord, le futur président de l’Assemblée, Antoine Cuvillier : « Ne semble-t-on pas avoir rejeté tout sentiment d’humanité, pour ajouter l’insulte à l’injure? » Et ensuite le grand Papineau8 : « un petit nombre d’hommes […] dilapident des revenus pour les salarier, eux, les ennemis du pays, pour ajouter l’insulte à l’injure ». Cela se passe au cours de la session de 1830, soit à la même époque que l’article de Parent. Il y a donc 180 ans. Ou 36 lustres, si vous préférez.
Et nous n’avons pas cessé de « calquer » depuis. Nos journaux nous en fournissent des exemples quotidiennement. Et ils nous servent en plus des variantes intéressantes. Jean Dion, bien sûr, ne pouvait résister à la tentation de parodier : « pour ajouter le camouflet au pied-de-nez » (Devoir, 20.2.03); Dany Laferrière est plus sérieux : « ajouter l’insulte à la gifle » (Presse, 14.10.07). Pierre Foglia ajoute « l’insulte à la défaite » (Presse, 20.7.09) et Michel Vastel, « l’injure à l’affront » (Droit, 12.10.02). On peut même « ajouter » tout court : « pourquoi ajouter à l’insulte en ramenant dans vos valises ces exilés ambitieux qui mangeaient dans la main de Saddam? » (Foglia, Presse, 15.2.03).
Nos cousins aussi aiment broder sur le même thème : « La triste particularité de Garasse, c’est d’ajouter l’ignominie à la trivialité9 »; « À cette blessure, la Grande-Bretagne ajouta l’insulte10 »; « Un départ constituerait le pire scénario et ajouterait le déshonneur aux difficultés11 »; « N’ajoutez pas le mensonge à l’iniquité!12 ». Dans un texte de Romain Gary13, paru à l’origine en anglais, on rencontre « ajoutant le préjudice à l’affront ».
D’après les équivalents proposés ci-dessus, tant par les dictionnaires que par les défenseurs du français, on pourrait croire que c’est la formulation « ajouter à » qui fait problème, qu’elle serait en quelque sorte contraire au génie de la langue. Et pourtant, on vient de le voir, ce n’est pas le cas. Il aurait d’ailleurs suffi de consulter l’ouvrage d’Hector Carbonneau14 pour se rendre compte que le tour existe.
Outre « ajouter l’injure au préjudice » et « l’injure à l’injustice », Carbonneau propose un équivalent que je trouve particulièrement juteux, « insulter l’âne jusqu’à la bride ». Cette fois, c’est un vieux dictionnaire15, que vous avez sûrement dans votre bibliothèque, qui lui fournit cette traduction. Sur Internet, j’ai trouvé ce tour plutôt curieux dans un vieux recueil de proverbes, mais sans explication. Je me suis rabattu sur le Larousse des proverbes, qui ne le donne malheureusement pas, mais je suis tombé sur ceci : « Rien n’est plus insultant que d’ajouter l’ironie à l’insulte. » Ce mot serait de… Napoléon. Il est tiré du Journal de son médecin à l’île Sainte-Hélène, Barry O’Meara. Il s’agit évidemment d’une traduction, mais qu’elle ait été retenue par un ouvrage de la maison Larousse, c’est pour moi la preuve que cette façon de dire n’insulte pas au génie du français (comme on disait autrefois).
Enfin, j’ai été dédommagé de ma recherche infructueuse quand j’ai lu sur la Toile ce commentaire d’un habitant de l’Indre-et-Loire, un certain Roland Godeau : « C’est insulter l’âne jusqu’à la bride : J’ai souvent entendu ma mère employer cette expression dans le sens de trop, c’est trop, ou il y a de l’abus. » C’est ainsi qu’en attendant Godeau… j’ai trouvé à la fois un début d’explication de cette locution et deux autres équivalents.
Trêve de plaisanterie, avant longtemps nous n’aurons plus l’exclusivité de cette expression. Comme en témoigne cet exemple, elle commence à se répandre en Europe : « En dépit de toute ma loyauté, l’insulte s’est maintenant ajoutée à l’injure et je démissionne de mon poste » (Ruud Lubbers, haut-commissaire de l’ONU aux réfugiés, Reuters, Devoir, 21.2.05).
L’intervention d’un internaute anglophone étant à l’origine de cette chronique, je laisse le mot de la fin à un autre anglophone. En octobre 1746, lord Chesterfield écrit à son fils : « Une injure est plus vite oubliée qu’une insulte. » (Je comprends maintenant pourquoi le tour « ajouter l’insulte à l’injure » est beaucoup plus fréquent qu’« ajouter l’injure à l’insulte »…)
De son côté, l’anglais ne serait qu’un calque du latin injuriæ contumeliam addere… *
Ce tour me plaît, mais les dictionnaires ne traduisent que par to twist the knife in the wound. **
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