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Q. Une nouvelle traductrice me propose la traduction suivante à une question d’évaluation des stagiaires à un cours des Forces canadiennes : Quel est le principal risque de déplacer rapidement une victime? (What is the chief danger in moving a victim quickly?). Je lui ai proposé la correction suivante : Quel est le principal risque associé au déplacement rapide d’une victime? Elle me demande pourquoi sa formulation est incorrecte. Je lui ai donné des éléments de réponse, mais j’aimerais une explication claire, convaincante et pratique.
R. Je suis tout à fait d’accord avec vous que quelque chose cloche dans la phrase de la traductrice et qu’il faut, comme vous l’avez fait, étoffer, c’est-à-dire bien articuler les éléments de la phrase pour que le sens soit clair.
Pour voir ce qui ne tourne pas rond dans cette phrase, il suffit de la comparer avec des emplois courants de la construction risque de :
risque d’incendie, risque de décès, risque de confusion, risque d’épidémie
courir le risque de tomber, de perdre, de déplaire
Qu’ont tous ces exemples en commun? Le complément du nom (d’incendie, de tomber, etc.) décrit le danger éventuel auquel on s’expose, et non l’action que l’on fait. Le verbe risquer se comporte de la même façon : il risque de pleuvoir, elle risque d’échouer. Dans la phrase du début, le risque qui est couru n’est pas de déplacer la victime, c’est par exemple celui d’aggraver son état. Le déplacement rapide de la victime est la cause, l’aggravation de son état la conséquence.
Dans des contextes généraux, on parlera volontiers des risques du métier ou des risques de la guerre, c’est-à-dire des risques que comporte le métier ou la guerre. Mais avec l’infinitif, c’est le tour figé risque de, consigné dans les dictionnaires, que l’on perçoit dans la phrase. Le lecteur s’attend ainsi à voir énoncer le risque en question.
Voilà pour l’usage. Du point de vue grammatical, du moins selon certains ouvrages*, une construction infinitive comme l’espoir de réussir vient d’une construction avec complétive, par exemple l’espoir qu’il réussira. Lorsqu’il n’est pas nécessaire d’énoncer le sujet, on préfère l’infinitif. Au lieu de dire le risque que l’on aggrave l’état de la victime, on dit le risque d’aggraver l’état de la victime. Mais on ne dira jamais : le risque que l’on déplace rapidement la victime. On ne peut donc aboutir au tour : le risque de déplacer rapidement la victime.
Q. Y a-t-il une règle concernant la façon de désigner verbalement une année : par exemple, doit-on dire « mille neuf cent quarante » ou est-il correct de dire aussi « dix-neuf cent quarante »? Quelqu’un m’a dit qu’à partir des années 1700, on devait dire « mille sept cent » et non « dix-sept cent ». Est-ce uniquement une question d’euphonie, donc une question plutôt subjective?
R. Voilà une « règle » aux origines obscures, qui d’ailleurs ne concerne pas exclusivement les années, mais tous les nombres de 1100 à 1999. Règle d’autant plus étrange qu’elle varie d’un grammairien à l’autre.
Divers ouvrages, dont le Grevisse, fixent en effet une frontière à 17 : l’usage préférerait seize cent mais mille sept cent. L’Académie française, elle, trace plutôt une ligne entre la langue écrite et la langue parlée, comme on le voit dans son dictionnaire en ligne, à l’entrée mille :
Dans l’usage courant, au lieu de mille cent, mille deux cents, etc., on dit plutôt onze cents, douze cents, etc., jusqu’à dix-neuf cents : Onze cents francs, seize cents euros. En revanche, dans la langue écrite, et notamment dans un texte juridique, administratif ou scientifique, on préférera les formes : mille cent, mille deux cents, etc. Une somme de mille deux cent cinquante francs. Une superficie de mille cinq cents mètres carrés.
Hanse jugeait pourtant équivalents il y a déjà trois lustres en mille neuf cent quarante et en dix-neuf cent quarante (3e édition de son Nouveau dictionnaire, 1994). Le Petit Robert ne fait aucune distinction, ni le Dictionnaire des difficultés du français d’aujourd’hui de Péchoin1. Quelques autres ouvrages comptent en centaines jusqu’à 16, puis laissent le choix au-delà. Je crois qu’il vaut mieux suivre Péchoin.
Les exemples du Grevisse lui-même donnent à réfléchir : comme s’il s’amusait à contredire la règle, Stendhal écrit « mille cent cinquante francs » dans la Chartreuse de Parme et « dix-huit cent trente-six » dans sa correspondance. La langue écrite actuelle non plus n’est guère impressionnée.
Jusqu’à 16, par exemple, les moteurs de recherche aujourd’hui donnent beaucoup moins de douze cents et quatorze cents que de mille deux cents et mille quatre cents, comme :
L’Année du bac a été jouée plus de mille deux cents fois dans le monde, et traduite en une douzaine de langues.
Le Monde, 18 novembre 2005
Je suis étonné de voir le Grevisse et le Hanse-Blampain (2005) soutenir que douze cents est plus fréquent que mille deux cents, alors que je constate exactement le contraire dans le bon usage.
Et pour reprendre l’exemple de l’Académie plus haut, j’ai relevé une poignée seulement de douze cent cinquante contre une soixantaine de mille deux cent cinquante dans la bonne presse européenne, par exemple :
QUATRE volumes, mille deux cent cinquante pages consacrées aux liens tissés puis défaits entre histoire savante, science religieuse et monarchie administrative.
Le Monde, 17 février 1989
À partir de 17, inversement, cent est loin d’être absent de la langue écrite. Ainsi sous la plume de Michel Vastel dans le Soleil :
Elle tenait un langage de vieux contestataire des années dix-neuf cent quelque chose.
21 février 2000
Et d’une journaliste du Monde :
La plus grande part des résidus des entreprises, soit 40 millions de tonnes par an, sont mises en dépôt dans environ dix-sept cent cinquante décharges privées.
24 janvier 2002
La dernière édition du Bon usage faite par Maurice Grevisse lui-même (1980) précisait : « on dit indifféremment : mil sept cent… ou : dix-sept cent ». Dans les éditions ultérieures, André Goosse a fait sauter « on dit indifféremment », s’en tenant comme l’Académie au critère langue écrite/langue parlée, à partir de 17 : mille quand on écrit, cent quand on parle.
On a vu que cette préférence de l’usage n’est pas évidente. Il est bien possible que, dans certains contextes, mille soit senti comme plus soigné, quel que soit le chiffre. Mais ce n’est pas une raison pour rétrograder cent à la langue parlée. L’euphonie joue sans doute un rôle. Si c’est le cas il n’y a pas de quoi inventer un interdit.
On devrait garder la liberté de choix, quitte à fixer des balises dans certains contextes. Sinon, devra-t-on dire que Voltaire est né en seize cent quatre-vingt-quatorze et mort en mille sept cent soixante-dix-huit? Quand il y a deux façons de dire quelque chose, il ne s’ensuit pas que l’une est correcte, l’autre incorrecte.
Dans un article paru dans le numéro de décembre 2002 de L’Actualité terminologique (vol. 35, nº 4), j’ai traité de l’emploi des conjonctions de comparaison ainsi que, de même que et comme2. Mon propos était de montrer que ces conjonctions pouvaient très bien avoir une valeur de coordination.
Par exemple, comme est l’outil de comparaison par excellence en français (la haine, comme l’amour, ne se nourrit que de la présence). Mais il peut aussi avoir une valeur d’addition ou de coordination, c’est-à-dire le sens de et (le chien comme le chat sont des mammifères) – ce que confirme d’ailleurs l’accord du verbe.
La première rubrique de l’entrée comme dans le Petit Robert sépare nettement, dans deux sections distinctes, ces deux sens de la conjonction. Et dans mon article, pour illustrer la valeur de coordination, je reprenais justement l’exemple fourni par le Petit Robert dans la section « addition » : sur la terre comme au ciel.
Or un réviseur perspicace** m’a signalé que le Robert a mis cet exemple à la mauvaise place, car dans cette expression comme ne peut exprimer l’addition.
L’expression est tirée du passage que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, du célèbre Notre Père. Non seulement la conjonction employée dans le texte grec original de l’Évangile où apparaît cette prière exprimerait la comparaison, mais en plus, du point de vue de la bonne vieille théologie, il est inconcevable que l’être humain puisse demander que la volonté divine s’exerce dans la sphère céleste.
La personne qui prie demande en fait que la volonté divine s’exerce sur la terre comme elle s’exerce déjà au ciel. Car, en langage théologique, la volonté divine s’exerce parfaitement dans la sphère céleste. En langage profane, demander que la volonté divine s’exerce dans le ciel dépasse le champ des compétences de la personne qui prie, et contredit des principes fondamentaux du christianisme.
Comme n’a aucune valeur d’addition ici. C’est une pure comparaison. Il faudrait donc que l’exemple soit déplacé dans la section « comparaison ». Le réviseur et un de ses collègues ont déjà écrit à ce sujet aux éditeurs du Petit Robert. Ils attendent toujours une réponse. Souhaitons que leur prière soit exaucée.
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