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Le tapis rouge pour nos cœurs.
(Paule La Roche, Le Droit, 8.11.86)
Un ancien premier ministre du Québec, Maurice Duplessis pour ne pas le nommer, prenait un malin plaisir à rappeler à ses « chers électeurs zé électrices » – surtout à l’approche des élections – que le ciel était bleu, et l’enfer, rouge. S’il revenait parmi nous aujourd’hui, il se réjouirait de voir que le rouge se porte beaucoup moins bien depuis quelques années. Et que le bleu gagne du terrain partout. (Allez donc savoir pourquoi…)
Malgré la désaffection dont le rouge fait les frais, les anglophones, même au-delà du 49e parallèle, continuent de dérouler le red carpet chaque fois qu’un dignitaire se pointe. Comme quoi il est des choses qu’un gouvernement – fût-il conservateur, bleu et plein de bonne volonté – ne saurait changer.
Si l’on en croit les dictionnaires bilingues, cette coutume serait inconnue du monde francophone. (Pourtant, au dernier sommet de la Francophonie…)
À carpet, le Harrap écrit : « to lay down the red carpet for someone, to give someone the red carpet treatment – recevoir quelqu’un avec la croix et la bannière*, avec tous les égards possibles ». Le Harrap’s Slang and Colloquialisms (1980) ajoute : « faire les honneurs à quelqu’un, mettre les petits plats dans les grands ». Et le Robert-Collins complète : « recevoir quelqu’un en grande pompe, se mettre en frais pour recevoir quelqu’un ». La dernière édition donne un ajout : « red-carpet treatment – accueil princier, somptueux ».
(On pourrait multiplier les variantes, mais je me contenterai de celle-ci : « accueillir (quelqu’un) avec tous les honneurs »1. À vous d’en trouver d’autres.)
À l’exception de la première (« la croix et la bannière ») et de la quatrième (« les petits plats dans les grands »), les traductions proposées ont toutes un défaut, elles ne font pas image. À tort ou à raison, lorsqu’on traduit une expression figurée par une paraphrase, on a souvent l’impression de voler le lecteur, pour ainsi dire, de ne pas lui en donner pour son argent.
Ce n’est pas le cas de la traduction suivante. À propos de son arrivée en prison, Brendan Behan écrit :
I didn’t expect anyone to lay down a red carpet for me…2
Le traducteur a eu la main heureuse :
(…) je savais (qu’ils) n’allaient pas me faire mener la vie de château.3
Vous conviendrez que c’est bien trouvé. Mais ce ne sont pas tous les traducteurs qui se donnent autant de mal.
Nous autres, on est au dortoir mais, pour toi, on déroule le tapis rouge.4
Soyons indulgents, ce n’est que la traduction d’un roman policier. Mais les auteurs de « polars » l’emploient aussi.
Picard sortit par la grande porte. Sans honneur ni tapis rouge…5
Bof, même Demouzon peut avoir des moments d’égarement. À plus forte raison, les journalistes. Toujours à la course, jamais le temps de réfléchir, et encore moins de se relire, rien d’étonnant à ce qu’ils écrivent :
(…) un véritable tapis rouge a été déroulé pour accueillir Saint-Gobain.6
Il faut dire, à sa décharge, qu’il s’agit d’un chroniqueur boursier.
Mais lorsqu’un bon journaliste, et qui connaît bien sa langue, emboîte le pas, on est en droit de s’interroger.
En novembre, les sandinistes avaient déroulé le tapis rouge pour M. Rivera.7
L’expression serait-elle entrée dans la langue? Il semble bien que oui. On la trouve dans la dernière édition du Harrap Slang (1984). Vous me direz que c’est un dictionnaire bilingue, que les lexicographes se laissent parfois prendre au piège de la traduction littérale. Je vous le concède. Et pourtant, Alain Rey l’enregistre aussi :
Dérouler le tapis rouge (devant quelqu’un) – « lui réserver un accueil chaleureux, empressé »**. On déroule le tapis rouge devant un invité officiel prestigieux, la couleur rouge étant ici le symbole des solennités.8
J’attendais avec impatience la parution du dernier tome du GDEL, espérant y trouver une nouvelle preuve de la consécration de cet usage, mais la locution n’y est pas. Qu’à cela ne tienne, puisque le Grand Robert la donne :
Dérouler le tapis rouge pour quelqu’un – recevoir quelqu’un avec tous les honneurs.
Avec, à l’appui, un exemple de nul autre que Malraux (Antimémoires).
Quant au dictionnaire-qui-sème-à-tout-vent, et qui récolte aussi large, il n’hésite pas à « dérouler le tapis rouge », malgré la réserve de son grand frère. Le Petit Robert, de son côté, n’a pas cru bon de suivre l’exemple du grand, mais ce n’est qu’une question de temps à mon avis. La prochaine édition, peut-être… Les paris sont ouverts.
Pour ma part, la prochaine fois que ma belle-mère nous rendra visite, je me ferai un plaisir de dérouler le tapis rouge devant elle. Ou mieux encore, pour bien la mettre à son aise, je « sortirai l’argenterie ».
Cette expression ne figure dans aucun dictionnaire (sauf erreur), mais je la trouve parfaite. S’agit-il d’un québécisme? Je l’ignore. Mais je la connaissais. Je remercie Lysiane Gagnon de me l’avoir rappelée :
Fallait-il sortir l’argenterie sous prétexte que Hyundai pourrait avoir un effet d’entraînement?9
Qu’en pensez-vous? C’est court, c’est imagé, et bien de chez nous (jusqu’à preuve du contraire). Que voulez-vous de plus?
P.S. : Vous pensiez sans doute que je plaisantais au sujet du bleu qui dame le pion au rouge. Pas du tout. J’ai lu dans la publicité d’un certain Palais des Congrès qu’on y déroule le tapis bleu pour vous y accueillir. (Si j’étais vous, j’en profiterais avant les prochaines élections.)
L’expression semble vieillie dans ce sens. *
Deux autres variantes à ajouter à votre liste. **
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