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Car l’on s’attend du pape qu’il s’implique dans le monde.
(Jean Basile, La Presse, 10.5.84)
Hier encore, implications au sens de « répercussions », « effets », « conséquences », dégageait une odeur de soufre*. Aujourd’hui, la plupart des dictionnaires se montrent indulgents pour cet hérétique (Curieusement, pas le Robert. Est-ce un oubli? Le Robert-Collins l’accepte pourtant.). Cet emploi remonterait au milieu des années soixante. Dans son Dictionnaire des mots nouveaux, Pierre Gilbert en donne trois exemples, dont un qui date de 1966. D’ailleurs, dès sa parution en 1967, le Dictionnaire du français contemporain enregistrait cet usage.
Le débat autour de ce problème de langage commence à peine à s’apaiser, et voici qu’impliquer prétend de nouveau étendre son champ sémantique. Comme pour compliquer la vie aux lexicographes.
Sur le modèle des conjugaisons fantaisistes qui faisaient nos délices à l’école**, j’en ai forgé une pour tenter de cerner l’extension de sens de notre verbe ambitieux :
Je collabore, tu participes, il s’implique.
J’ai relevé plusieurs exemples de cette acception :
Lévi-Strauss ne s’implique jamais plus dans le contemporain (…) que lorsqu’il feint d’en prendre congé1.
(Les régimes politiques) cherchent à vous impliquer émotionnellement2…
(Lorsqu’il) possède déjà un « vécu historique et sociologique » du sujet traité, qu’il s’y implique3…
Et le substantif emboîte le pas :
(…) l’implication est forte dans l’isoloir4…
Ce rejeton, si je puis dire, a déjà ses entrées dans au moins une maison (Larousse, s’entend). Dans le tome 5 du Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse (1983), on lit ceci :
S’impliquer dans qqch. (abstrait), mettre beaucoup de soi-même dans l’activité que l’on fait, les relations qu’on a avec les autres, etc.; investir : s’impliquer dans son travail.
Et dans le Petit Larousse de 1984 :
(Fam.) S’impliquer dans qqch., s’y donner à fond.
Si ce nouvel emploi a des chances de rencontrer la faveur des amateurs de bon langage, il me paraîtrait hasardeux de miser sur celles de son frère de lait, vraisemblablement d’extraction anglaise. Au sens de « concerné », « intéressé », impliqué est condamné depuis assez longtemps, et à peu près par les mêmes qui interdisaient à implication de sortir de son lit juridique, ou mathématique. Mais malgré tous les interdits, il a le vent dans les voiles.
J’ai essayé de ranger les exemples qui suivent par ordre d’éloignement de la signification première du mot, « engagé dans une affaire fâcheuse ».
Les fondeurs de fer parisiens –industrie impliquée dans le conflit –sont en grève5…
Au Tchad, le pouvoir s’est trouvé de plus en plus étroitement impliqué dans un affrontement avec la Libye6…
Monsieur K. resta sa vie durant impliqué dans les luttes7.
(Être engagé dans un affrontement avec un pays, c’est certes une situation fâcheuse; mais participer à des luttes, ça l’est beaucoup moins.)(…) incidences commerciales liées au passage de certains chanteurs à la radio (…), des pressions exercées, des groupes ou des individus impliqués8…
(…) que la France ne soit pas impliquée dans les négociations sur le désarmement9…
(Ici, toute idée de « faute » est disparue.)Parmi les bailleurs de fonds (…) figurent à la fois des « mécènes » (…) et des « commerçants » directement impliqués10…
(…) pour mieux comprendre les mutations technologiques (…) dans lesquelles le lecteur est directement impliqué11.
(C’est le sens de « concerné », « intéressé ».)Knight-Ridder vient de porter à soixante-dix le nombre de quotidiens impliqués dans son projet Viewtron12.
(On pense tout de suite à « visé ».)
Voici trois exemples qui rappellent l’emploi de s’impliquer :
Ceux qui sont déjà impliqués dans la vie associative13…
Le groupe (…), peu impliqué dans les institutions14…
Seize Français, impliqués à divers titres dans l’innovation15…
(C’est l’idée de « participation ».)Les articles qui suivent (ont pour but) de faire en sorte que chaque citoyen impliqué dans un service public ou privé16…
(Il s’agit des fonctionnaires, agents, employés d’un service…)
Enfin, le Harrap va même jusqu’à parler de « véhicule impliqué dans un accident ». Certains doivent se retourner dans leur tombe.
Au terme de cette énumération, un peu sèche je m’en excuse, il ne serait peut-être pas inutile de faire le point.
Implications, au sens de conséquences, est désormais admis. Quant à s’impliquer, il a de très bonnes chances de faire son petit bonhomme de chemin. Personnellement, je ne répugnerais pas à l’employer. Je le trouve utile. Il occupe un créneau, pour parler comme les économistes.
Mais pour ce qui est de notre anglicisme (« impliqué » au sens de « concerné », « intéressé »), jusqu’à ce que les dictionnaires français lui ménagent une petite place, j’ai bien peur qu’il ne demeure sur la liste noire des intrus. Il faut reconnaître qu’il n’est pas indispensable. On gagnera souvent en précision –voire en élégance –à lui préférer un synonyme. Et on évitera d’agacer, ou d’ennuyer, le lecteur délicat.
Voir Victor Barbeau, Gilles Colpron, Gérard Dagenais, Maxime Koessler, les fiches de Radio-Canada. *
Pour l’amusement du lecteur, on me permettra de donner celle de pleuvoir : je pleux, tu pleux, il pleut, nous mouillons, vous mouillez, ils dégouttent. **
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