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Le pronom dont est l’un des plus difficiles à manier. Il est si capricieux que la langue familière s’en passe allègrement, préférant par exemple c’est le dossier que j’ai besoin, ou parfois au contraire, peut-être pour faire chic, elle le double d’un de, comme le fait un personnage dans la traduction d’un roman de Philip Roth1 lorsqu’il dit : ce n’est pas de ça dont je parle. On doit dire bien sûr : ce n’est pas de ça que je parle ou ce n’est pas ça dont je parle.
Sinon c’est le pléonasme, et dont a horreur de la redondance. Les grammaires n’acceptent pas non plus d’ailleurs les phrases où dont est redoublé par un possessif, comme un livre dont je connais son auteur, un enfant dont je vois sa frimousse, ou par un pronom personnel, comme dans un gâteau dont il en a mangé la moitié.
Dont est l’équivalent d’un complément introduit par de. Si je parle de cosmétiques dont la vente au Canada constituerait une contravention à la loi, dont est le complément de vente : son rôle dans la relative est de remplacer des cosmétiques. Cette construction très simple ne cause aucun problème non plus lorsque dont complète un verbe ou un adjectif, comme dans la façon dont il parle ou l’homme dont elle est folle.
Une fois cela compris, la langue écrite n’est pas encore sortie de l’auberge. Car une règle interdit aussi à dont d’être le complément d’un nom précédé d’une préposition. Voilà pourquoi on ne peut dire : une personne dont je m’intéresse au sort, le collègue dont je comptais sur l’aide, le parc dont je me promène dans les allées.
Mais ces exemples sont si criants qu’ils donnent l’impression que l’oreille suffit à la tâche. Le remède est connu, dites : c’est une personne au sort de laquelle je m’intéresse, c’est un collègue sur l’aide duquel je comptais. Mais pour beaucoup ces longues formes avec duquel, de laquelle, etc., sont une médecine de cheval. Mieux vaut souvent reformuler.
Il y a des cas malaisés où il est plus difficile d’« entendre » l’erreur. On ne peut dire un produit dont je doute de l’efficacité, puisque efficacité est coincé entre de et dont, ni ce village dont je me souviens de la jolie plage. En revanche, ce village dont je me rappelle la jolie plage est impeccable.
La règle interdit donc d’écrire : un auteur dont la lecture des œuvres ne peut se passer de commentaires, où dont est complément d’œuvres. C’est sur cette construction qu’on trébuche le plus souvent. Il n’y a pas d’ambiguïté sérieuse dans une telle phrase et la syntaxe est en principe correcte, puisqu’en remplaçant dont par l’antécédent on lirait : la lecture des œuvres de cet auteur ne peut se passer de commentaires.
Mais, comme l’explique Lucien Léonard dans Savoir rédiger2, la règle a été établie pour éviter un « flottement » dans la phrase. Le lecteur doit-il comprendre : un auteur dont la lecture ou un auteur dont les œuvres? Il doit s’arrêter, faire attention, rectifier. Il y a un grain de sable dans l’engrenage. Dans un homme dont l’originalité des idées est remarquable, parle-t-on d’un homme original? Un homme dont l’originalité des… crée un flottement dans l’esprit du lecteur. Comme aujourd’hui la langue marche au pas de la logique et de la clarté, une telle règle est justifiable.
Heureusement, des exceptions ont été prévues. Dont peut compléter un nom précédé d’une préposition s’il complète aussi dans la même phrase un autre nom non précédé d’une préposition. Voilà pourquoi on peut dire un écrivain dont l’œuvre est inséparable de la vie ou la femme dont les cheveux flottent sur les épaules. Dont peut être complément d’épaules, parce qu’il est aussi complément de cheveux qui lui n’est pas amené par une préposition. Dans des contextes où on risquerait l’ambiguïté il serait toujours correct d’écrire : la femme dont les cheveux flottent sur ses épaules, un écrivain dont l’œuvre est inséparable de sa vie.
Tous les auteurs acceptent aussi que dont complète un nom composé tel que garde du corps ou une locution comme tenir à l’écart, venir à bout. Ainsi on peut parler du président dont les gardes du corps s’étaient enfuis. Le Trésor de la langue française cite la phrase de Germaine Guèvremont : Il avait commis la gaucherie de confondre Bernadette Salvail, dont la réputation de beauté s’étendait au-delà de la Grand’Rivière. Une journaliste écrit correctement : Une partie du petit peuple a répondu en votant pour le candidat dont les thèmes de campagne correspondaient à ses propres frustrations3.
S’il est donc permis d’écrire un homme dont la force d’esprit est remarquable, où dont est complément de la force, on doit rejeter un homme dont la force de l’esprit est remarquable, parce que dont complète de l’esprit.
J’ai été étonné récemment de constater que le Grand Robert s’appuie encore sur la vieille édition du Bon usage de 1975 lorsqu’il fait la remarque : « Il faut dire : Cet enfant dont la régularité du travail est appréciée », tour qui va directement à l’encontre de la règle. Grevisse semblait en effet préférer l’article (du travail) au possessif du tour Cet enfant dont la régularité de son travail est appréciée, où son fait un pléonasme avec dont4. Mais ce faisant il contredisait la règle que lui-même formulait sur la présence d’une préposition. Car les deux tournures sont critiquables, la première parce que travail est précédé d’une préposition, l’autre parce que dont et le possessif sont redondants.
En prenant en main le Bon usage dans les éditions subséquentes, André Goosse a donné un tour de vis à la règle. Reprenant l’exemple : La grève fuit jusqu’au Ploc’h, dont on aperçoit le toit des premières maisons,que Grevisse trouvait donc acceptable (1975, § 560 Rem. 2, N.B. b), il le considère comme étant « à ne pas imiter » (1993, § 695 c, 4), maisons étant déjà complément du nom.
La masse des grammairiens vont dans le sens de Goosse, du moins implicitement, dans la mesure où presque aucun ne donne comme exemple le tour recommandé par le Grand Robert. Ils rappellent tous – Hanse, Colin, Dournon, le Grand Larousse, etc. – l’interdiction faite à dont de compléter un nom amené par une préposition.
L’un des rares ouvrages à ma connaissance à accepter de plain-pied la tournure controversée est Le français au bureau, qui donne comme modèle : Voilà un ouvrage dont la qualité des illustrations est remarquable, sans mentionner l’entorse à la règle5. Et il y a l’iconoclaste Marc Wilmet qui lance comme un pavé dans sa Grammaire critique du français6 l’exemple : Pierre, dont c’est le vingtième anniversaire de la mort…
Peut-être ces exemples sont-ils un peu spéciaux. La qualité des illustrations n’est pas une locution figée, mais j’ai remarqué que certaines « expressions » d’un emploi très fréquent s’accommodent facilement de dont dans l’usage courant. La fréquence du tour dont la qualité du travail par exemple est frappante :
…lui dont la qualité du travail n’a jamais été remise en cause (Le Soleil, 20 septembre 2002)
…quelqu’un de grande expérience dont la qualité du travail et l’intégrité n’ont jamais été mises en cause (La Presse, 29 avril 2002)
…la confiance renouvelée des élèves envers les intervenants scolaires, dont la qualité du travail a permis la prise en charge rapide et appropriée d’une situation délicate (La Voix de l’Est, 7 décembre 2001)
Ce n’est pas une curiosité locale : Sam Mendès (« American Beauty ») est un artisan inspiré, perfectionniste, dont la qualité du travail, plutôt que l’invention, paye et émeut (Le Soir, journal belge, 2 septembre 2002). Un chroniqueur parle de Bombardier dont la qualité des créances… Je ne dis pas que ces phrases sont correctes, mais il est possible que certaines expressions passe-partout soient senties comme figées par certains locuteurs.
Quant à l’exemple de Wilmet, si tant est que l’oreille peut s’y faire, on y lit d’abord : Pierre dont c’est le vingtième anniversaire… Le flottement est assez sérieux. Pendant quelques secondes, le lecteur doit se demander si Pierre est vivant ou mort.
Le tour a un vague air de parenté avec une exception que Goosse a prévue : le cas des « pseudo-compléments7 ». Dans le bureau de Louise, le mot important est bureau auquel le complément de Louise est subordonné. Dans une partie du texte, le mot texte n’est pas logiquement subordonné à partie, il est l’élément principal. Du texte n’est pas un véritable complément du nom. Il en va de même de nombreux collectifs, comme une bande de moineaux, et d’indications de mesure ou de proportion comme la plupart des invités, le reste de l’année, etc. Parfois d’ailleurs, mais pas toujours, l’accord du verbe signale la présence d’un pseudo-complément, comme dans la phrase : La moitié des pièces étaient perdues.
C’est pourquoi l’emploi de dont est correct dans : un homme dont une partie de la richesse est attribuable à la bulle techno, où richesse est le véritable sujet de la phrase. L’exception ne vaut pas que pour le sujet, comme le montre ce vieil exemple de René Georgin : un pied de vigne dont il s’appliquait à supprimer une bonne partie des grappes de fleurs, où dont complète grappes et non partie (ni fleurs)8. Dans ce genre de phrases, entre peut-être aussi en ligne de compte le fait qu’il est presque impossible que le lecteur comprenne : un homme dont une partie, ou un pied de vigne dont il s’appliquait à supprimer une bonne partie, de sorte qu’il n’y a aucun flottement. Nous sommes donc quand même assez loin de feu Pierre.
Les difficultés d’emploi de dont viennent en partie du fait qu’il interrompt la phrase, aussi est-il important que le résultat n’oblige pas le lecteur à revenir en arrière pour mettre les bouts ensemble. Dès que le lecteur voit dont dans une phrase, il cherche le mot qu’il complète et l’« essaie » sur les noms qui suivent. Il s’en faut d’ailleurs souvent de peu qu’on tombe dans la confusion.
On le voit dans un autre type de phrases où n’intervient aucune préposition. Mauger prend l’exemple : cet enfant dont le directeur est le père, qui est irréprochable sur le plan de la syntaxe9. Mais le lecteur rattache d’abord dont à directeur, et comme il n’y a pas beaucoup de gens qui sont « directeurs d’un enfant », il doit chercher plus loin. Il n’y aurait aucune hésitation dans cet enfant dont le directeur de l’entreprise est le père, où dont se rapporte simplement à père. Une journaliste créait le même genre de confusion momentanée en expliquant récemment que l’action du roman Waiting for the Barbarians, du prix Nobel J. M. Coetzee, se passe dans une région où grouillent des tribus dont la métropole craint l’envahissement10; le lecteur doit d’abord rejeter l’idée de la métropole des tribus.
Voici, en guise de conclusion, une série de phrases où on essaiera de voir si l’emploi de dont est correct ou non. Les réponses suivent.
Dupré, dans l’Encyclopédie du bon français12, aimait le dernier exemple. Pour éviter les constructions lourdes avec auquel, de laquelle, etc., il demandait aux grammairiens de changer la règle, du moins dans le cas de la préposition à, trouvant clairs et logiques ce genre de tours. C’est peut-être une règle qui n’a pas encore achevé son évolution. Mais elle reste assez étroitement surveillée.
Dont a d’autres emplois dont je n’ai pas parlé, notamment au sens de « au sujet duquel », ceux avec des expressions numérales, en plus de tous les tours elliptiques, jusqu’à l’énigmatique dont acte, qui sert à clore les discussions.
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