Public Services and Procurement Canada
Symbol of the Government of Canada

Institutional Links

 

Important notice

This version of Chroniques de langue has been archived and won't be updated before it is permanently deleted.

Please consult the revamped version of Chroniques de langue for the most up-to-date content, and don't forget to update your bookmarks!

Search Canada.ca

La petite histoire d’une expression : Un vent à (d)écorner les bœufs

Fanny Vittecoq
(L’Actualité langagière, volume 9, numéro 2, 2012, page 17)

L’expression désigne un vent très fort, violent. Dans la francophonie internationale, on ne dira pas un vent à écorner les bœufs, canadianisme considéré comme vieilli, mais plutôt un vent à décorner les bœufs. Les anglophones, pour leur part, emploient it’s blowing great guns, the wind is fierce ou it’s blowing up a storm pour rendre la même réalité.

Une vieille expression

Selon les dictionnaires modernes, l’expression est attestée depuis 1832. On l’employait à l’époque au sens figuré, comme en témoignent ces deux extraits :

… le marin n’a pas ce vague d’expression, il trouve dans sa langue de quoi nommer tous les degrés, et, pour ainsi dire, toutes les nuances du vent; il a : brise, faible brise, jolie brise, bonne brise et brise carabinée. Et s’il a besoin d’exprimer par une idée comparative, ou la sensation que le vent lui fait éprouver ou la violence de ses efforts, il dit qu’il vente la peau du diable ou bien qu’il vente à décorner des bœufs […] L’hyperbole n’est-elle pas belle?

(Augustin Jal, Scènes de la vie maritime, 1832)

Prov. et par exagération, Il fait un vent à écorner les bœufs. Le vent souffle avec violence.

(Dictionnaire de l’Académie française, 6e édition, 1835)

Autrement dit, un vent assez fort… par hyperbole, métaphore ou exagération… pour décorner les bœufs. On s’en doute bien, même la plus forte rafale du monde ne parviendrait pas à arracher les cornes de la tête d’un bœuf. Mais cette figure de style est bien partie de quelque part, non?

Les origines

Je vais mettre la charrue devant les bœufs et commencer par une théorie absente des ouvrages traitant de l’origine des expressions. Je l’ai dénichée par hasard dans un seul ouvrage, Le correspondant, recueil périodique publié en 1876, que j’ai trouvé sur Internet.

Les bovins sur les navires

Selon cette théorie, l’expression aurait vu le jour sur les navires transportant des bovins.

Par grosse mer et par grand vent, la force du roulis poussait les bœufs tête première contre la paroi du navire. Sous le choc, leurs cornes se brisaient, s’arrachaient même, ce qui causait parfois leur mort. Le verbe décorner prend ici un sens concret : il vente assez fort pour littéralement décorner les bœufs.

En milieu rural

Gagnons maintenant le plancher des vaches.

Une autre théorie, la plus répandue sur Internet, a trait à l’écornage des bœufs que l’on pratique dans les champs depuis au moins l’an 1200, époque où l’on recense pour la première fois le verbe écorner.

Jadis, les paysans écornaient les bœufs une fois par année pour éviter qu’ils se blessent les uns les autres ou que leurs cornes les gênent pendant qu’ils s’alimentaient. On procédait à l’opération par jour de grand vent, puis on faisait courir les bovins dans les champs, car cela permettait d’assécher la plaie et d’accélérer ainsi la cicatrisation. C’était également une façon d’empêcher la plaie de s’infecter au contact des mouches et autres insectes, qui sont attirés par le sang mais fuient le vent. Un vent à écorner les bœufs signifie ici « un vent propice à l’écornage des bœufs ».

Cela aurait été bien plus simple si je n’étais tombée sur cet ouvrage de 1876 qui situe l’origine de l’expression sur les navires…

Doit-on invalider cette explication sous prétexte que je ne l’ai rencontrée qu’une fois? Les exemples d’emploi de la locution dans un contexte maritime reviennent fréquemment dans mes recherches. Après tout, les occasions de dire qu’il faisait un vent à décorner les bœufs se sont sûrement offertes plus souvent aux éleveurs de bovins qu’aux capitaines de bateau, mais les deux théories me semblent plausibles.

Quoi qu’il en soit, j’aurais tendance à suivre le troupeau en adhérant à la théorie la plus répandue.