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À voir le sort que les dictionnaires réservent à certaines expressions, on peut se demander si elles n’ont pas la gale. Elles ont beau emprunter les plus belles plumes, elles ne parviennent pas à séduire les lexicographes. Bref, elles n’ont pas la cote d’amour.
En d’autres mots fait partie de ces mal aimées. À mon arrivée au Bureau de la traduction, mon réviseur me signala qu’il fallait l’éviter. On devait dire « en d’autres termes » ou « autrement dit ». Ce n’est que plus tard que je découvris la source probable de cet interdit, un vieux bulletin de terminologie du Bureau (BT-53, Notions grammaticales et vocabulaire), qui date de 1957.
J’avais du mal à me résigner à ne pas employer cette tournure. Après tout, elle figurait dans le Harrap, depuis au moins 1947, et dans les deux parties en plus. Et comble d’ironie, on la trouvait aussi dans un autre bulletin du Bureau, le Carbonneau (BT-147), mais entre parenthèses il faut dire (comme si on l’y avait mise à regret).
Au fil des années, je finis par trouver des exemples chez des auteurs français : deux sinologues, Pierre Ryckmans et Simon Leys*, et un bon historien, Philippe Erlanger. Je fis donc paraître un billet dans 2001 (ex-publication du Secrétariat d’État) en janvier 1978. Je croyais, naïvement, que cela suffirait pour ouvrir à cette locution les portes des dictionnaires, mais il n’en fut rien. Dix ans plus tard, elle n’y est toujours pas.
Et qui plus est, même chez nous, on continue de s’en méfier. Il y a cinq ou six mois, par exemple, un client nous demandait de revoir une traduction dont il n’était pas satisfait. Entre autres « fautes », il avait souligné en d’autres mots. Quelques mois plus tard, un collègue me demandait mon avis sur cette expression, un traducteur lui ayant signalé qu’elle était inconnue des Français. Ce qui semble confirmé par un ouvrage récent, le Guide du français des affaires1, pour qui il s’agit d’une « usance québécoise ».
Je tenterai donc, comme diraient les horlogers, de remettre les pendules à l’heure. Bien que notre tournure ne soit pas encore admise au dictionnaire, elle a quand même fait du chemin depuis 1978. Deux défenseurs de la langue l’emploient. René de Chantal, dont vous connaissez peut-être les Chroniques de français :
« En d’autres mots, par son insistance…2 », et Philippe Barbaud, linguiste et professeur à l’UQAM : « En d’autres mots, notre parler habituel…3 ». Le premier est d’origine européenne, si je ne m’abuse, et le second est québécois.
Les exemples suivants sont tirés de deux traductions, de l’anglais d’abord : « En d’autres mots, il faut qu’il soit contre…4 », de l’italien ensuite : « En d’autres mots, il était con », « En d’autres mots, à moins que…5 ». Ces deux dernières citations devraient convaincre les incrédules qu’il peut difficilement s’agir d’un calque de l’anglais.
Voici maintenant quatre exemples de bons auteurs, peu susceptibles d’avoir été influencés par l’anglais :
Si les dictionnaires français continuent d’ignorer cette expression, il n’en est pas ainsi des bilingues. Outre le Harrap, le Robert-Collins la donne, mais dans la partie français-anglais seulement. On la trouve également dans le Dictionnaire des vrais amis10.
Au total, cela fait pas moins de quinze sources, dont la plupart sont tout ce qu’il y a de plus fiables. Devant autant d’exemples, je ne vois vraiment pas ce qui pourrait vous faire hésiter à l’employer. Son peu d’ancienneté, peut-être? Qu’à cela ne tienne, voici deux exemples qui auront tôt fait de lever vos scrupules :
« (…) en d’autres mots, que ce sont des scènes d’opéra que l’on demande aujourd’hui dans la tragédie11 ».
En d’autres mots, que Rubens l’emportait sur Raphaël…12
Ces citations proviennent d’un ouvrage malheureusement oublié aujourd’hui, L’Hermite de la Chaussée-d’Antin, paru en 1813.
Il ne nous reste plus qu’à attendre – patiemment – les prochaines éditions du Petit Larousse et du Petit Robert. Si, par impossible, les rédacteurs de ces maisons s’obstinaient à faire la sourde oreille, nous aurons alors la preuve qu’ils ne lisent pas L’Actualité terminologique. Il faudra sans doute songer à les abonner.
Simon Leys est le pseudonyme de Ryckmans, ce que j’ignorais à l’époque. *
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