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Combien y a-t-il de points d’impôt en tout et partout dans l’univers?
(Jean Dion, Le Devoir, 6.12.01)
Vous arrive-t-il souvent d’employer l’expression en tout et partout? Moi, plutôt rarement, et la dernière fois que j’ai osé le faire, je me suis fait rappeler à l’ordre par deux collègues. On me signala – gentiment, certes –, qu’elle n’avait pas le sens que je lui donnais, que je l’avais confondue avec en tout et pour tout…
Je ne viens pas aujourd’hui tenter de les confondre, mais comme j’avais plus ou moins promis à l’une d’elles que je traiterais un jour de ce problème – qui la faisait « bondir », disait-elle –, je m’exécute. Par ailleurs, l’évolution de ces jumelles est assez étonnante, et quelque peu embrouillée par bouts, de sorte qu’il m’a semblé intéressant de tenter d’y voir un peu plus clair.
Il y a plus de trente ans déjà, Geneviève Gilliot1 faisait appel à notre bon sens : c’est en tout et pour tout qu’il faut dire « si l’on veut être compris ». Guy Bertrand2 ne s’enfarge pas dans les fleurs du tapis : « en tout et partout ne veut rien dire en français ». Camil Chouinard3 y voit une déformation d’en tout et pour tout. Les « Clefs du français pratique » du Bureau de la traduction semblent mettre en doute son existence : « Non attesté. On trouve cependant en tout et pour tout, qui veut dire au total, sans rien de plus » L’Office québécois de la langue française est catégorique : « La suite de mots en tout et partout ne peut être employée dans le même contexte qu’en tout et pour tout et n’a jamais été attestée comme variante de en tout. » L’Office en reconnaît au moins l’existence.
En fait, ces deux expressions seraient aussi vieilles l’une que l’autre. On les rencontre chez Montaigne4. Le sens d’en tout et partout est le même qu’aujourd’hui : « Et ne consens pas à la mesure de sa dispense, en tout et par tout » (on le trouve encore écrit en deux mots dans l’édition abrégée du Littré parue en 1963). Quant à l’autre, elle a à peu près le sens de sa jumelle : « Plutarche nous diroit volontiers que c’est l’ouvrage d’autruy que ses exemples soient en tout et pour tout veritables ».
Dans son dictionnaire paru à la fin du 17e siècle, Antoine Furetière5 ne donne que la première locution. À « tout », il se contente d’un exemple : « Cela est égal en tout & par tout », mais à « par tout », il en précise le sens, « absolument » : « Je vous garentis cela en tout & par tout, en toutes les parties, & devant toutes sortes de personnes ».
Cette similitude (ou confusion) de sens chez Montaigne se maintient dans les dictionnaires. Comme Furetière, l’Académie, dans la première édition de son dictionnaire (1692), ignore en tout et pour tout, et donne à l’autre tournure le sens d’« entièrement » : « je suis de vostre avis en tout & par tout ». Sauf erreur, Bescherelle6 est le premier à enregistrer en tout et pour tout, auquel il donne aussi le sens d’« entièrement » : « Être de l’avis de quelqu’un en tout et pour tout ». Et pour lui, en tout et partout a le sens du Furetière, « absolument ». Littré (1863-1872), qui ne connaît qu’en tout et partout, reprend l’exemple de l’Académie : « Je suis de votre avis en tout et partout ». (Je dois dire que je ne suis pas sûr de bien saisir la différence entre « entièrement » et « absolument ». Surtout qu’à « absolument » l’Académie donne comme synonyme… « entièrement ».)
Le Larousse du XXe siècle (1928-1933) n’enregistre lui aussi qu’en tout et partout : « En toute chose et dans toute circonstance ». Au contraire, le Quillet l’ignore et donne à en tout et pour tout le sens qui est habituellement celui de l’autre : « entièrement, en toutes choses, dans tous les cas : Je suis de votre avis en tout et pour tout7 ». En somme, il reprend l’exemple du Bescherelle. Dans le TLF8, une seule occurrence d’en tout et pour tout, avec une citation de Georges Duhamel : « La grande bâtisse était éclairée, en tout et pour tout, par une seule lampe » (Suzanne, 1941). On trouve en tout et partout à cinq entrées différentes, mais à « partout », seulement une variante, dans tout et partout, de Charles Fourier (1830). À « étaler », la citation de Valérie Larbaud m’a fait hésiter : « Je veux m’étaler à mon tour, avoir un chez-moi confortable, des domestiques, et n’être plus obligé de me contenter, en tout et partout, de la seconde classe » (Barnabooth, 1913). J’ai cru un moment que c’était notre sens.
Si vous commencez à avoir le tournis, vous me le dites, et je passe à autre chose…
Allons voir du côté des bilingues, peut-être trouverons-nous des repères plus sûrs. À la fin du 19e siècle, Clifton et Grimaux9, qui ignorent eux aussi en tout et pour tout, traduisent en tout et par tout par « entirely, wholly ». Le dictionnaire de Charles Petit10 ne connaît pas la première forme non plus et donne pour l’autre la traduction courante : « il nous servira en tout et partout – he will serve us in everything and everywhere ». Il faudra attendre le Harrap’s de 1967 pour trouver une traduction d’en tout et pour tout : « first and last ». Aujourd’hui, tous les bilingues l’enregistrent et traduisent par « all told », « all in all », etc.
Depuis quand donnons-nous à en tout et partout le sens que les dictionnaires réservent à sa jumelle? Depuis un siècle et demi. Un député du Bas-Canada l’emploie, en 1850 : « avec seulement 10 000 hommes de troupes, en tout et partout11 ». Vient ensuite un roman, Jean Rivard12, paru en 1874 : « Sa part d’héritage à lui ne s’éleva donc en tout et partout qu’à la somme de cinquante louis ». Suivi d’un historien : « Il pouvait en tout et partout y avoir 400 hommes, moitié dans le camp, moitié dans le village13 ». Enfin, Georges Pelletier, directeur du Devoir : « Berlin avait commencé par parler de 1,500 [morts] en tout et partout. » (21.8.42). Et nous l’employons encore aujourd’hui, comme en témoigne cette citation : « En tout et partout, c’est de la boule, de la boulette et de la grenaille14 ».
Mais nous arrive-t-il aussi d’employer en tout et partout dans le sens de Montaigne? Eh bien oui, et depuis aussi longtemps que l’autre. Dans une conférence prononcée en février 1848, autrement dit, deux ans avant Chauveau, Étienne Parent15 l’emploie : « on prendrait les moyens de n’agir en tout et partout que d’après l’opinion et les désirs des habitants ». Un ecclésiastique se permet même de faire l’inversion : « Luxe sur la table, […], luxe partout, jouissance partout et en tout16 ». Enfin, en avril 1940, un membre du Conseil législatif du Québec, Jean-Louis Baribeau, opposé à ce qu’on accorde le vote aux femmes, déclare : « certaines femmes s’imaginent que les femmes doivent imiter les hommes en tout et partout » (Alexis Gagnon, Le Devoir, 26.4.40).
On l’a vu, en tout et pour tout a mis du temps à faire son entrée dans les dictionnaires. Comme l’indique l’OQLF, elle apparaît avec la 8e édition (1932-1935) du dictionnaire de l’Académie, au sens de « sans rien omettre, tout étant compris, tout compte fait » (on se souviendra que dans le Bescherelle, elle signifie « entièrement »). Aujourd’hui, c’est le contraire qui se produit : en tout et partout se fait montrer la sortie. Elle disparaît du dictionnaire de l’Académie avec l’apparition de sa rivale et elle n’a pas été rétablie dans la version en ligne (les immortels sont rendus au mot « pied »). On la trouvait encore dans le Harrap’s français-anglais de 1972, mais pas dans celui de 2007. Les Larousse et les Robert, bilingues comme unilingues, l’ignorent, et les exemples qu’en donne le TLF ne sont pas particulièrement récents; ils vont de 1816 (Maine de Biran) à 1913 (Larbaud). En d’autres mots, en tout et partout est menacée de disparition.
Comme nous l’avons constaté, ce que confirment d’ailleurs Rey et Chantreau17, ces deux expressions avaient autrefois le même sens, « en toute chose et dans toute circonstance ». Et pour les auteurs d’un dictionnaire bilingue québécois18 récent, elles ont toujours le même sens, mais cette fois c’est l’inverse : en tout et pour tout est traduit par « all in all, all told, over all », et en tout et partout par… « all in all, all told, altogether ». C’est une consécration de l’usage québécois en quelque sorte.
Vous me direz que c’est le monde à l’envers… Peut-être. Quoi qu’il en soit, et sans vouloir faire de peine à mes deux collègues, je suis d’avis qu’on devrait reconnaître à en tout et partout un sens québécois. Le contexte permettra toujours de faire la différence. Encore aujourd’hui, on nous reproche de dire « avoir le dos large » (faux calque) au lieu d’« avoir bon dos ». Les deux figurent pourtant dans le dictionnaire de l’Académie, avec des sens à peu près interchangeables. Est-ce source de confusion?
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