This version of Chroniques de langue has been archived and won't be updated before it is permanently deleted.
Please consult the revamped version of Chroniques de langue for the most up-to-date content, and don't forget to update your bookmarks!
Le lecteur qui voit dans sa gazette du matin des groupes fanatiques qualifiés de vocables (Adrien Cantin, Le Droit, 7.3.90)… retient un sourire. Et quand il lit dans votre quotidien préféré que des revendications sont devenues vocales (Michel Duquette, Le Devoir, 7.5.92), il étouffe un soupir. Mais quand, sous la plume d’une journaliste soucieuse de correction, il rencontre des groupes d’intérêt vocaux (Lysiane Gagnon, La Presse, 25.3.99), il se prend à maudire les dictionnaires…
Et à se dire qu’il est grand temps qu’ils se guérissent de leur syndrome explicatif et nous proposent enfin un véritable équivalent de vocal. Jusqu’ici, en effet, ils se sont contentés d’explications du genre « qui se fait entendre », « qui fait du bruit ». Rien à redire à cela, sauf que dans un texte où vocal foisonne comme la mauvaise herbe, le traducteur en vient vite à ressentir cruellement l’absence d’un terme maniable, un peu passe-partout.
Récemment, deux dictionnaires ont tenté de combler cette lacune. Y sont-ils arrivés? C’est ce que nous verrons tout à l’heure. Pour le moment, j’ai le goût de vous faire languir un peu et de passer en revue avec vous quelques termes qui me semblent assez bien correspondre au sens anglais.
Le terme que j’ai rencontré le plus souvent – c’est aussi le plus ancien (1907!) – est bruyant. C’est André Siegfried, dans son célèbre ouvrage sur le Canada, qui me le fournit :
Ces petites chapelles sont d’ordinaire agitées et bruyantes1.
Abel Hermant (le célèbre Lancelot, pourfendeur de fautes) écrit en 1918 une phrase qu’on aurait pu lire dans le journal d’hier :
Il faut prendre garde que des décrets […] donnent satisfaction à une de ces minorités bruyantes qui se prennent pour la majorité2.
Presque 60 ans plus tard, dans un commentaire aux allures de proverbe, Alfred Sauvy lance le substantif :
Satisfaire les bruyants est un moyen de faire cesser le bruit et dispense de la tâche de soulager les silencieux3.
Un philosophe4 a des sympathies pour les critiques bruyants, et un romancier, collaborateur du Monde5, pour les organisations bruyantes.
Il y a dix ans, un traducteur anonyme nous indiquait déjà la voie :
Le Québec anglais est devenu le partisan […] le plus bruyant de la vision d’un Canada bilingue6.
Il s’agit d’un article d’un ancien président d’Alliance Québec, paru dans une revue bilingue. Le texte que je présume être l’original donne vocal.
Enfin, dans l’équivalent québécois du Canard enchaîné, on trouve cette définition pince-sans-rire :
Opposition – Minorité bruyante représentant la majorité silencieuse7.
Les autres termes que j’ai notés sont moins fréquents. Un professeur de l’Université de Sherbrooke8 n’hésite pas à qualifier une minorité de loquace. Un journaliste du Devoir9 renchérit et parle de groupes vociférants. Dans le même journal, en date du 17 décembre 1998, il est question de minorité tapageuse.
Un écrivain français, en dix mots, nous fournit deux équivalents :
Il est exact que les minorités sont polémiques et agressives10.
Un journaliste français préfère parler de minorité active :
Ce sont les excès de la minorité active qui conduisent à la prise de conscience11.
Agissant aussi se rencontre assez souvent. De nouveau, c’est Siegfried qui me fournit l’exemple le plus ancien :
Une minorité agissante a joué le rôle de ferment dans la pâte12.
Deux journalistes de chez nous, Gil Courtemanche13 et Fulvio Caccia14, emploient la même expression.
Le Lexis de 1975 l’enregistre : « la communauté protestante de la ville forme une minorité agissante ». Il indique comme synonymes actif et influent. Et le Petit Larousse de 1998 en donne une définition intéressante : « groupe, catégorie de personnes qui poursuivent des fins communes et dont l’action, souvent influente, est source de changements ».
Après ce long détour, j’en arrive enfin aux deux dictionnaires qui nous proposent un équivalent de vocal. Le Hachette-Oxford (1994) traduit vocal minority par minorité agissante, mais minorité agissante y est qualifiée d’active minority…
Quant au Robert-Collins, si la 3e édition (1993) se contente de l’explication habituelle (qui fait du bruit, qui se fait entendre), par contre à minorité agissante, on trouve… active minority. L’édition de 1998 ajoutera influential minority. Mais cette fois, les rédacteurs de la partie français-anglais se montrent plus audacieux et rendent minorité bruyante par vocal minority. Quatre-vingt-dix ans plus tard, ils rejoignent André Siegfried!
Un dernier mot sur minorité agissante. La définition du Petit Larousse soulève une question : si la minorité agissante est « souvent » influente, est-ce aussi le cas de la vocal minority? Autrement dit, celle-ci obtient-elle des résultats ou ne fait-elle que du bruit?
Outre le problème d’efficacité se pose celui de la péjoration de l’expression minorité agissante. L’auteur d’un vocabulaire politique15 y voit un terme péjoratif, « qui vise à mettre en valeur le fait que les mouvements sociaux et politiques […] sont manipulés par un petit nombre d’individus ».
À voir cette évolution, je vous conseillerais d’employer minorité agissante au plus vite, avant que l’usage ne vous l’interdise. Ou de vous rabattre sur bruyant. Que j’aime bien, mais qui est à la limite du péjoratif. Ce qui est rarement le cas de vocal, si je ne m’abuse.
En vous quittant, il me vient une dernière idée. Il me semble qu’on pourrait aussi parler de minorité revendicative (ou revendicatrice). Ou protestataire encore. Voire contestataire. Après tout, n’est-ce pas la raison d’être de la minorité active, bruyante et agissante?
© Public Services and Procurement Canada, 2024
TERMIUM Plus®, the Government of Canada's terminology and linguistic data bank
Writing tools – Chroniques de langue
A product of the Translation Bureau