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L’emploi du verbe français partager suscite toujours une certaine méfiance. Comme il est souvent employé à tort sous l’influence de l’anglais to share, on a tendance à l’éviter dans ses sens autres que celui de « diviser quelque chose en plusieurs parts ». Il n’est donc pas surprenant que de nouvelles expressions à la mode, comme services partagés et partager une page, en fassent sourciller plus d’un. Pourtant, la première se justifie relativement bien en français; la seconde, bien que discutable, est si fréquente dans l’usage qu’on ne saurait la condamner.
Dans le domaine de l’administration publique et de la gestion d’entreprise, on voit de plus en plus souvent l’expression services partagés pour désigner la mise en commun des fonctions et des systèmes administratifs de plusieurs organisations ou divisions d’une même organisation, afin d’améliorer l’efficacité et l’efficience et de réduire les coûts de la prestation de services.
Doit-on hésiter à employer ce terme de peur de commettre un anglicisme? Certes, à première vue, l’expression services partagés semble calquée sur l’anglais shared services. Mais n’ayez crainte, elle se justifie. En anglais, le verbe to share peut avoir le sens de « to use or benefit from jointly with others1 »; or, en français, les dictionnaires donnent à partager des sens qui se rapprochent assez bien de cette définition :
En effet, comme le précisait Jacques Desrosiers dans son article Pensez-y bien avant de partager vos opinions2, « les différents sens de partager se répartissent en fonction de deux grands traits sémantiques ». Quand on partage, on divise une chose en différentes parts pour les distribuer. Dans ce cas, partager consiste à donner une part. Mais partager a aussi le sens de « prendre part à », comme l’indiquait l’article : « Au lieu d’une chose qui est répartie entre plusieurs personnes, cette fois plusieurs personnes convergent vers la même chose. » C’est précisément ce deuxième trait sémantique qui s’applique à l’expression services partagés : plusieurs ministères et organismes ou plusieurs divisions d’une entreprise convergent vers les mêmes services, utilisent les mêmes services.
De plus, l’expression services partagés figure dans plusieurs grandes banques de terminologie. TERMIUM Plus® l’admet sans réserve. On la trouve également dans FranceTerme, où l’on indique qu’elle a été officialisée par la Commission générale de terminologie et de néologie de la République française en 2006*. Quant au Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, il privilégie le terme services communs, mais indique tout de même services partagés comme synonyme, précisant dans une note que ce terme « est en train de se répandre dans l’usage […], vraisemblablement parce que la mise en place de tels services, en visant une réduction des coûts, met l’accent sur le partage des frais ».
Vous avez peut-être remarqué qu’on peut maintenant tout partager sur Internet : pages Web, signets, photos, gazouillis et j’en passe. À l’ère du Web 2.0 où les internautes peuvent échanger de l’information et interagir tant dans les sites Web que dans les médias sociaux, on voit de plus en plus souvent le verbe partager employé dans le sens de « diffuser des ressources ou les rendre accessibles à plusieurs internautes ».
Seul problème : les grands dictionnaires de la langue française ne donnent pas au verbe partager le sens de « communiquer, diffuser, transmettre »…, du moins pas encore. Mais alors, pourquoi pourrait-on considérer comme correct l’emploi de partager une page Web? N’est-ce pas là l’action de « communiquer » de l’information? Dans le domaine d’Internet, il faudra s’y faire, car cet emploi, qui dérive certainement de l’anglais – share this page, share this post on Twitter, etc. –, est déjà bien implanté. Les sites Web de nombreux médias, tant canadiens qu’européens, nous proposent de partager un article sur Facebook, Twitter ou d’autres sites de réseautage social – c’est-à-dire de le mettre à la disposition des autres –, et nous présentent parfois une liste des articles les plus partagés. Les ministères et organismes gouvernementaux du Québec, du Canada et de la France ne font pas bande à part. La fonctionnalité est de plus en plus fréquente dans leurs sites Web.
Il faut dire que le partage dans le domaine informatique n’est pas une notion si récente. En effet, depuis 2008, le Petit Robert indique que dans ce domaine, le verbe partager peut signifier « rendre accessible (une ressource) à plusieurs utilisateurs via un réseau ». Voilà une définition qui se rapproche drôlement du nouveau sens de partager découlant du Web 2.0. Toutefois, si l’on regarde l’exemple illustrant cette définition, soit partager une imprimante, on comprend que cet emploi relève du monde du tangible et non de celui du virtuel. Les dictionnaires finiront bien un jour par s’ajuster à la réalité du Web. Mais pour l’instant, si l’on veut suivre l’évolution des termes informatiques, il faut se fier aux banques de terminologie qui elles, acceptent des expressions comme partage de signets3 et partager un gazouillis4.
Dans son article sur l’emploi de partager, paru en 2004, Jacques Desrosiers avait indiqué en guise de conclusion qu’« il est possible qu’au fil du temps partager prenne une nouvelle coloration ou que son sens se dilue ». Moins de dix ans plus tard, sa prédiction s’est déjà réalisée dans le domaine de l’informatique. Sans compter que le verbe partager gagne en popularité dans l’usage courant au Canada comme en France, où l’on partage aisément du savoir, des connaissances et de l’information, entre autres choses.
Les dictionnaires donneront peut-être un jour au verbe partager le sens de « communiquer, diffuser, transmettre ». Car, comme le précise le Petit Larousse dans sa préface, « la langue française appartient à ceux qui la parlent, l’écrivent et l’enrichissent ».
Le terme centre de services partagés a quant à lui été officialisé en 2005. *
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