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Q. Est-ce qu’il faut écrire qu’une réunion est prévue en janvier ou prévue pour janvier? Est-ce qu’on dit prévue à 15 h ou pour 15 h?
R. Petites prépositions, gros embêtements. C’est sur elles que butent le plus souvent les traducteurs débutants. Ils payent pour un service, participent dans des activités, agissent en concert avec quelqu’un. Prévoir est déjà un verbe « à problème ». Il a été question dans un article précédent de son emploi avec l’infinitif : on prévoit restructurer les opérations ou on prévoit de restructurer les opérations? L’usage canadien omet souvent la préposition devant l’infinitif (pas toujours); l’usage européen préfère le substantif à l’infinitif (on prévoit une restructuration des opérations).
À voir le Guide anglais-français de la traduction de René Meertens, dans son « édition 20091 », on penserait à première vue qu’il prend soin d’éviter un calque lorsqu’il propose de traduire :
the elections scheduled for March were cancelled
par
les élections prévues en mars ont été annulées
Ce n’est pourtant pas la construction classique. Dans un texte soigné de la collection « Génies et Réalités », d’il y a plusieurs décennies, l’académicien Marcel Brion écrivait :
Il [Wagner] avait prévu pour 1868 l’achèvement du Ring2.
Un ouvrage normatif comme le Hanse propose de dire : La réunion est prévue pour la semaine prochaine, ce qui donne à entendre que les autres constructions possibles ne seraient peut-être pas admissibles.
Des exemples semblables fourmillent dans les dictionnaires, comme le Trésor de la langue française (TLF) : Ce courrier, prévu pour deux heures, serait décommandé (Saint-Exupéry). Ensemble des prières et des lectures prévues pour un moment déterminé. L’élection d’une Assemblée était prévue pour le mois d’octobre (De Gaulle). Prévu pour l’an 2000 [au Japon] : chaque foyer, chaque local industriel sera relié à un réseau national de communications.
Même chose dans les bilingues, quand ils traduisent scheduled for : élections prévues pour le 5 janvier dans le Robert & Collins; prévu pour 15 heures, réunion prévue pour demain dans le Harrap’s Shorter.
Il n’y a rien là d’étonnant, puisque l’indication du moment où quelque chose doit se faire est selon le Grand Larousse encyclopédique (2007) l’un des principaux sens de pour, indépendamment de prévu : travail à finir pour mardi. On dit couramment : C’est pour quand? – C’est pour demain.
Il va sans dire que nos médias connaissent le tour :
Le parti au pouvoir n’abuserait pas à nouveau des moyens dont dispose l’État pour influer sur le résultat des élections parlementaires prévues pour mars ou avril prochain.
Le Devoir, 8 février 2010
Mais voilà, avec les noms de mois, l’autre tournure, celle proposée par Meertens, est aujourd’hui bien plus fréquente :
L’ébauche du programme d’éthique et de culture religieuse, dont l’entrée en vigueur est prévue en septembre 2008 dans l’ensemble du réseau scolaire québécois, n’est toujours pas disponible.
Le Devoir, 3 novembre 2006
Il prépare actuellement la mise en scène du premier spectacle de magie du Cirque du Soleil, prévu en juin 2008 à Las Vegas.
Radio-Canada
(consulté le 15 janvier 2010)
En Europe, on constate la même cohabitation des deux tournures rivales devant le nom des mois et là aussi la fréquence plus élevée de la construction avec en. Deux cas d’emploi opposés, dans le Figaro :
L’iPad fonctionne avec le système d’exploitation iPhone OS 3.2. Sa sortie, en version WiFi, est prévue pour avril.
27 janvier 2010Enfin, point d’orgue de cette Année astronomique, le lancement prévu en avril, par la fusée Ariane, de deux satellites scientifiques.
16 janvier 2009
Le premier exemple, tout récent, montre que en a beau prédominer, l’usage n’est pas pour autant en train de larguer la tournure classique; les exemples sont d’ailleurs encore trop nombreux. Est-ce une faute de renoncer à pour? Il est facile de comprendre que en vienne naturellement sous la plume : c’est la préposition dont les noms de mois se font le plus souvent accompagner : Je pars en vacances en juillet et non pour juillet. Une tournure comme prévu en mars semble le résultat d’un conflit entre les deux prépositions, où le pour de prévu a dû céder la place à la préposition que l’on voit toujours avec les noms de mois.
Mais un problème guette quiconque décide de faire fi de pour : l’ambigüité, l’obligation ennuyeuse faite au lecteur de s’arrêter et de relire. Car prévu employé sans pour peut servir à indiquer non pas le moment où quelque chose aura lieu, mais le moment où l’action de prévoir a lieu. Il est vrai qu’on prend rarement la peine d’indiquer qu’à tel moment on a prévu quelque chose pour une date ultérieure. Cela arrive quand même :
Les économistes du Mouvement Desjardins revoient à la hausse leurs prévisions. Ils estiment que le recul du PIB pour l’ensemble de l’année 2009 s’établira à 1,7 %, comparativement à une baisse de 1,8 % qui avait été prévue en septembre.
La Presse, 26 octobre 2009 (dépêche de la Presse Canadienne)
Bien sûr ici prévoir n’a pas le même sens : il s’agit de prédire, et non d’organiser. Mais dans le même journal, on peut aussi lire :
Une proposition sera ensuite acheminée aux créanciers et la clôture est prévue en septembre, après l’obtention des approbations nécessaires.
8 juillet 2008
La plupart du temps le contexte est clair, mais la confusion est toujours possible. Dans l’état actuel des choses, ceux qui ne veulent courir aucun risque n’ont qu’à suivre la bonne vieille « règle ». L’usage est toutefois assez souple pour accepter les deux constructions.
Voilà pour les noms de mois. Que ce soit en ou pour, au moins on conserve une préposition. Il en va de même avec les heures. Les Européens écriront volontiers : Une rencontre est prévue à 10 h. C’est une tendance normale, puisqu’on dit : Je pars à 10 heures. Pour est accommodant : après s’être fait déloger par en, il cède encore la place. Mais il faut rester prudent. L’usage canadien, lui, n’a pas de préférence marquée :
Le lancement de la Semaine de la citoyenneté est prévu à 13 h.
Cégep de la Gaspésie et des Îles
Le départ d’Hélène est prévu pour midi.
Banque de dépannage linguistique, Office québécois de la langue française
Avec les dates, il arrive assez souvent que les prépositions disparaissent complètement, mais l’usage n’est pas fixé. Pour n’est plus senti comme indispensable par certains dans une tournure comme prévu le 17 avril. Le Hachette-Oxford, dans sa partie français-anglais, laisse ouverte la possibilité de l’omettre :
la réunion prévue (pour) le 17 avril : the meeting planned for 17 April
Le TLF cite cette phrase de l’historien français Georges Lefebvre :
Une « fête de la Liberté » était prévue le 20 brumaire (10 novembre) : afin de célébrer la victoire de la philosophie sur le fanatisme, la Commune s’empare de Notre-Dame…
On se doute que la fête aura lieu le 20 brumaire. On s’arrête quand même un moment… ce qu’on ne ferait pas avec pour. Mais la tournure a la bénédiction du dictionnaire.
Pas de préposition le plus souvent dans l’usage européen avec le nom des jours :
Une réunion de médiation est prévue jeudi après plus d’une semaine de conflit.
Le Monde, 17 février 2010
On dit : Je pars mercredi, alors on est naturellement porté à dire que la réunion est prévue mercredi. Terrain glissant. Par-dessus le marché pour n’alourdirait guère l’expression, et l’usage canadien le conserve d’ailleurs souvent. Peut-être est-il préférable d’avoir en général une préposition. Un prévu mercredi dans une longue phrase peut avoir l’air rachitique, comme on le voit en enlevant pour dans la phrase suivante :
… une sorte de « catalogue d’action » esquissé par la Commission européenne avant une réunion de coordination entre experts nationaux prévue pour vendredi.
Le Monde, 8 janvier 2009
Mais cela ne semble pas gêner les Européens qui persistent donc le plus souvent à l’omettre. Difficile de trouver une meilleure illustration du caractère capricieux de l’usage. Alors qu’avec le nom des jours les Européens font sauter pour, avec des mots comme aujourd’hui ou demain ils préfèrent le garder : prévu pour aujourd’hui, prévu pour demain. Tandis que chez nous là aussi l’usage hésite. Sur la page d’accueil du Parlement du Canada :
Sénat. Aucune réunion prévue aujourd’hui. Chambre des communes. Aucune réunion prévue aujourd’hui. Comités mixtes. Aucune réunion prévue aujourd’hui.
www.parl.gc.ca/Default.aspx?Language=f (consulté le 19 février 2010)
Dans un journal acadien :
La cause lancée par la Société médicale du Nouveau-Brunswick contre le gouvernement provincial était prévue pour aujourd’hui, à Saint-Jean.
L’Étoile de Moncton
Il y a des contextes où, de toute évidence, pour étoffe avantageusement la phrase :
Au point que les différents géniteurs n’ont toujours pas signé d’accord, ce qui pourrait retarder le lancement, initialement prévu pour le mois prochain.
L’Humanité, 19 octobre 2006
La procrastination aidant, beaucoup de choses sont toujours prévues pour la fin de l’année, aussi cette construction est-elle bien ancrée dans l’usage. Pas moyen d’ailleurs d’enlever la préposition. Pour semble encore solidement arrimé à prévu dans des tournures comme prévu pour la semaine prochaine : l’usage canadien est indécis, mais en Europe pour l’emporte. L’expression a pourtant une certaine lourdeur : trois mots qui expriment le futur (prévu, pour, prochaine)!
Dans d’autres cas, au contraire, il est obligatoire de faire sauter pour. Tel événement est prévu autour du 23 août, et non pour autour du 23 août. Autour est plus important que pour à cause du sens, comme en dans en mars à cause de son emploi usuel.
Faut-il conclure à l’anarchie? Non. C’est que finalement le critère stylistique prévaut sur les règles de la syntaxe. La langue n’est pas un ensemble de théorèmes. On peut bien faire de la présence de pour une règle inviolable dans tous les cas. Mais en refusant de voir un tournant très net dans l’usage, on risque de se fossiliser prématurément. Il est plus raisonnable d’admettre qu’en l’absence parfaite d’ambigüité, on devrait pouvoir user de souplesse.
L’anglais écrit est plus rigide là-dessus : il fait toujours suivre scheduled ou planned de for. Mais ce n’est pas pour éviter un anglicisme que Meertens a relégué aux oubliettes la construction classique : il a seulement indiqué, à tort ou à raison, le tour devenu le plus courant dans l’usage. Il n’y a pas grand intérêt à s’acharner contre des tournures qui ne s’écartent que légèrement de la norme, sans faire grand tort à la langue – sauf quand elles calquent l’anglais, parce qu’elles peuvent alors avoir un terrible effet d’entraînement.
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