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Quand j’étais étudiant en traduction, on nous suggérait d’essayer de dicter nos traductions plutôt que de les taper. À l’époque, une expérience en laboratoire a permis de constater une augmentation substantielle de la productivité grâce à la dictée1.
Une trentaine d’années plus tard, des jeunes gens me disent qu’on leur apprend que la dictée est dépassée. Que ce serait pour les dinosaures qui ont de la difficulté à comprendre les nouvelles technologies.
C’est ce que j’appelle « tuer la poule aux œufs d’or avec un gros canon ». Je ne comprends pas pourquoi certaines personnes ont décidé que les outils d’aide à la traduction doivent nécessairement remplacer la dictée plutôt que de s’y ajouter. Bien des langagiers affirment que la dictée n’est pas faite pour tout le monde, sans même l’avoir essayée.
Et pourtant, nous sommes presque tous dotés de la parole. Force est d’admettre qu’il y a des gens qui ne s’expriment pas très bien à l’écrit, mais très bien à l’oral. Saviez-vous qu’il faut plus ou moins sept années d’apprentissage et d’exercices pour atteindre un niveau de lecture et d’écriture qui permet de comprendre assez bien et d’écrire décemment?
Pour bien écrire, il faut apprendre non seulement l’orthographe, la syntaxe et la grammaire, mais aussi la calligraphie. Les moins doués pour le dessin comme moi passent des heures à s’exercer à faire de « belles » lettres.
Pour parler, c’est moins compliqué. Les enfants ne suivent généralement pas de cours pour apprendre à parler. Ils maîtrisent souvent déjà très bien l’expression orale avant même de connaître le nom des lettres. Ils peuvent regarder des imagiers et apprendre le nom des objets représentés.
L’écriture telle qu’on la connaît est venue bien après la parole en tant que système d’expression complet. La parole est dans nos gênes. Les enfants n’ont pas besoin d’un apprentissage encadré dans une école pendant sept ou huit ans. Par contre, rares sont ceux qui apprennent à écrire sans l’aide de personne.
Cela dit, même si l’être humain a parlé avant d’écrire, les moyens de stockage de l’écriture (le papier et le crayon) furent accessibles à la masse bien avant les moyens de stockage de l’oral (audio, vidéo). Les connaissances furent d’abord diffusées par l’écrit, même si notre moyen le plus naturel de communiquer est la parole2. Avec la démocratisation d’Internet, le clavardage et les médias sociaux sont venus propulser un style d’écriture qui s’approche de la conversation informelle.
Selon moi, tout ça ne devrait en rien nous faire oublier que la dictée peut faire épargner énormément de temps à toute personne appelée à rédiger. À mon avis, le stylo et le clavier ont précédé la saisie de la voix et sa conversion en écriture pour de simples raisons techniques. Cependant, maintenant que la saisie de la voix et la reconnaissance vocale se démocratisent, ces deux techniques constituent une partie évidente de l’évolution de la saisie de texte. Après tout, ce serait un juste retour des choses de parler pour écrire puisque l’on écrit souvent pour reproduire la parole.
La question qu’il faut se poser est la suivante : doit-on se contenter des logiciels de reconnaissance vocale ou devrait-on plutôt continuer à profiter de l’expertise des spécialistes en saisie de texte?
Avez-vous deviné ma réponse? Pour appuyer mon point de vue, je vais faire le parallèle entre la traduction automatique et la reconnaissance automatique de la parole pour l’écriture.
Les concepteurs de logiciels créent de superbes produits qui accomplissent des tâches incroyables, certes, mais des tâches plutôt imparfaites en ce qui touche l’écriture. Quand la machine doit faire un choix parmi quatre ou cinq options, elle fait du très bon boulot. Mais c’est une autre paire de manches quand elle doit traiter la langue, qui offre des milliers et des milliers de possibilités.
Par exemple, apprendre à mon logiciel de reconnaissance vocale à distinguer de et deux est extrêmement difficile, voire impossible. Il lui arrive encore de confondre les deux sons, même si je prends soin de bien prononcer.
J’ai dicté cet article avec un logiciel de reconnaissance vocale3. J’ai ensuite fait des corrections au clavier et fait relire par un collègue.
Le processus est rentable pour moi. Cela dit, je préférerais dicter sans logiciel et faire saisir ma dictée par une personne spécialisée. Contrairement à la machine, cette personne n’écrirait jamais « de » quand il faut écrire « deux », et ce, même si je commets une petite erreur de prononciation. Elle n’écrirait pas « j’aurais » quand je dicte « j’aurai ». Le logiciel, lui…
Je crois qu’on gagne beaucoup de temps à allier dictée et reconnaissance vocale. Beaucoup plus que si on tape. Par contre, le temps épargné diminue beaucoup si j’utilise la reconnaissance vocale pour traduire, parce que je travaille généralement en écrasant le texte en langue de départ, que je remplace par le texte en langue d’arrivée. Un éditeur spécialisé comme ceux des environnements d’aide à la traduction qui sépare le texte en phrases dans un tableau à deux colonnes (une pour la langue de départ, l’autre, vierge, pour la langue d’arrivée) se prête donc mieux à l’utilisation de la reconnaissance vocale.
On peut aussi penser que des fonctions de reconnaissance vocale spécialement adaptées à un tel environnement donneraient de bien meilleurs résultats. Par exemple, à l’heure actuelle, si je veux remplacer « deux » par « de », je dois dire au logiciel que je veux corriger « deux », attendre, préciser au logiciel de prendre la 18e occurrence, puis choisir une des nombreuses propositions. C’est très fastidieux. À l’inverse, si le logiciel était contraint à ne traiter que la phrase ou le paragraphe en cours d’édition, la modification serait presque instantanée.
Enfin, puisque le logiciel de reconnaissance vocale commettra toujours un peu de sottises, pourquoi ne pas faire réviser la saisie automatique par les spécialistes du domaine? Je suis d’avis que cette profession doit évoluer et s’approprier aussi cette nouveauté qu’est la reconnaissance vocale.
Les spécialistes de la saisie sont déjà devenus des experts en formatage dans une grande variété de logiciels. Ils pourraient tout aussi bien devenir experts en correction d’inexactitudes des logiciels de reconnaissance vocale et même nous suggérer des façons de les améliorer. Cette profession négligée pourrait ainsi connaître un nouvel essor.
M. Olaf-Michael Stefanov, qui a déjà été responsable des services informatiques aux bibliothécaires et aux services linguistiques des Nations Unies, avait commencé une expérience où les spécialistes de la saisie pouvaient transcrire de façon traditionnelle ou dicter le texte au logiciel.
L’expérience a démontré un certain potentiel, même si elle suscitait des craintes, mais a été abandonnée à un stade précoce. Et pourquoi pas un système qui allierait le talent humain et la capacité du logiciel? Quoi qu’il en soit, ceux qui disent aux futurs langagiers que la dictée est dépassée les empêchent de bien voir l’avenir!
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