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Vous arrive-t-il, à l’occasion, de consulter Langage et Traduction1? On y trouve, par exemple, mille et une façons d’éviter de traduire control par contrôle. C’est un ouvrage encore fort utile. Dans les années 60 et 70, c’était la bible des traducteurs du Bureau de la traduction.
Son auteur, Pierre Daviault – ancien surintendant du Bureau, comme vous le savez –, ne prisait pas outre mesure les « créations » canadiennes. Aussi, partisannerie n’a pas échappé à son courroux. D’un trait de plume, il lui règle son cas : « partisan n’a jamais donné le dérivé partisanerie, qui est un barbarisme ». Le terme existait pourtant depuis plus de quatre-vingts ans.
Et plusieurs défenseurs de la langue avaient déjà tenté de nous débarrasser de ce « barbarisme » : Raoul Rinfret2 dès 1896, suivi de l’abbé Étienne Blanchard3 (1919), Léon Lorrain4 (1936) et, à la fin des années 50, Hector Carbonneau5.
Après Daviault, les redresseurs de torts linguistiques se taisent, comme si, de guerre lasse, ils s’étaient accordé une trêve. Seul Victor Barbeau6 en parle, et c’est pour le ranger parmi les canadianismes. Comme d’autres avant lui d’ailleurs.
En effet, contrairement à Rinfret, Oscar Dunn7 (1880) et Sylva Clapin8 (1894) y voyaient déjà un usage canadien. La plupart des lexicographes partageront cet avis : N.-E. Dionne9 (1909), la Société du Parler français du Canada10 (1930), Bélisle11 (1957) et, plus récemment, Robinson et Smith12, Poirier13, Dulong14 et Boulanger15. Pour tous ces auteurs, il s’agit d’un canadianisme.
Voilà pour l’emploi de partisannerie chez nous. Qu’en est-il en France? Autrement dit, Daviault avait-il raison de parler de « barbarisme », en ce sens que le mot était inconnu des Français?
Eh non, il avait tort. Mais il faut dire à sa décharge qu’à ce moment-là, on ne le trouvait dans aucun dictionnaire. Sauf dans le tome V du Grand Robert, qui venait tout juste de paraître. Il est malheureux que Daviault ne l’ait pas consulté, il y aurait trouvé une citation d’Émile Henriot qui date de 1960 :
(…) témoin désintéressé, sans partisanerie aucune…
« Néologisme », peut-on y lire (et dire que nous l’employions depuis près d’un siècle!). Dans l’édition de 1987, on ajoute que le mot daterait de 1943. En réalité, il est plus ancien encore, de presque dix ans :
« J’en ai assez de la partisanerie, si j’eus jamais pour elle quelque penchant. » (Jean Guéhenno, Journal d’un homme de quarante ans, Grasset, 1934.)
S’il est vrai, comme le dit le Grand Robert, que le mot est rare, il faut dire que la qualité compense la quantité. Outre Henriot (académicien) et Guéhenno (qui devait le devenir moins de vingt ans plus tard), Pierre Viansson-Ponté, journaliste renommé, l’emploie :
« J’ai choisi la franchise, à défaut de la courtoisie et de la partisanerie. » (Lettre ouverte aux hommes politiques, Albin Michel, 1976.)
Jamais deux académiciens sans trois :
« La politique, c’est-à-dire l’école de la partisanerie… » (Jean Dutourd, Le Socialisme à tête de linotte, Flammarion, 1983.)
Enfin, le Harrap’s français-anglais l’enregistre dans son édition de 1972, sans aucune mention.
J’ai pour mon dire que cela devrait suffire pour donner à partisan(n)erie droit de cité, vous ne croyez pas? Mais il y a un cactus, un hic si vous voulez. Doit-on l’écrire avec un ou deux n?
Les Français, par esprit de contradiction sans doute, ont opté pour un seul. (C’est aussi le cas du Harrap’s.) Les francophones d’ici penchent plutôt pour deux. Mais s’il y a consensus, il n’y a pas unanimité.
Il y a en effet des dissidents. Daviault, vous l’aurez remarqué, l’écrit avec un seul n. (Ce qui ne correspond pas à l’usage qu’il dénonçait. D’ailleurs son collègue Carbonneau en met deux.) Deuxième dissident, l’Assemblée nationale du Québec16 : dans un lexique destiné aux responsables du Journal des débats, les auteurs signalent qu’il faut l’écrire avec un seul n, partisane n’en prenant qu’un.
Dernier dissident, le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, qui adopte une attitude un peu chèvre-chou. En entrée, il n’y a qu’un n à partisanerie, mais dans les exemples, il y en a deux…
Un n ou deux? pourquoi ne pas admettre les deux graphies? On ne créerait même pas de précédent, puisqu’on le fait déjà pour raton(n)ade.
Vous me direz que les deux n sont en train de l’emporter. (À deux contre un, rien d’étonnant.) Il est vrai que les dernières éditions du Petit Robert et du Petit Larousse illustré ne retiennent que la graphie avec deux n, mais ratonade a encore de beaux restes. Le Grand Larousse universel de 1991 donne les deux, de même que le Robert & Collins Senior de 1993 et le Hachette de la langue française de 1994. (On dirait presque qu’ils jouent au rat et à la souris…)
Qu’en sera-t-il de partisan(n)erie? Difficile à dire, mais il se pourrait qu’une tendance se dessine chez nous. Ces derniers mois, dans le courrier des lecteurs du Devoir, j’ai relevé trois exemples de partisanerie avec un seul n. Signe des temps? Aurions-nous décidé de nous aligner sur l’usage « international »?
Pour ma part, je l’aime mieux avec deux. C’est plus équilibré. Et il paraît qu’on aurait déjà écrit partisanne… au Moyen Âge.
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