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J’ai beau être anglophone jusqu’au bout des ongles, en tant que traducteur, j’ai emprunté ma devise à la langue de Molière. J’ai fait miennes ces paroles immortelles attribuées à Napoléon : « Impossible n’est pas français. »
Je me distingue en cela de beaucoup de traducteurs qui ont l’air de préférer une autre parole célèbre de Bonaparte… le mot de Cambronne. (Ce qui est pas mal ironique, puisque cette expression était sa réplique à l’invitation à se rendre.)
Combien de fois n’ai-je constaté chez des collègues un esprit démissionnaire! À mon grand désarroi, ils s’arrachent les cheveux au lieu de se creuser les méninges. Moi, au contraire, rien ne me fait plus plaisir que de me faire poser une colle. On pourrait dire que les défis linguistiques « collent » à ma réalité de traducteur!
Lorsqu’une difficulté de traduction surgit au milieu du train-train quotidien des textes anodins – et, disons-le carrément, ennuyeux – je m’emballe, je m’engoue, je me passionne. Je ne m’accorde pas de répit avant d’avoir trouvé la solution, la réponse, qui convient à la situation.
D’aucuns objecteront que les défis « excessivement difficiles à relever » représentent une perte de temps et d’argent pour le Bureau de la traduction. Ils croient (à tort, me paraît-il) que ces difficultés demandent trop de recherche. Nous avons pourtant, à notre disposition, de merveilleux outils tels que TransSearch, qui nous donne accès aux débats de la Chambre des communes, avec tout ce qu’ils contiennent de savoureuses expressions populaires. Nous possédons aussi, espérons-le, un bagage culturel, un fonds de savoir, qui nous permet de donner libre cours à notre imagination et à notre créativité.
Que les démissionnaires se livrent à leurs petits calculs, qu’ils s’en tiennent à leur attitude de comptable! Moi, je préfère adopter une attitude de comte, pour ainsi dire, car j’estime que nous méritons, en relevant de pareils défis, nos lettres de noblesse.
Je crois, dur comme fer, que chaque idiome a les ressources nécessaires pour exprimer quelque réalité que ce soit. Il suffit de se fier au génie de la langue. Je refuse de croire qu’une langue est plus pauvre ou plus démunie qu’une autre. Nous n’avons qu’à tirer profit des moyens dont elle dispose.
Il est vrai que chaque langue a ses atouts et qualités, ses lacunes et défauts. L’anglais est doté d’une vaste gamme d’onomatopées, c’est-à-dire des mots qui reproduisent des sons. Comparativement aux langues d’origine européenne, les langues autochtones établissent des nuances infiniment variées entre les différents états de la neige. J’en conviens. Ceci dit, j’ai toujours la ferme conviction qu’il est possible de surmonter ces obstacles, de rendre des notions propres à d’autres cultures en puisant dans les richesses de la nôtre.
Permettez-moi de vous raconter un fait vécu, un moment mémorable de ma propre carrière. S’étant vu confier la traduction d’un rap, une collègue est venue me consulter, intimidée par l’énormité de la tâche.
J’ai compris, tout de suite, qu’une traduction en prose serait trop… prosaïque. Elle ferait une entorse à la nature du texte anglais. Il fallait plutôt reproduire, dans la mesure du possible, la musicalité de l’original, car le rap tient à la fois de la poésie et de la chanson.
Nous avons passé environ une heure et demie à décortiquer le rap, à déchiffrer son mystère, sa signification, à nous imprégner de son rythme. À partir de notre compréhension de son sens littéral, ainsi que des images et symboles employés, nous avons pu commencer à trouver des équivalents français.
Je peux vous dire, avec une immense satisfaction, que le rap français, affiché ultérieurement sur Internet, était de toute beauté, un petit joyau qui rendait justice au texte de départ, sans sentir la traduction et sans être une « belle infidèle ».
Ma professeure de français à l’école secondaire avait, elle aussi, une devise, tirée du Cid de Corneille : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » Quarante ans plus tard, je demeure plus convaincu que jamais qu’elle avait parfaitement raison.
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