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Affecter serait un anglicisme sémantique (Colpron) et les équivalents proposés seraient des verbes comme nuire à, peser sur, atteindre, toucher, influer sur. Il ne serait pas permis de dire : « La direction de l’entreprise a pris une décision qui [affecte] la plupart des employés. » « Cette taxe [affecte] soixante p. cent de la population. » « La grève [a affecté] le commerce. »
Plusieurs ouvrages de langue épousent ce point de vue. Les dictionnaires canadiens signalent tous le mot affecter au sens d’influencer et le classent parmi les anglicismes. Le Bélisle (« Ses explications n’ont pas [affecté] le vote du Conseil, »), le Beauchemin, le Dionne (« Rien ne saurait [affecter] mon vote à la Chambre. »), le Clapin « [Affecter] le vote, la délibération. »), le Glossaire du parler français au Canada, comme les ouvrages de l’abbé Blanchard et de Rinfret, l’enregistrent également comme anglicisme. Dunn fait cette distinction : « On dit à la Bourse : « Cette guerre [affecte] l’emprunt turc. » Influencer est moins fort, mais plus académique ».
En France, les condamnations sont plus mitigées. Le Dictionnaire de l’Académie française, le Littré, le Quillet, le Quillet-Flammarion, le Dictionnaire du français contemporain n’accueillent pas le verbe affecter en ce sens. Le Bénac fait remarquer qu’affecter ne se dit que d’impressions fâcheuses comme la douleur, les blessures d’amour-propre. Cependant, d’autres ouvrages enregistrent d’une manière ou d’une autre la forme suspecte. Le Trésor de la langue française signale le verbe affecter au sens de produire un effet sur quelqu’un ou quelque chose de manière à y déterminer une action ou une modification, et donne comme synonymes atteindre, impressionner, toucher. La deuxième acception d’affecter dans le Hatzfeld et Darmesteter est la suivante : « atteindre par quelque changement, comme dans la phrase » : « Cela n’empêche pas que la dette ne subsiste et n’affecte tout. ». Le Grand Larousse de la langue française donne, présumément comme exemple de bon usage, une citation de Victor Hugo : « Toutes ces différences n’affectent que la surface des édifices », et cette autre de Jean-Paul Sartre : « Il conçoit l’histoire comme une série d’accidents qui affectent l’homme éternel en surface. »
Nous avons dit que le Grand Robert n’atteste pas ce sens. Pourtant, lorsque ce dictionnaire définit le terme modification, c’est à l’aide du verbe affecter au sens qui nous intéresse ici qu’il le fait : « Changement qui n’affecte pas l’essence de ce qui change ». Dans son Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, Joseph Hanse, après avoir relevé les quatre principales acceptions du verbe affecter, note qu’on peut dire au figuré : « Cette discussion a affecté notre amitié. ». Il est normal, dit-il, de donner aussi à ce verbe un autre sens figuré (altérer) où l’on retrouve l’équivalent du sens propre. L’Encyclopédie du bon français dans l’usage contemporain de Dupré souscrit à cet avis. Enfin, dans Les maux des mots, le Comité consultatif de normalisation et de la qualité du français à l’Université Laval se demande si affecter peut prendre le sens de modifier un état de choses, la situation de quelqu’un, comme dans : « Vous ne serez pas affecté par cette réforme. ». Selon le Comité, cette phrase ne serait qu’une autre façon d’exprimer la même idée.
Les divers États membres de la Confédération canadienne ont chacun leur Loi d’interprétation. L’ensemble de ces lois se prête bien à une étude comparative. La loi du Nouveau-Brunswick commence par recourir à d’autres solutions : porter atteinte à, avoir un effet sur [8(1)b), c), d) et e), 8(3) et 8(4)], changer [22f)], mais finit par employer affecter dans la définition de l’expression acte de transfert à l’article 38. Bien que la loi de l’Ontario comme la loi fédérale évitent systématiquement affecter, la loi québécoise, elle, l’emploie sans hésitation aux articles 12 et 48.
Dans le corpus général des textes législatifs canadiens, le verbe affecter est employé avec certains compléments en particulier (bien-fonds, effet, emplacement, fonds, obligations, ordre, validité) et, grammaticalement, il est transitif direct au sens de viser (affecter les intérêts du demandeur) et transitif indirect au sens de grever (domaine affecté d’une hypothèque). Il cède le plus souvent sa place à des équivalents variés, dont une liste partielle suit :
Le verbe affecter ou ses équivalents donnent souvent lieu à des séries synonymiques issues du droit anglais :
En France, l’emploi du verbe affecter au sens étudié ici et faisant l’objet d’une grande suspicion au Canada est beaucoup plus généralisé; il est même systématiquement employé avec certains compléments (condition, droit, modalité, obligation, sursis, terme, transfert).
Le Nouveau Code de procédure civile renferme au moins trois occurrences : « (…) dont les intérêts risquent d’être affectés par sa décision. » (art. 27); « Les incidents d’instance sont tranchés par la juridiction devant laquelle se déroule l’instance qu’ils affectent. » (art. 50); « Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte : » (art. 117).
Dans les textes de doctrine consultés, les constructions grammaticales du verbe affecter peuvent être résumées ainsi :
Notons, enfin, que dans les actes européens, le verbe affecter employé dans l’acception qui nous occupe ici se trouve partout, notamment dans le traité constitutif de la Communauté économique européenne [46,1; 75,3; 80,2; 85,1].
L’unanimité est loin d’être faite sur le sens exact du terme affecter. La délimitation de l’aire sémantique est complexe dans la mesure où les dictionnaires de langue ne font pas tous le même constat.
Un certain usage canadien semble accepter l’emploi de ce verbe, dans les textes juridiques, au sens de produire un effet sur quelqu’un ou sur quelque chose. Condamné par des linguistes, banni de plusieurs dictionnaires, il est attesté par d’autres et largement employé en France tant dans les domaines de spécialité (mathématiques, linguistique, économie et droit) que dans l’usage courant.
Il n’y a pas lieu de maintenir l’interdit qui a longtemps frappé l’emploi du verbe affecter dans le sens figuré. Toutefois, on usera de ce verbe avec circonspection dans des textes non juridiques, où, comme le recommande Delisle, le rédacteur pourra faire preuve de créativité d’expression et puiser dans les ressources du français pour trouver l’équivalent susceptible de rendre avec finesse et élégance le sens à exprimer.
AFFECTER
Affecter (étymologie : "affectare" = rechercher avec ardeur)
S’efforcer de paraître, sens 1a).
« Il affecte de paraître savant. »
Affecter (étymologie : "afficere" = toucher, émouvoir)
Affecter qqn ou qqch.
Affecter de qqch.
(Algèbre.) Modifier une quantité.
« Il faut affecter cette série d’un exposant. »
avoir une incidence sur : « (…) l’avis du tribunal sur une question ayant une incidence sur les droits d’une personne. »
concerner : « Le tribunal peut trancher les questions en litige qui concernent les droits des parties à l’instance. »
intéresser : « Cette signification semble essentielle à la juste solution de l’affaire qui les intéresse. »
léser : « Une personne qui n’est pas partie à l’instance et qui prétend qu’elle risque d’être lésée par le jugement(…) »
porter atteinte à : « Sans que la procédure ne porte atteinte aux droits des réclamants entre eux. »
porter sur : « Lorsque la demande a pour objet l’interprétation d’un acte de transfert portant sur des biens réels ou personnels(…) »
toucher : « Les personnes touchées par l’ordonnance(…) »
viser : « L’injonction visant des biens situés au Nouveau-Brunswick(…) »
Autres équivalents : atteindre, avoir des effets préjudiciables, des répercussions, un effet, une incidence, changer (ou : ne changer en rien), faire obstacle, influer, influencer.
AFFECTER
Dans le langage du droit
Affecter (étymologie : "afficere" = toucher, émouvoir)
Viser qqch.
« La condition est une modalité qui peut affecter aussi bien les droits réels que les obligations. » « Modalités affectant le droit de propriété. » « Des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte. » « Les incidents d’instance sont tranchés par la juridiction devant laquelle se déroule l’instance qu’ils affectent. »
© Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ), Faculté de droit, Université de Moncton