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Le français juridique privilégie des formes d’expression propres à lui assurer sa spécificité. Curieusement, il puise bon nombre de ses procédés expressifs dans des formules figées, stéréotypées, définitives, dans des séries synonymiques (moins nombreuses, il est vrai, que celles de l’anglais juridique), dans des structures syntaxiques particulières, dans des locutions et expressions toutes faites, dans des idiotismes syntagmatiques qui, loin de paralyser l’énoncé dans une gangue, lui insufflent parfois un rythme que certains disent poétique, que d’autres qualifient de mnémotechnique.
Bien connaître ces tournures, recourir à bon escient à ces ressources linguistiques permet de formuler avec élégance les énoncés du droit, sans négliger la précision.
Il ne s’agit pas ici de dresser une liste exhaustive de ces formes d’expression, mais de faire porter l’attention sur une curiosité grammaticale fréquente dans les textes, l’omission de l’article.
Les cas où apparaît ce degré zéro de l’article sont variés. Ce peut être une préposition suivie du substantif (sauf avis, décret, erreur, cas; sous condition, peine, réserve, serment, tutelle; par ministère d’avocat, paroles, règlement, mise en commission; sur déclaration, paiement, avis, notification, paiement, délivrance, dépôt; contre paiement, remise; jusqu’à annulation; pour infraction; après lecture, proclamation); l’article peut être absent par ellipse, notamment dans des formules consacrées (outrage à magistrat), dans le style des notes marginales et des intertitres (assimilation à fonctionnaire) ou simplement devant l’adjectif indéfini (tous documents).
Outre les locutions verbales de la langue courante (par exemple, ajouter foi, donner effet, lieu, faire défaut, prendre à témoin, prêter serment), il y a lieu de relever certains mots plus spécifiques, les mots-actes du droit, soit des verbes de la terminologie juridique où s’agglutinent en quelque sorte des substantifs (mainlevée, décharge, renonciation, libération, possession) sans déterminants.
Souriaux et Lerat (Le langage du droit, P.U.F., 1975, p. 50 à 55) proposent une typologie des mots-actes, laquelle leur permet de les classer en performatifs (je donne pouvoir, je donne quittance), constatifs officiels (il a élu domicile, il se met en possession, il se porte garant) et décisions exécutoires, qu’elles soient normatives (expression de la loi ou de la réglementation) ou judiciaires (expression de décisions des tribunaux), qu’il conviendrait mieux peut-être d’appeler des déclaratifs. Sont dites performatives les constructions comprenant « le pronom personnel de la 1re personne et un verbe déclaratif-jussif au présent de l’indicatif », constatives officielles les constructions comprenant la troisième personne du singulier, au temps de l’énonciateur qualifié, et déclaratives, les constructions au présent et à la troisième personne, sauf dans le cas du nous officiel.
Empruntons-leur cette typologie pour y faire figurer toutes les locutions verbales juridiques ou parajuridiques que nous avons glanées çà et là et habituons-nous à omettre l’article dans les expressions et locutions juridiques qui suivent.
Performatifs : devoir (honneur, respect), donner (biens), jurer (fidélité), léguer (biens), prêter (serment), reconnaître (droit et compétence).
Constatifs : annexer (copie), contenir (obligation certaine), donner (ouverture), dresser (constat, inventaire, procès-verbal, protêt, quittance), élire (domicile), emporter (libération, renonciation), entraîner (déchéance), faire (appel, défaut, droit, foi, fraude, jurisprudence, mainlevée, mention, obstacle, opposition, remise), former (appel, opposition, partie, société), fournir (caution, copie), impliquer (renonciation), interjeter (appel), opérer (décharge, mainlevée, transfert), recevoir (communication), rester (partie commune), signifier (à domicile, à personne), valoir (décision, délivrance, déni de justice, dénonciation et citation, libération, mention, possession).
Déclaratifs : avoir (compétence, droit, force et effet, jouissance, quotité, voix prépondérante), (y) avoir lieu (à exécution provisoire), accorder (mainlevée), consentir (décharge), délivrer (congé), dénier (justice), donner (à bail, acte, avis, caution, décharge, droit, force exécutoire, pouvoir), exiger (restitution), faire (droit), porter (constitution, fixation, imposition, modification, octroi), prendre (acte, effet, possession et contrôle, rang), prononcer (mainlevée), rendre (compte, jugement, justice), se constituer (partie, avocat).
Combien de fois le traducteur apprenti ou le rédacteur frais émoulu de l’université ont-ils constaté avec surprise que la périphrase sur laquelle ils s’étaient littéralement consumés avait été rayée d’un beau trait de plume, à l’encre rouge ou bleue, au-dessus duquel n’apparaissait plus qu’un seul mot, lumineux, éclairant, tel mot-acte, venant ramasser leur style contourné et créer, comme par enchantement, l’effet tant recherché, l’effet Thémis : « En fait de meubles, possession vaut titre. ».
© Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ), Faculté de droit, Université de Moncton