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Juridictionnaire

clé / clef

  1. S’il est vrai, comme le dit le Dictionnaire de l’Académie française, que l’orthographe étymologique et ancienne clef et la graphie moderne clé s’emploient indifféremment, il faut s’empresser de préciser que l’orthographe moderne tend nettement à supplanter l’autre, laquelle, aujourd’hui, conserve un caractère historique ou littéraire. Il suffit pour s’en convaincre de consulter la plupart des exemples d’emploi du mot clé dans les dictionnaires généraux. Il est vrai que l’on trouve clé ou clef quand ce substantif n’est pas en apposition (fermer à clef ou à clés) ou qu’il est employé dans son sens concret (clés ou clefs de voiture). Dans des expressions figées, le même phénomène linguistique se produit : on écrivait jadis clefs du royaume, clef de voûte; de nos jours l’orthographe moderne semble l’emporter, et on prend maintenant la clé plutôt que la clef des champs et on possède une clé d’accès, beaucoup plus rarement une clef d’accès. Fausses clés ou fausses clefs, placer sous clé ou sous clef, contrat clés ou clefs en main (et sa variante belge clé sur porte).

    Que le mot soit pris dans son sens concret d’objet matériel ou dans son sens abstrait ou figuré, la bivalence orthographique, même si elle est présente dans les textes, le cède devant la prévalence de la graphie moderne. « Sont qualifiées fausses clefs, tous crochets, passe-partout, clefs imitées, contrefaites, altérées, ou qui n’ont pas été destinées par le propriétaire, le locataire, aubergiste ou logeur, aux serrures, cadenas, ou aux fermetures quelconques auxquelles le coupable les aura employées. » « Le juge ou le greffier peut, dans l’intérêt des parties et à la demande du créancier saisissant ou du gardien autre que le débiteur, autoriser ce gardien à enlever les effets saisis ou à saisir pour les tenir sous sa garde, mettre garnison ou les placer sous clé. » « C’est la nature unilatérale de l’obligation plutôt que la nature du contrat qui est la clé de l’interprétation stricte des options. »

  2. Les noms composés avec le vocable clé étant placés en apposition, la question se pose de savoir s’ils prennent le trait d’union ou non. La documentation consultée atteste nettement que l’usage est loin d’être fixé et que l’absence et la présence du trait d’union ne se justifient guère selon le sens puisque les occurrences relevées font apparaître le flottement et, parfois dans un même texte, l’hésitation manifeste. Le meilleur exemple est sans doute le montant clé à la règle 59 des Règles de procédure du Nouveau-Brunswick qui a les deux orthographes : sans trait d’union (règle 59.09), avec le trait d’union (aux tarifs « A » et « C »).

    Une règle commode peut permettre de dissiper tout doute et d’établir l’usage. Les noms composés à l’aide du vocable clé ne prennent pas de trait d’union si on accepte de considérer que chacun des deux substantifs conserve sa signification propre, clé ayant en l’occurrence le sens de déterminant, essentiel, central, de première importance. Ainsi, un arrêt clé est d’abord un arrêt, ensuite il est de principe, il fait jurisprudence : deux notions, deux unités de sens, donc, pas de trait d’union.

    La sûreté de la règle se confirme quand on insère un adjectif entre les deux substantifs; on constate alors qu’ils ne forment pas une unité de sens : événement temporel clé, d’où l’orthographe événement clé, facteur juridique clé, d’où facteur clé, disposition législative clé, d’où disposition clé, préjudice moral clé, d’où préjudice clé, et ainsi de suite.

    En ce cas, les deux substantifs étant en apposition, le second a une valeur adjectivale et, puisqu’ils forment ensemble deux unités de sens, les deux mots étant des substantifs, ils prennent la marque du pluriel. Questions clés, critères clés, points clés, principes clés, conditions clés d’admissibilité. Le féminin [clées] est un barbarisme à proscrire.

  3. Le procès joue un rôle clé dans l’administration de la justice. Dans un procès, le juge est la personne clé. En matière d’interprétation des contrats, les termes employés par les parties revêtent une importance clé. Une infraction comporte toujours des éléments clés. Une convention collective prévoit des articles clés concernant les rapports entre l’employeur et les employés. Le droit d’être à l’abri de toute intrusion ou ingérence, même nominale, constitue un principe clé en matière de vie privée. Des motifs clés peuvent influer sur la jurisprudence. Le droit des fiducies en common law est clairement exposé dans des ouvrages clés. La notion de flagrance – manquement flagrant aux règles de justice naturelle, le flagrant délit, l’inconduite flagrante, la dérogation flagrante au Règlement – constitue un concept clé en droit.
  4. Dans des emplois particuliers, certains vocables sont de véritables mots composés présentant une unité de sens telle que, si on sépare les deux éléments du mot, ils perdent tout leur sens, aussi les rencontre-t-on à juste titre avec le trait d’union. Tel est le cas, unique en français juridique suivant la documentation consultée, du terme mot-clé que l’on trouve dans les sommaires des décisions judiciaires. Des mots-clés. Nouveaux mots-clés. « Pour répondre à la question de savoir si le prix du marché est le guide le plus sûr qui permet d’établir la juste valeur marchande, le mot-clé est manifestement celui de ’valeur’. »

    La linguistique juridique puise dans le vocabulaire de la linguistique pour étudier les mots-clés du droit, qu’elle oppose aux mots-thèmes  : contrepartie et stipulation sont des mots-clés dans le droit des contrats.

  5. Au Canada, les sigles CLEF et CICLEF désignent respectivement la common law en français et le Centre international de la common law en français de la Faculté de droit de l’Université de Moncton.