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Juridictionnaire

enchâssé, ée / enchâssement / enchâsser

Il faut toujours mettre l’accent circonflexe sur le a du verbe enchâsser et de ses dérivés.

  1. Dans son emploi figuré et abstrait, le verbe enchâsser désigne le fait d’insérer (d’introduire, de mettre, d’ajouter) ou d’intercaler (d’insérer après coup et dans une série ou dans un ensemble constitué) une chose dans une autre. Cependant, on ne dit pas, en dépit d’un certain usage qu’enregistrent certains dictionnaires généraux, [enchâsser] un mot, une correction, une phrase dans un texte, une modification dans une disposition, une pensée dans une histoire, des faits, des détails, des précisions dans un témoignage, un passage, un extrait, une citation dans des propos, une résolution dans une recommandation, une observation ou une déclaration dans un affidavit, un article dans une loi, une formule dans un formulaire, une clause dans un contrat; on les y insère, on les insère dans ceux-ci. Ce qui est enchâssé est nécessairement d’une grande valeur ou d’une incontestable utilité par suite du sens originaire et concret du mot, qui se rapporte à la fixation d’une pierre précieuse, d’un diamant, dans une monture pour en faire un bijou.
  2. Le verbe enchâsser et ses dérivés nominal enchâssement et participial enchâssé, employés au figuré au sens d’inscrire des droits, des libertés et des garanties dans un texte sont des canadianismes fort répandus dans la phraséologie du droit constitutionnel. Enchâsser la Charte canadienne des droits et libertés dans la Constitution. Enchâssement des droits et libertés garantis constitutionnellement. Principes enchâssés dans la Loi constitutionnelle de 1982.

    Enchâsser, c’est prescrire expressément des droits dans un régime, un cadre constitutionnel. Enchâsser la notion de deux langues officielles pour le Canada et pour le Nouveau-Brunswick. « Cette proposition est inattaquable depuis la décision du Parlement d’enchâsser dans notre cadre constitutionnel une charte des droits et libertés et le principe que la Constitution est la loi suprême du pays. » « La Charte a pour but d’enchâsser certains droits et libertés fondamentaux et de les protéger contre toute atteinte législative. » « Retenir un tel argument aurait pour effet d’enchâsser dans la Constitution le pouvoir discrétionnaire absolu des juges de déterminer la peine appropriée. »

  3. Ces mots sont toutefois critiqués comme constituant des calques des métaphores anglaises auxquelles donne lieu le sens figuré des deux verbes anglais imagés dont les significations sont complémentaires : "to enshrine" et "to entrench". Le premier fait image religieuse (conserver religieusement, d’où, au figuré, faire partie intégrante de qqch. : « Nos droits fondamentaux font partie intégrante (are enshrined) de la Constitution. »), le deuxième, image militaire (fermement retranché, cantonné, d’où, au figuré, être solidement implanté, être bien ancré : « Le principe de la primauté du droit est fermement implanté dans la common law. »).

    Cet emprunt serait, dit-on, injustifié. On devrait remplacer avantageusement par une terminologie plus française un mot et ses dérivés qui, étant empruntés à des images anglaises, sont étrangers à ce que les linguistes appellent, terminologie critiquée elle aussi, le « génie » de la langue française.

    Ainsi, au lieu de dire que tel droit, à la manière d’une pierre précieuse, est enchâssé dans la Constitution ou que telle garantie, à la manière d’un bijou, s’y trouve enchâssée, il vaudrait mieux recourir à une formulation plus française d’inspiration et plus conforme à nos habitudes langagières.

    Ces droits et libertés sont constitutionnalisés, ils sont inscrits, consacrés, garantis dans la Constitution, une valeur ou une force constitutionnelle leur étant donnée, conférée, ils sont élevés, haussés au rang de règles constitutionnelles, à la dignité constitutionnelle. Cette phraséologie serait adéquate pour équivaloir à l’image d’inspiration religieuse ("to enshrine"); une partie de celle-ci (constitutionnaliser, rendre constitutionnel, inscrire), à laquelle vient s’ajouter des verbes ou des locutions verbales tels que fixer, figurer dans, faire partie intégrante de (et non [insérer], [intégrer], [consacrer], [inclure], [reconnaître] et [ériger]), correspondrait à l’image d’inspiration militaire ("to entrench").

  4. Dire du principe de l’indépendance judiciaire, d’un droit issu de traité, du concept d’égalité qu’ils sont enchâssés dans la Constitution, pour faire image, peu importe son origine, ou qu’ils sont inscrits, consacrés, garantis dans celle-ci ou qu’ils sont constitutionnalisés, pour employer une langue moins ornée, moins concrète, plus neutre, plus abstraite, est affaire de style.

    Il importe plutôt de dénoncer les emplois d’enchâsser et de ses dérivés dans des contextes où l’image paraît incongrue, nullement évocatrice au point de sembler factice, fausse, inadéquate ou forcée. Dire de la règle de l’atténuation du préjudice qu’elle est [enchâssée] dans la jurisprudence, que le principe de l’enrichissement sans cause est fermement [enchâssé] dans le droit canadien ou qu’une condition d’autorisation est [enchâssée] dans un principe constitutionnel relève beaucoup plus d’une mauvaise habitude langagière, d’une maladresse de l’expression et d’un style boiteux ou, dans l’activité traduisante, d’une servilité à la langue de départ et d’un automatisme de la pensée que de l’incorrection et de l’écart linguistique.

  5. Insérer, incorporer dans la Constitution sont des tournures (employées pour éviter enchâsser) qui ne se justifient linguistiquement que si on entend dire que la Charte, par exemple, a été matériellement insérée dans la Loi constitutionnelle de 1982 en tant qu’annexe 1 B; ces verbes ne peuvent s’employer à propos de droits, de libertés, de garanties, de principes, de protections constitutionnalisés. La même explication vaut pour le syntagme Charte constitutionnelle.