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Par l’emploi du participe passé censé, l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi » crée-t-il une présomption ou une fiction? Si, dans une définition légale, le législateur canadien assimile à Sa Majesté les sociétés d’État et les établissements publics ou s’il assimile à une chose une autre chose qui ne peut lui être assimilée dans la réalité de tous les jours, entend-il adopter une présomption ou une fiction? S’il déclare dans la formule introductive d’une loi : « Sa Majesté, sur l’avis et du consentement de l’Assemblée législative, édicte : », entend-il présumer que c’est Sa Majesté (et non l’Assemblée législative) qui édicte la loi ou invente-t-il une fiction?
La fiction s’élabore au moyen de définitions, de classifications et de constructions intellectuelles, de catégories juridiques, de présomptions et de prescriptions. Argument de fiction. Les tribunaux d’equity ont créé de nombreuses fictions, telle la fiducie, comme recours, laquelle est fondée sur la fiction voulant que le détenteur du titre de propriété en common law le détienne en son nom propre et au nom d’une autre personne qui, autrement, serait privée d’une part des biens.
En common law, la contrepartie fictive dans le droit des contrats ("invented consideration"), forgée, inventée par les tribunaux, tient lieu de contrepartie effective; on peut évoquer également l’exemple de la promesse fictive ("fictitious promise") ou celui de la saisie fictive ("constructive seizure") en droit commercial, ou encore, dans le droit des biens, la délivrance fictive ("constructive delivery") par opposition à la délivrance effective ("actual delivery"), diversement qualifiée de délivrance de droit ou de délivrance feinte, non attestée, imputée, intellectuelle ou théorique.
Dans la jurisprudence américaine du droit maritime privé, la doctrine de la présence fictive ("doctrine of constructive presence") permet de considérer que la simple présence d’une embarcation du navire suspect dans la mer territoriale suffit pour donner à bon droit la chasse au navire lui-même se trouvant à l’extérieur des limites de la mer territoriale.
Dans le droit international de la délimitation maritime, le principe de la disproportion des longueurs des côtes constitue, en grande partie, une fiction.
Procédé de technique juridique, la fiction consacre dans la norme qu’elle prescrit une situation impossible. Tel est le cas de la reconnaissance de la personnalité morale pour faciliter l’exercice collectif de certaines activités ou celui de la continuation de la personne du défunt dans son héritier le plus proche pour faciliter la bonne administration du patrimoine. « Par une fiction légale selon laquelle les héritiers continuent la personne de leur auteur, ceux-ci sont, comme lui, tenus de payer ses dettes sur leurs biens personnels. Cette fiction, qui ne vaut d’ailleurs qu’à l’égard des héritiers légaux, demeure essentiellement destinée à assurer la protection des droits des créanciers du défunt. »
La plupart des auteurs s’entendent pour dire que la mission confiée au tribunal de trouver l’intention du législateur et sa vocation à se limiter à dire le droit (oubliant qu’il est aussi producteur et créateur de droit) constituent des fictions.
Dans les matières que régit la common law, l’argument de fiction permet de rappeler au tribunal que le mot loi, par exemple, doit être entendu au sens des règles de fiction produites par les précédents judiciaires anglais reçus en droit canadien de même que par les précédents canadiens ou par le législateur.
D’un certain point de vue, la présomption est un raisonnement, une opération intellectuelle qui permet, par déduction, de tirer de faits connus et non discutés la preuve de faits contestés. En ce sens, on parle de l’argument de présomption.
D’un autre point de vue, c’est une règle de droit, d’origine législative ou judiciaire, par laquelle l’inférence d’un fait connu permet de supposer qu’un fait présumé existe tant que cette présomption n’aura pas été réfutée. En ce sens, la présomption est un mode de preuve indirecte visant à établir l’existence d’un fait inconnu à partir d’un fait connu. L’argument de présomption devient une conséquence juridique que la loi tire d’un fait connu pour établir un fait inconnu ou contesté. Cette preuve indirecte invoque la présomption comme principe de droit : par exemple, la présomption d’imputabilité en matière d’accident du travail et la présomption d’innocence en matière pénale sont des principes de droit.
La common law connaît, par exemple, dans le droit des fiducies, la fiducie par présomption ("presomptive trust"), cette présomption légale étant que la fiducie a toujours été envisagée par les parties : l’intention nécessaire se trouve dans la nature de l’opération et non dans la teneur de l’acte formaliste lui-même, à laquelle il convient d’ajouter la présomption de fiducie réversive ("presumption of resulting trust"). Autres exemples : dans le droit des délits, la négligence par présomption ("presumptive negligence"), encore appelée négligence présumée, qu’il ne faut pas confondre avec la négligence imputée ("imputed negligence"); dans le droit de la preuve en régime de common law, la présomption de régularité ("presumption of regularity") et, en droit successoral, la présomption d’avancement d’hoirie ("presumption of advancement") et la présomption légale de survie ("presumption of survivorship", encore appelée "right of survival"), qu’on rapprochera de la théorie des comourants (se reporter à l’article COMMORIENTES) : si deux ou plusieurs personnes ayant même vocation successorale périssent dans un accident ou dans une catastrophe, il y a présomption que l’une a survécu aux autres; c’est la personne la plus âgée qui sera présumée être décédée la première.
Prenant appui sur le fait connu (s’agissant de la présomption légale de la possession d’état en régime civiliste, les faits constatés relativement aux rapports ou aux relations ayant existé entre une personne et celle dont elle dit être le fils ou la fille), la présomption permet de dispenser le demandeur de devoir établir l’existence d’un autre fait, celui-là inconnu (dans cet exemple, la filiation naturelle d’une personne), la preuve directe du fait de la filiation naturelle étant impossible à rapporter.
En matière de preuve judiciaire, des présomptions pourront être opposées ("conflicting" ou "inconsistent presumptions") : on les qualifiera de contradictoires, de contraires ou d’incompatibles, ou successives ("successive presumptions").
L’adoption de fictions et de présomptions juridiques vise notamment à assurer une bonne administration de la justice en justifiant l’utilité du recours en justice. « La province de Terre-Neuve-et-Labrador a affirmé que le renvoi au droit international des limites maritimes dans le présent litige entre les provinces ne pouvait être utile que si on adoptait une fiction juridique et une présomption juridique, la fiction juridique étant que les parties au litige sont des États souverains, la présomption juridique étant que les parties au litige sont ou bien identiques, ou bien en grande partie semblables à celles auxquelles s’applique le droit international de la délimitation maritime, soit la mer territoriale, le plateau continental ou la zone économique exclusive, le cas échéant. Autrement, selon elle, l’exercice conduirait à une impossibilité logique. »
Il existerait, selon des auteurs, deux types de présomptions légales : la présomption – concept (induction servant à créer une règle de fond qui permet ensuite d’en déduire l’application à des cas particuliers) et la présomption – preuve (établie par le législateur à partir de plusieurs faits particuliers en vertu desquels il a pu tirer une conséquence juridique par la corrélation entre les faits).
Si la présomption est créée ou admise par une disposition expresse de la loi, elle est dite (d’origine) législative et se distingue en droit anglo-normand de la présomption de ou en common law.
La présomption qui tire son origine du juge, qui émane des tribunaux ou de la jurisprudence est qualifiée de judiciaire : par exemple, la présomption de la personne raisonnable en common law, référence traditionnelle comparable à celle, maintenant ancienne, du bon père de famille en droit civil.
Par ailleurs, le tribunal peut décider que le fait qu’une personne refuse de concourir à l’administration de la preuve constitue une présomption de reconnaissance du bien-fondé de la prétention de son adversaire. La présomption judiciaire est dite encore présomption de fait et présomption du fait de l’homme, ou mieux, du fait du juge. Elle repose sur des indices matériels qui permettent de prouver que des actes ont été accomplis ou que des faits se sont produits. Elle n’est admise que dans les cas de recevabilité de la preuve testimoniale. Ce genre de présomption découle d’un raisonnement par induction que tient le juge saisi pour pouvoir se déterminer.
Dans cette perspective définitoire, on considère la présomption irréfragable et la présomption irréfutable comme relevant d’un procédé technique qui dispense de présenter un moyen de preuve (par exemple, en régime civiliste, on suppose que les parents du donataire incapable de recevoir à titre gratuit sont des personnes interposées), tandis que la présomption réfragable et la présomption réfutable constituent un mode de preuve.
La qualification de la fiction s’opère par l’emploi soit de la préposition contre (catégorie des fictions contre l’histoire ou contre l’historique ou encore contre les antécédents des parties, par exemple la fiction de l’accomplissement de la condition rattachée à une obligation lorsque son débiteur en empêche la réalisation, les fictions contre la science : par exemple, la distinction créée entre les biens meubles et les biens immeubles, entre les biens réels et les biens personnels), soit d’un participe présent (fictions permettant d’attribuer ou de modifier la personnalité : par exemple, l’attribution fictive d’une personnalité morale à des personnes physiques formant un groupe, à des masses de capitaux, l’attribution des avantages de la personnalité à l’enfant conçu mais non encore né quand son intérêt patrimonial l’exige ou encore la transmission de la personnalité d’un défunt à ses héritiers de manière à ce qu’ils soient saisis de son patrimoine dès son décès), soit d’une locution prépositive : fictions à l’encontre de la logique (elles portent atteinte au principe d’identité ou de causalité : le paiement subrogatoire est une fiction qui permet de redonner vie à une créance qui serait éteinte par le paiement, sans autre cause que la volonté du législateur; aussi, la rétroactivité légale fait affront à la logique en faisant agir une cause avant même sa naissance : par exemple, la rétroactivité de la condition accomplie au jour de la passation de l’acte entre les parties et celle des effets de la séparation des biens des époux au jour de la demande de séparation). Une situation ou une opération juridique est présentée comme une fiction : « La représentation, comme le veut la loi, est souvent présentée comme une fiction dont l’effet est de placer le représentant à la place, au degré de parenté et dans les droits qu’aurait eus le représenté. »
La présomption est désignée, énoncée, contenue, posée, puisée dans un texte : par exemple, les présomptions de propriété sont énoncées au contrat de mariage. Elle est admise lorsque la preuve contraire peut être produite à son encontre. Le tribunal juge sur des présomptions. L’appréciation des présomptions est subordonnée au pouvoir souverain du juge. Une présomption existe (dans une loi, dans une affaire). Elle fait foi d’un fait par une conséquence tirée d’un autre fait. Elle peut être constatée à première vue ou prima facie : « Dans la présente espèce, il existe une présomption prima facie de dépendance économique. » Elle est établie par un texte (« La présomption légale établie par une disposition expresse de la loi constitue une dispense de preuve. ») ou par un fait juridique (« La possession établit une présomption de propriété. »).
Elle s’attache à un fait ou à une personne : « La présomption légale est attachée par une loi spéciale à certains faits. » « La présomption de filiation paternelle s’attache à la naissance d’un enfant survenue au foyer d’un couple de personnes mariées. » On bénéficie d’une présomption; on la pose, on l’invoque. On lui oppose une preuve contraire. Elle est écartée lorsque la disposition de la loi prévoit qu’il n’y a pas présomption : « La remise des copies, extraits, titres ou actes quelconques n’est pas une présomption (= ne constitue pas présomption) de paiement des frais et honoraires du notaire. »
On la repousse, on la contredit, on la combat, on l’attaque, on la renverse, on la fait évanouir, on la détruit lorsque, s’agissant d’une présomption simple ou réfragable, on peut présenter à son encontre une preuve contraire. On la fait tomber devant la présentation d’une preuve irrésistible, un aveu 1 par exemple.
Une présomption peut être faible ou forte. Étant absolue ou irréfragable, elle est irréfutable, inattaquable, indestructible; dans le cas contraire, elle est réfutable, attaquable, destructible.
La présomption a ou produit des effets à l’égard de quelqu’un (des tiers, par exemple) aussi bien que dans les rapports entre sujets de droit, entre époux par exemple. Ici, on dira, à propos de la propriété des biens matrimoniaux, qu’elle désigne les biens appartenant à l’époux ou à l’épouse.
Elle joue, on la fait jouer, ce verbe étant fréquent dans la phraséologie de la présomption. Faire jouer en faveur du parent gardien la présomption en matière de garde. Dans le droit de la consommation, la présomption de bonne foi ne joue pas afin de protéger le consommateur. Par conséquent, un vendeur qui se dit professionnel (ou tout professionnel traitant avec un consommateur) sera présumé ne pas pouvoir ignorer les vices de la chose qu’il a vendue.
"Alleged" signifie prétendu, selon ce qu’on prétend. Ce qu’on appelle "alleged offence" est une infraction prétendue ou une prétendue infraction (selon les prétentions de la partie demanderesse, qui restent à prouver ou à repousser) et non une infraction [présumée] (dont on suppose, en s’appuyant sur les faits connus, qu’elle a bel et bien été commise). On peut tourner autrement, notamment par l’emploi du conditionnel : l’infraction prétendue est l’infraction qui aurait été commise. Il en est de même pour l’infracteur : il y a tout un monde entre l’auteur prétendu ou le prétendu auteur et l’auteur présumé.
© Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ), Faculté de droit, Université de Moncton