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Juridictionnaire

justifier (de)

  1. Dans le discours juridictionnel, le verbe justifier suivi de la préposition de s’emploie au sens qu’il a dans la langue usuelle, soit celui d’apporter, de rapporter, de présenter, de produire la preuve d’une chose pour en montrer la régularité, la nécessité, la vérité, la légitimité, le bien-fondé. Toutefois, de transitif direct il devient, par effet de style juridique, dit effet Thémis, intransitif et, de sens large, il acquiert un sens étroit en limitant surtout à des éléments matériels la preuve nécessaire aux besoins de la justification. Justifier de ses pouvoirs, de ses capacités, de son habilitation, de sa procuration, de son autorisation, de son mandat, de son intérêt.

    La production des éléments de preuve propres à la justification suffisante sont, selon le cas, un justificatif, des pièces justificatives, des documents authentiques, autrement dit tout élément de preuve matériel valable. Justifier de ses dépenses (au moyen de reçus), de son identité (en produisant son passeport), de sa qualité (à l’aide d’un certificat, d’une attestation ou d’un titre), d’un dépôt 1 et 2 (en présentant un récépissé), d’un acte hypothécaire (en produisant copie du certificat d’enregistrement), de son honorabilité professionnelle (en joignant à sa demande une déclaration sur l’honneur). « Lorsqu’il justifie de trois années de résidence régulière en France, l’apatride statutaire bénéficie de plein droit d’une carte de résident d’une durée de validité de dix ans. »

    Ainsi, lorsqu’on est appelé à justifier de qqch., il suffit de fournir une explication claire et précise, de produire une motivation satisfaisante, le tout sous forme de preuve matérielle, toute idée d’argumentation ou de défense étant absente.

  2. Il reste à faire apparaître la nuance sémantique qui distingue le verbe justifier comme intransitif de deux autres verbes de la langue du droit identiquement construits et quasi-synonymes : arguer et exciper 1 et 2.

    Le verbe arguer de signifie soit avancer une proposition ou un fait comme prétexte, donner comme excuse ou énoncer comme argument (arguer de sa bonne foi, arguer de l’illégalité d’une disposition, arguer de l’autorité de la chose jugée). Comme lui, le verbe exciper de s’accompagne de compléments similaires (exciper de la force majeure, d’une incompatibilité législative, d’une décision favorable). Arguer et exciper ont le sens d’invoquer, d’argumenter et de plaider et connotent, contrairement au verbe plus neutre justifier, l’idée d’une défense énergique ou véhémente et d’un élément de conviction dans le cadre d’une argumentation ou d’une plaidoirie.

    Exciper de qqch. se dit plus précisément de l’acte qu’accomplit l’excipant lorsqu’il invoque une autorité, un argument pour sa défense, qu’il la fonde sur un principe de droit reconnu, qu’il fait état d’une défense, qu’il allègue un fait ou qu’il soulève une exception. Le plaideur excipe de son bon droit et le juge excipe de son incompétence.

    Si arguer de se dit dans le contexte d’une argumentation et exciper de dans celui de l’invocation d’un moyen de défense, justifier de s’emploie quant à lui dans le contexte d’une preuve produite pour établir la régularité d’une situation ou la légitimité d’une demande, toute défense ou toute argumentation étant ainsi exclue de son aire sémantique.

  3. Il importe de signaler que le sujet du verbe justifier aux sens de disculper 1 et 2, de faire admettre et de prouver ou d’expliquer peut être une personne, ce qu’il est le plus souvent, ou une chose. « Les témoins oculaires ont justifié le prévenu de toute inculpation éventuelle. » « Le bien-fondé de ses remarques a justifié à souhait son intervention. » « Il a tenté vainement de se justifier et de nous convaincre. »

    Toutefois, le sujet du participe passé à la forme passive (être justifié de) suivi d’un verbe ne peut jamais être une personne. C’est commettre un anglicisme que de dire que telle personne – physique ou morale – était justifiée d’accomplir tel acte ou d’ordonner la prise de telle mesure, quand il faut dire, plutôt, qu’elle avait raison, de bonnes raisons, qu’elle était en droit de l’accomplir ou de l’ordonner, qu’elle l’avait accompli ou ordonnée à juste titre, qu’elle était autorisée, qu’elle se croyait autorisée, qu’elle était habilitée à l’accomplir ou à l’ordonner. « La cour a conclu que l’employeur était justifié de le congédier. » (= était fondé à le congédier, l’a congédié à juste titre). En pareil cas, c’est la tournure impersonnelle qui est adéquate et correcte : il était justifié pour l’employeur de le congédier.

  4. Il faut garder à l’esprit la nuance de sens qui distingue les verbes transitifs directs justifier et disculper. Ce qui disculpe un accusé permet, dit-on en droit criminel canadien, de prouver hors de tout doute raisonnable son innocence, tandis que ce qui le justifie permet d’affirmer qu’il a fait ce qu’il a dû faire dans les circonstances. Alors que l’acte de disculpation oblige à plaider le fait, l’acte de justification oblige à plaider le droit, pour paraphraser Paul Dupré.