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Mais le juge a aussi vocation à rendre justice; c’est là une obligation, un devoir, ce à quoi il est strictement tenu. Mission et vocation seraient-ils de parfaits synonymes?
La tâche confiée au droit d’édicter des règles de vie sociale, d’établir un ordre, un ordonnancement juridique est-elle une mission ou une vocation? Car ce rôle qu’il assume de régler les comportements humains dans la vie civile, d’élever ses sujets dans le respect de sa règle, ne peut être conçu autrement que comme une fonction.
Dernier exemple : les codes de déontologie professionnelle disent que l’avocat a pour mission de s’acquitter avec probité de ses devoirs envers ses clients, le tribunal, ses confrères et le public, de fournir avec compétence des services juridiques qu’il a entrepris pour son client, de conseiller son client avec franchise et honnêteté, d’occuper pour lui de garder le secret le plus absolu sur ce qu’il sait des affaires de ses clients, de ne pas conseiller ou représenter des intérêts opposés, sauf consentement de ses clients, et de ne jamais laisser ses fonctions externes compromettre son intégrité, son indépendance ou sa compétence professionnelle. Ce sont là des règles de déontologie, des principes qui balisent sa mission, qui la définissent; mais font-elles état de sa vocation aussi? Ne peut-on fort bien dire de l’avocat qu’il a pour vocation de défendre les intérêts des justiciables?
Cette vocation est au cœur de l’exercice de sa profession. Elle consiste à fournir à une société en constante mutation les services juridiques qu’elle attend de lui. L’essence de sa vocation réside dans la responsabilité qui lui est impartie d’éclairer le citoyen, avec une intégrité totale et une franchise absolue, sur l’obscurité des lois et sur la réalité de ses droits et de ses intérêts.
La vocation de la règle de droit (et non sa [mission]) est de s’appliquer à tous (en général) ou à un groupe d’individus (en particulier). Mais certaines règles, dira-t-on, ont vocation (et non [mission]) de principe, et d’autres ont valeur d’exception. L’exception est une règle aussi puisqu’elle a vocation (et non [mission]) à saisir une série de cas. La vocation générale de la règle se traduit dans le temps : elle a pour vocation de régir le présent aussi bien que l’avenir.
La mission évoque un rôle à exercer (ce qui explique la fréquence d’emploi du mot au pluriel : on parle de la multiplicité, de la pluralité, de la diversité des missions de l’avocat), une tâche à accomplir, un projet à réaliser, une démarche à entreprendre, dans l’immédiat ou à long terme : la mission implique l’action.
La vocation revêt une connotation de conformité à la perfection, au but, à la norme. C’est un appel à l’engagement, un idéal à réaliser, une destination envisagée dans sa finalité. Elle comporte l’idée d’une éventualité, d’une actualisation en progrès, d’une existence virtuelle. Spécifiquement, dans la sphère juridique, la vocation est un état, mais aussi un droit éventuel, un droit qui existe à l’état latent (par opposition à un droit né et actuel), un droit dont l’exercice est subordonné à la survenance d’un fait juridique, d’un événement qui l’actualisera : vocation successorale ou héréditaire; vocation alimentaire, vocation aux aliments; vocation réservataire. « Le droit aux aliments existe d’abord, à l’état latent, comme un droit éventuel attaché à la parenté ou à l’alliance. Cette vocation existe entre des personnes que détermine la loi. »
Est vocation ce qui est potentiel, virtuel, ce qui n’est qu’en puissance, en réserve. On comprend, alors, que des expressions telles que [vocation éventuelle], [vocation latente], [vocation potentielle], [vocation virtuelle] sont effectivement des pléonasmes vicieux.
Une vocation est unilatérale ou réciproque, indisponible (on ne peut y renoncer), perdue (en cas de faute). On dit qu’elle donne droit, qu’elle ouvre le droit à quelque chose, qu’elle est placée sur la tête de son bénéficiaire. Elle a un sujet actif (le créancier de la vocation) et un sujet passif (le débiteur de la vocation), et, donc, un titulaire, un bénéficiaire.
Il y a ramification, hiérarchisation, rétrécissement de la vocation, laquelle a un objet et un régime. « Familiale quant aux personnes, la vocation alimentaire tire son nom de son objet. Elle donne droit à des aliments. La finalité primordiale qui ressort de cet objet gouverne tout le régime de la vocation aux aliments. »
La vocation étant associée à un devoir, à une obligation, aussi parle-t-on indifféremment de la vocation alimentaire et du devoir ou de l’obligation alimentaire ou aux aliments, dans l’optique d’une éventualité. La vocation attend pour être mise en œuvre la survenance d’un événement : le besoin d’aliments (vocation alimentaire) pour l’une, la mort pour l’autre (vocation successorale). La vocation s’éteint lorsque le besoin n’a plus de bénéficiaire. « Destinée à faire vivre son titulaire, la vocation alimentaire s’éteint nécessairement au décès de celui-ci. » Le contraire s’applique à la vocation successorale, qui s’actualise au moment du décès du testateur.
Au sens strict, la vocation serait le générique et la mission, le spécifique. Par exemple, la vocation naturelle du juge (son office) comprend notamment une mission particulière – soit celle qui lui est spécialement conférée (sa fonction) – de conciliation des parties. En ce sens, on peut dire que cette mission entre dans sa vocation. Ce sont les parties qui investissent le juge d’une mission; sa vocation, il la tient exclusivement de sa charge elle-même.
Toutefois, pris au sens large de fonction générale, les deux termes s’emploient de façon interchangeable. « Lorsqu’il est ainsi régulièrement constitué amiable compositeur, le juge a mission (pouvoir et devoir) de statuer ex aequo et bono : il lui demeure permis de trancher le litige par application des règles de droit, mais il acquiert spécifiquement vocation à écarter, en l’espèce, l’application du droit, pour donner au litige une solution équitable, si l’application stricte du droit lui paraît, dans le cas, engendrer des résultats iniques : cette dispense légitime est l’effet spécifique de l’amiable composition, mission calquée sur celle qui peut être confiée à l’arbitre. »
Constructions fréquentes : entrer dans la mission. « Il entre dans la mission du juge de concilier les parties. », tenir une (sa) mission : par exemple, le mandataire tient sa mission du mandant, donner mission : « La convention d’arbitrage donne mission à l’arbitre de trancher tout différend survenu entre les parties. », recevoir mission : par exemple, on peut recevoir de la loi, d’un jugement ou d’une convention mission de gérer des biens ou d’accomplir tout acte d’administration, c’est-à-dire qu’on en a le pouvoir et le devoir.
On est nommé, désigné, élu avec mission de faire quelque chose. « Le curateur a été nommé par le tribunal avec mission d’administrer et de liquider la succession déclarée vacante. » Remise d’un effet de commerce avec mission d’en encaisser le montant.
On peut être chargé d’une mission ou demander d’en être déchargé. Durée d’une mission temporaire. « Les avocats peuvent être chargés par l’État de missions temporaires même rétribuées, mais à la condition de ne faire pendant la durée de leur mission aucun acte de leur profession, ni directement ni indirectement. » « L’avocat collaborateur d’un autre avocat peut demander à ce dernier de le décharger d’une mission qu’il regarde comme contraire à sa conscience ou à ses conceptions. » On peut aussi refuser une mission, la décliner : par exemple, le déport est l’acte par lequel l’arbitre décline la mission que les parties lui confient dans leur convention d’arbitrage.
Une mission incombe à quelqu’un. « La mission incombe au procureur général de déterminer l’opportunité d’intenter des poursuites publiques. » Cette personne s’en trouve investie : par exemple, l’arbitre est investi par les parties de la mission de trancher des litiges déterminés qui opposeront celles-ci. « Tout le progrès du système pourra consister à faciliter l’accès du plaignant auprès de la justice pénale et même, à l’extrême limite, à investir un fonctionnaire de la mission de poursuivre les infractions. » Tiers investi d’une mission d’évaluation.
Une mission est confiée à quelqu’un : par exemple, les parties contractantes peuvent confier à un tiers la mission de déterminer un élément nécessaire à la formation de leur contrat.
On dit d’une mission qu’elle est dévolue ou qu’il y a dévolution de mission quand, par exemple, l’appel qu’on interjette produit un effet dévolutif en ce qu’il confie à la juridiction d’appel mission de statuer à nouveau sur les points demeurés en litige que renferme la décision attaquée.
Exemples de syntagmes verbaux : accepter, accomplir, accorder, assigner, assumer, attribuer, confier, conférer, effectuer, entreprendre, exécuter, exercer, réaliser, recevoir, remplir une mission, charger, hériter, s’acquitter, se décharger d’une mission.
Exemples de syntagmes adjectivaux : mission administrative, conventionnelle, consultative, déterminée, expertale, générale, hors-série, indépendante, judiciaire, juridictionnelle, légale, limitée (dans son objet), occasionnelle, officielle, officieuse, particulière, permanente, ponctuelle, principale, prioritaire, réglementaire, restreinte, spéciale, statutaire, temporaire.
Exemples de syntagmes nominaux : mission d’assistance, de consultation, de représentation de l’avocat, de conseil et de contrôle du curateur, d’évaluation de l’expert, de garde de l’attributaire, de service public de l’autorité gouvernementale, de gestion du tuteur, de représentation du mandataire.
La construction avoir pour vocation de est d’un emploi courant. « Le système canadien de soins de santé a pour vocation d’être universel, transférable, complet et financé et administré par l’État. »
Le mot vocation forme aussi la locution ouvrir vocation à, laquelle peut être suivie d’un substantif ou d’un infinitif. Elle signifie donner droit à. « La succession ouvre vocation à acquisition par décès et à titre universel. » « La représentation ouvre vocation au successible qui n’est pas du degré le plus proche à recueillir la part qu’eût obtenue son auteur prédécédé. »
© Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ), Faculté de droit, Université de Moncton