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Juridictionnaire

nu, ue / nu-, nue- / nudité

  1. Est nue la personne qui n’est pas vêtue; elle est dévêtue, sans vêtements. En droit, ce qui est qualifié de nu (exception faite du droit artistique) est dépouillé de certains ou de tous attributs. Sa nudité juridique, quoique partielle, est réelle. La métaphore de la nudité sert à qualifier tout ce qui est dépourvu du nécessaire pour assurer la confirmation ou la validité d’un acte ou d’une chose, ce qui manque des conditions jugées obligatoires, ce qui est incomplet, limité ou simple.

    Grammaticalement, l’adjectif nu qualifie de deux manières le substantif qui l’accompagne : il peut être postposé (il le suit) ou antéposé (il le précède). Dans ce dernier cas, il est séparé de lui, dans l’orthographe dominante, par un trait d’union, contrairement à la recommandation de Littré et d’autres lexicographes, qui enregistrent un usage ancien que l’on abandonne aujourd’hui.

    Le bon usage veut qu’on laisse l’adjectif invariable dans les locutions adverbiales, mais tel n’est pas le cas ici. L’invariabilité de nu formant avec le substantif une expression figée de la langue juridique n’a pas prévalu. Particularité de la langue, l’adjectif nu s’accorde en genre et en nombre avec le substantif qu’il qualifie : il s’associe avec lui pour former un terme ayant une unité de sens et devient locution substantive : une nue-propriété, des nues-propriétés; un nu-propriétaire, des nus-propriétaires.

  2. Au sens concret, on dit d’un bien, d’un fonds (non d’un bien-fonds), d’un terrain qu’il est nu pour signifier qu’il est vague, qu’il est non construit, c’est-à-dire qu’aucune construction n’est érigée sur son sol, que le terrain est constructible, qu’il est à bâtir, qu’il n’est pas viabilisé. Association condominiale de terrain nu. Achat d’une unité de terrain nu. Terrain nu cadastré, clôturé de murs. Condominium de terrain nu.
  3. Au sens du droit commercial, la personne qui achète un titre nu n’acquiert que la charge, non la clientèle; l’achalandage est exclus. Le titre nu n’est pas compris dans le fonds de commerce.
  4. En droit civil, plus précisément dans le droit de l’usufruit, le nu-propriétaire n’est titulaire que du droit limité de disposer de la chose grevée d’usufruit, de l’aliéner, tandis que le tiers usufruitier n’est pas nu, mais vêtu des deux autres attributs du droit de propriété qui lui ont été cédés : les droits d’usage et de jouissance des fruits et revenus du bien sujet à usufruit. Aussi définit-on la nue-propriété (nuda proprietas en latin) comme un droit réel (il porte sur la chose) principal (il porte directement sur la chose) qui est démembré (l’analyse juridique moderne qualifierait plutôt le droit de propriété de limité plutôt que de démembré). Dépouillé de la pleine propriété, le nu-propriétaire n’a plus que ce droit de propriété amputé. Cette règle est tirée de la maxime latine Proprietas nuda est proprieta deducto usufructu : la nue-propriété est la propriété dont on a déduit l’usufruit.

    En droit successoral, on appelle conseil nu ou simple conseil la disposition testamentaire qui est dépourvue de la force obligatoire de l’ordre; elle se limite à la simple expression, non de dernières volontés, mais d’un conseil ou d’un souhait.

  5. Dans le droit des fiducies en régime de common law, le nu-fiduciaire ("bare", "dry" ou "naked trustee") est fiduciaire d’une fiducie nue ou passive ("passive" ou "simple trust"). Sa seule obligation est de remettre au bénéficiaire de fiducie ("cestui que trust"), le moment venu ou sur demande, les biens dont il était dépositaire. Il est dit nu parce qu’il est simple fiduciaire, il n’est revêtu que d’un seul pouvoir et d’aucune obligation active. Sa tâche étant accomplie, il peut recevoir du bénéficiaire instruction de lui délivrer les biens objet de la fiducie.

    Société nue-fiduciaire. Transfert de la créance légitime d’un terrain à une société nue-fiduciaire. « La société agira à titre de nue-fiduciaire au cours de la période de construction de l’immeuble. » « L’acte fiduciaire constate que le défendeur détient la propriété en tant que nu-fiduciaire au nom du demandeur et que la propriété bénéficiaire appartient et continuera d’appartenir à ce dernier. »

    Dans le droit des successions, le nu-exécuteur testamentaire ("nude" ou "bare executor") est ainsi appelé lorsque cessent d’avoir effet les pouvoirs conférés par le testateur au regard des biens qui lui sont dévolus pour assurer l’exécution de ses dernières volontés.

    Dans le droit des biens et dans le droit des délits civils, le nu-permissionnaire ("bare" ou "naked licensee") est une personne dont le propriétaire ou l’occupant tolère la présence justifiée de quelque manière que ce soit dans ses lieux sans nécessairement l’approuver. L’exemple type en est la personne qui, pour emprunter un raccourci, et c’est là sa justification, passe sur le terrain du permettant ("licensor"). Il est qualifié de nu parce qu’il n’est muni d’aucune permission pour se trouver ainsi sur les lieux d’autrui, sauf celle, implicite, qui lui permet de ne pas être considéré comme un intrus ("trespasser"). Contrairement au nu-permissionnaire, l’intrus nu ne peut de quelque façon que ce soit expliquer sa présence ou son passage sur les lieux d’autrui auxquels il ne peut prétendre à aucun des attributs du droit de propriété. La permission à titre gratuit ("gratuitous licence") de passer sur un terrain ou de se trouver dans un lieu occupé par autrui ou appartenant à autrui est qualifiée de nue ("naked" ou "mere licence") parce qu’elle est simple, ne comportant ni condition ni restriction particulière; elle est réputée suffisante pour écarter l’acte d’intrusion et n’emporte transmission d’aucun intérêt foncier ou propriétal.

    Le baillement nu ("naked bailment") est ainsi qualifié, car l’opération de dépôt 1 et 2 ne profite qu’au baillant et ne constitue pas une source de projet ou d’enrichissement pour le baillaire. Ce type de baillement est à rapprocher du dépôt nu puisque le baillaire accepte sans condition de conserver la chose au projet du baillant, tout comme le ferait le dépositaire à l’égard du déposant.

    Dans la classification des contrats, le contrat nu ("informal", "simple" ou "parol contract" ou "contract by parol", du latin nudum pactum) est un accord provisoire et incomplet des parties contractantes, une ébauche de contrat dépourvue du seing privé et, contrairement au contrat formaliste, non assujettie aux formalités requises du contrat en bonne et due forme (qu’il vaudrait mieux qualifier, pour éviter la double redondance, de contrat en forme). Il relève de la phase préalable à certains contrats. Étant une promesse nue, une simple promesse d’accomplir quelque acte sans être appuyée d’une contrepartie, on dit de ce genre de convention Ex nudo pacto non oritur actio : d’un pacte nu une action (en justice) ne naît pas (ou ne peut être fondée). Puisqu’il est dénué des formalités requises du contrat formaliste, il est sans force obligatoire du fait de l’émission des formalités de rigueur. L’engagement nu, qui est donc pris sans contrepartie, n’a pas force obligatoire. Voir aussi la maxime Nudum pactum obligationem non parit : un pacte nu ne donne pas naissance à une obligation.

    On qualifie de simple ou de nue toute possession ("bare" ou "naked possession", nuda possessio en latin) d’un bien sans apparence de titre. La personne qui occupe un bien réel sans apparence de droit lui permettant de détenir et de continuer la possession du bien se trouve en possession simple ou nue.

    La simple possibilité ou la possibilité nue est envisagée dans le cas de la personne mise en jouissance d’une simple possibilité d’acquérir un bien ou d’avoir éventuellement vocation successorale, sans qu’elle prétende actuellement à un droit, qui, selon la common law, constitue un domaine ou un intérêt foncier. Toujours dans le droit des biens, mais dans le droit des fiducies, l’exercice du pouvoir de nomination des bénéficiaires que son dépositaire possède peut ne pas être doublé de certains attributs attachés à des pouvoirs apparentés. La nudité juridique en l’occurrence tient au fait que l’exercice de ce pouvoir est entièrement abandonné au gré ou à l’appréciation du nominateur, par opposition aux attributs que comporte le pouvoir fiduciaire (qu’il y a lieu de distinguer du pouvoir fiducial), mais aussi aux pouvoirs de désignation et d’attribution, tous deux assujettis à consentement, à la prérogative de l’exclusion ou non, et ainsi de suite. C’est pour cette raison que l’on dit que ce pouvoir est simple, qu’il est nu ("naked power").

  6. En droit maritime privé, la locution coque nue ("bare boat"), orthographiée, suivant un usage qui se perd, avec le trait d’union par certains auteurs, sert à former des termes dont le sens évoque une nudité plus concrète que dans toutes les occurrences dont les substantifs sont précédés de l’adjectif nu.

    Dans le contrat d’affrètement en coque nue, le fréteur s’engage, contre paiement d’un loyer, à mettre pour un temps défini, à la disposition d’un affréteur, un navire déterminé, sans armement ni équipement, ou avec un équipement et un armement incomplet. Toute la gestion nautique et commerciale passe aux mains de l’affréteur. Le fréteur perd tout contrôle sur l’utilisation de son bâtiment pendant la durée du contrat. L’affréteur est dit en coque nue parce que le fréteur ne fournit ni capitaine ni équipage partiel. La nudité vient du fait que le navire est livré nu, sans aucun personnel ni armement. Si l’équipage est fourni au complet, l’affrètement devient à temps.

    Contrat d’affrètement coque nue. Il existe deux formes de contrats d’affrètement : la charte-partie et le connaissement. Charte-partie coque-nue. « Le demandeur a conclu avec le défendeur un contrat d’affrètement coque nue en vue d’affréter le navire Maria pour une durée de cinq ans ». La charte-partie coque nue est un contrat d’affrètement (non de location, à strictement parler) d’un navire par lequel l’affréteur acquiert du propriétaire le droit exclusif d’usage et de jouissance du navire pour une durée déterminée. Charte-partie coque nue assortie d’une option d’achat. « Action visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que le demandeur avait le droit, en vertu de la charte-partie coque nue, de lever l’option d’achat du navire. »

    En common law, la charte-partie coque nue est une forme de contrat d’affrètement d’un bien meuble par lequel le propriétaire ne conserve sur le navire que le droit de propriété dont il est titulaire. Son interprétation est régie par les principes généraux de common law relatifs aux contrats. Des juristes estiment qu’il y aurait tout lieu d’éviter, à l’exemple des maritimistes Carbonnier et, à sa suite, Rodière, de parler en l’occurrence de contrat de location ou de louage de chose, quand il s’agit en vérité d’un affrètement, quoique, il faut en convenir, affrètement et location soient des notions juridiques étroitement apparentées. Par extension, on dit qu’un bateau de pêche est livré coque nue quand il n’est pourvu que de sa coque et en bon ordre de marche, mais sans grément ni engin de pêche.

    Dans le transport maritime sous connaissement, le connaissement qui ne porte aucune mention relative à l’état de la marchandise embarquée n’est pas [nu] de ce fait; on le qualifie plutôt de net ("clean") pour signifier qu’il est établi sans réserve à cet effet.

  7. Dans le droit des marques de commerce, la licence nue est celle qui est dépourvue de dispositions relatives au contrôle de la qualité.
  8. Certaines règles de droit contractuel et pénal interdisent qu’on interprète le silence nu, non circonstancié, comme valant acceptation, acquiescement, consentement, reconnaissance, ce qui va ainsi à l’encontre de la maxime célèbre Qui ne dit mot consent. « Selon la maxime célèbre du jurisconsulte Paul, celui qui se tait ne reconnaît pas, mais il ne dénie pas. L’analyse conceptuelle du silence juridique mène à le considérer, non comme un refus, mais comme un silence nu. » « Rien ne peut s’induire du silence nu; il est par hypothèse neutralité, indifférence, absence d’être. »
  9. À la nudité on opposera la plénitude. La métaphore corrélative de la nudité est évoquée différemment selon les contextes et les sens à exprimer. À la forme participiale, on dira que l’on est investi, revêtu d’un pouvoir, que l’on est muni d’un document, d’un permis, d’une licence, d’une permission, d’une autorisation, que l’on se pourvoit, qu’on entre ou qu’on est mis en possession. À la forme adjectivale, la propriété qui était nue devient pleine, la possession est de droit, la permission est assortie d’un intérêt, d’une concession, la fiducie devient active, le contrat est formalisé, en bonne et due forme, la promesse est sous sceau 1 et 2.